“Sans pitié ni pourquoi...”

20 mars 2007

Karine Alfirevic apparaît alors au bout de son immense talent, son texte au fond du cœur pour nous inviter simplement, seulement, sans doute aussi gravement, à lever nos yeux vers le ciel et compter les étoiles : « Il n’y en a pas assez pour représenter les 2000 enfants qui, ce soir comme chaque soir dans le monde, sont morts en silence, dans l’indifférence... ».

Magine à ou : des cordes des guitares, des gorges des rouler, clavier, kayanm et autre congas de Gilbert Pounia et de ses dalons, montent alors les plaintes étouffées de recoins d’Afrique pour arracher à nos cœurs les plus endurcis les cris de nos consciences et bouleverser bien des indifférences.

Magine à ou... magine à ou : six gamins, sans doute pas si “gamins” que ça, trois garçons et trois filles sur leurs fauteuils, jaillis des coulisses du Théâtre et de Saint François d’Assise depuis leur centre d’éducation motrice, six gamins et leurs monitrices, parlant d’une même voix pour une même personne et nous confiant un doux regard « qui se pose sur moi, ... J’aime à le voir, sans pitié ni pourquoi... Faut le savoir, j’ai grandi sans marcher, mais il y a espoir que ma vie soit beauté... ». Imaginez, je vous dis... Imagine, je te dis.

Oui, magine à ou, ces enfants, sans doute pas si enfants que ça, venus chanter devant mille paires d’yeux et qui savent que, pour eux, « maintenant, être seul, c’est fini... Place à l’envie, aux plaisirs de la vie ». Imaginez, je vous dis, imagine...

Comme bien d’autres, j’en ai pleuré un peu plus tard encore à les voir, dans la pénombre, redevenus ombres chinoises sur les murs de la salle, témoins transportés eux aussi dans la grandiose magie d’un spectacle généreux offert par des maîtres qui, dans cet art, égalent les meilleurs. Dans chacun de leurs regards vit ce phare qui l’éclaire pour ce qu’il est et qu’il ne fuit pas. « C’est ce que je suis, ont-ils chanté un peu avant, et j’avance pas à pas... c’est comme ça... c’est pour moi, c’est pour toi que le soleil brille en moi ».

Nous en pleurions. Mais debout, les bras levés, les mains applaudissant en un élan de reconnaissance pour Gilbert Pounia, immense, géant, et tout autant immenses, et tout autant géants, Jean Louis Bègue, Gérard Clara, Jacky Lafuteur, Pascal Manglou, Gérard Paramé, Jean Rassiga, Luc Souvet.

Et aussi ces étudiants du Botswana, authentiques dans leur démarche de rêve comme s’ils étaient toujours au pays de leurs ancêtres. Magine à ou...

Et puis encore Caroline et Christelle Manglou, belles et discrètes, bien présentes donc pour que flotte ce soir-là un air d’humilité dans une salle qui partageait volontiers tout ce qu’on lui offrait.

Et puis, et puis, Bernard Payet et ses textes, donnés aux artistes, Bernard Payet dont j’aime savoir qu’il se souvient de ces hommes « qui d’un cri du fond d’eux avaient pris leur envol pour faire peur au pouvoir » et de ceux « sans lesquels cette terre, en flétrissant son cœur, vieillissait de mille ans... », de ces hommes vers qui ses pensées « s’en vont, comme vont les amours de l’enfant à sa mère, portées par les regards figurant des racines à la roche accrochées... ».

Surgit alors Serge Ulentin, le parolier, mais poète et sensible, émouvant, âme discrète de la soirée, avec qui je partageais le lendemain l’idée qu’au moment où notre foot chéri prive de stade des jeunes valeureux en même temps qu’on ait pu penser un instant parquer un peu loin les « kops » trop bruyants, il est de nos musiques qui pourraient bien remplacer dans nos quêtes d’air pur les arènes où se règlent d’inavouables comptes...

Raymond Lauret


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