“Pierre le Métis”...

18 mars 2005

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Il y a ici et là, au gré des pages de toute l’Histoire de l’Humanité, des hommes et des femmes qui ont marqué leur temps.
Il y a ceux auxquels le monde entier rend un hommage perpétuel en même temps que de nombreux ouvrages leur offrent leurs pages en guise de reconnaissance universelle. Sur les bancs de toutes les écoles des pays du monde, leurs œuvres sont transcrites pour être apprises et reconnues. Parfois même, elles connaîtront le privilège d’être portées sur les écrans de nos salles ou de nos télévisions. Ainsi vont les Victor Hugo, Charles De Gaulle, Winston Churchill, Adolph Hitler, Juliette Dodu, Joseph Lénine, Jeanne d’Arc, Louis Pasteur, Fausto Coppi, Angela Davis, Nelson Mandela, Marie Curie, Yasser Arafat et tant et tant d’autres encore.
Et puis il y a ceux et celles dont seuls leurs proches - parents, amis, voisins dans le quartier ou voisins dans la région - connaissent, pour l’avoir ressenti dans leur quotidien et pressenti à travers ce que leur ont confié une mère ou un grand-père, la place qu’ils ont occupée dans notre société à une certaine époque.
J’ai entre les mains depuis quelques jours, un petit livre que Madame Edith Wong Hee Kam, professeur de français et sinologue, consacre à la vie de Pierre Kichenapanaïdou, né en 1909, décédé soixante-treize plus tard.
Certes, le fait que Pierre Kichenapanaïdou soit le père de l’actuel président du G.R.A.H.TE.R. (Groupe de Recherche sur l’Archéologie et l’Histoire de la Terre réunionnaise) n’est pas absent dans l’intérêt que certains d’entre nous pourraient porter à cet ouvrage.
Mais “Pierre le Métis”* mérite d’être lu pour la richesse qu’il nous révèle de tout ce qu’un jeune homme de souche malabar et de condition plus que modeste a pu apporter à l’histoire sociale de notre île, là et à l’époque où il a vécu.
Par-delà un engagement syndical personnel et valorisant, fait de coups portés pour que les autres apprennent à ne pas courber l’échine ni la tête, fait aussi de coups reçus parce que les leaders qui naissent ne sont pas toujours en odeur de sainteté chez ceux dont ils peuvent menacer l’omnipuissance, l’histoire de la vie de Pierre Kichenapanaïdou nous fait pénétrer au cœur de "cette période de l’entre-deux guerres, (où) l’industrie sucrière est en plein essor dans le Sud et (où) l’usine de Grand-Bois tourne à plein régime".
Pierre le Métis, chaudronnier de son état, appartient, pense-t-il, "à la minorité des ouvriers relativement aisés... Il s’estime bien payé et se sent plutôt satisfait de son sort". Jusqu’au jour où, sollicité par ses camarades moins bien lotis, le déclic de la lutte vient changer le cours tranquille de sa vie. Lutter contre l’injustice, contre toutes les injustices, devient un but de chaque jour avec ce que cela vous apporte comme poids à soutenir et comme espoirs à ne pas décevoir...
L’époque, c’est celle aussi d’une justice qui ne sait rendre justice que pour le pouvoir économique - le seul qui compte d’ailleurs et qui pèse. Pierre Kichenapanaïdou en subira, jusque dans sa chair, les contrecoups portés à son audace rebelle.
Son histoire se fond dans celle de ces années où notre île n’a encore rien aboli de l’esclavage qui l’a marqué. On la lit avec l’intérêt de ceux qui sont curieux d’imaginer qu’un de leurs aïeux a peut-être connu cela, d’un côté ou de l’autre du chabouc social qui claquait dans l’air et sur le dos des plus faibles.
Et l’on a alors envie que les nôtres étaient les plus faibles d’alors, ceux-là mêmes qui ont fait les espoirs de l’après-guerre et qui nous ont offert les victoires des luttes sociales.

* “Pierre le Métis” d’Edith Wong Hee Kam. Récit de Vie. Éditions Orphée.

R. Lauret


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