Quand le “Léopard” est arrivé en rade du Port...

28 novembre 2005

La mémoire populaire réunionnaise a retenu que Léon de Lépervanche a été l’homme qui, le 28 novembre 1942 - c’était il y a donc 63 ans - s’est porté en avant de la population du Port pour imposer au pouvoir vichyste que notre île rejoigne le Général de Gaulle dans son combat pour la France libre.
Celui qui deviendra le plus naturellement du monde maire du Port quelque temps après - plus exactement le 27 mai 1945, à l’occasion des premières élections municipales qui suivirent - fut bien épaulé par de nombreux Portois soucieux de permettre au “Léopard” de remplir pleinement sa mission.
André Letoullec fut un de ceux-là. Je l’avais interviewé en novembre 1979, afin de plonger avec cet ancien scaphandrier de profession dans les “petits détails” d’une Histoire dont on a trop souvent tendance à ne retenir que les grands traits.
André, d’une voix qui savait porter au loin et au plus grand nombre les accents des combats d’avant et d’une “Internationale” qui tonifiait les masses, ramassa alors ces lointains souvenirs qui avaient donné un sens à sa vie.
"Le “Léopard” était arrivé dans la nuit au large de Saint-Denis, me raconta-t-il. Des hommes en étaient descendus et avaient, sans qu’aucune résistance ne leur soit opposée, pris l’hôtel du gouverneur... C’est-à-dire l’actuel bâtiment qui abrite la Préfecture. Le Gouverneur Auber s’était enfui à Hell-Bourg..."
Que pouvait-il être allé y faire ? C’était bien la question que l’on se posait au Port où une drague avait été coulée à l’entrée des bassins par les troupes vichystes qui y étaient en garnison. Et pourquoi donc selon vous ?
"Au Port, poursuivait André, nous avions conscience de l’importance stratégique de notre ville. L’existence de l’unique port avait conduit le gouverneur à y installer des troupes commandées par un brillant lieutenant..."
"Quand le “Léopard” est arrivé en rade devant la ville, il a été accueilli par une bordée de coups de canon tirés par les forces militaires. Bien entendu, ces coups de canon finirent dans la mer, tout autour, mais assez loin du “Léopard” : Lequel riposta. Deux vieilles portoises, les sœurs Rebella et un travailleur, M. Odon, furent malheureusement tués ce jour-là".
Que se passa-t-il donc ? André Letoullec nous apporta force détails.
"Il était 9h30 ce jour-là. C’était l’effervescence. Léon et d’autres responsables se sont dirigés vers la gendarmerie où ils ne rencontrèrent nulle résistance. Il est vrai que derrière eux, il y avait une énorme foule. Et puis, permettez-moi de penser que les gendarmes pouvaient avoir un gros penchant pour l’esprit rebelle du Général de Gaulle... Nous prîmes d’assaut le magasin d’armes et c’est munis de fusils et de revolvers que nous nous dirigeâmes vers la mairie, question de signifier au Président de la délégation spéciale qui faisait office de maire que le peuple entendait mettre un terme à un épisode pas très glorieux de l’Histoire."
"Puis commencèrent les tractations avec le lieutenant, qui était un vague cousin de Léon. Un lieutenant que ses troupes avaient abandonné pour se mettre à nos côtés".
Là, André savait de quoi il parlait puisque, mandaté par Léon de Lépervanche pour obtenir la reddition des soldats, il n’eut aucun mal à les convaincre que l’Histoire pourrait se faire sans eux, mais bel et bien avec ce peuple qui était décidé à se battre...
Il y eut bien une petite fusillade au cours de laquelle le lieutenant fut blessé et M. Odon tué. Rapidement, après un train qu’il fallut dérailler pour prévenir toute tentative de “certains” soldats à s’échapper vers le Sud, l’effervescence emplit une ville dont la population, dans sa quasi-totalité, venait d’écrire une de ses plus belles pages.
"Quelques jours après, nous dit encore André Letoullec, on mina la drague qui obstruait l’entrée du port, parce qu’on l’y avait coulée pour empêcher que le “Léopard” y trouve place à quai. Deux grenades extrêmement puissantes furent utilisées pour faire plier la drague. Une extraordinaire déflagration fit trembler toute la ville. Du Cœur Saignant, on ressentit les secousses".
André Letoullec nous a quitté le 16 février 1984. Ce lundi 28 novembre, nous sommes quelques-uns qui auront une pensée affectueuse pour lui et pour tous ceux qui, connus ou anonymes, derrière Léon de Lépervanche, ont libéré leur ville en même temps qu’ils offraient à La Réunion et à ses fils les plus courageux la belle perspective d’être nous aussi de la France libre.

R. Lauret


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