Un jour... demain... Ainsi va la vie

19 février 2005

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Les pluies du cyclone Hyacinthe avaient sérieusement menacé la ville du Port, depuis le village de La Rivière des Galets jusqu’aux parties Sud-Sud-Ouest de la cité maritime, là où se situe la centrale EDF et où ont depuis été réalisés le lycée Jean Hinglo, l’immense Complexe sportif et la zone industrielle des Tamarins.
Au village, les habitants se rappellent aujourd’hui encore qu’il y eut de nombreuses habitations que le travail de sape des eaux tumultueuses de la rivière avait fait basculer dans le vide. Le centre d’hébergement établi dans les écoles du coin était plein de ces familles que la prudence la plus élémentaire poussait à se mettre à l’abri, non pas de la pluie ou du vent, mais bel et bien du danger que représentaient les torrents de boue qui se précipitaient, depuis le cirque de Mafate, jusqu’à l’océan Indien, soudain tout proche et menaçant.

Le lendemain, je me souviens encore : nous cherchions plusieurs dizaines de cases et essayions de situer, là où la rivière coulait encore comme si de rien n’était, l’endroit où la veille encore elles se tenaient. Sur les visages marqués par les coups de la vie, se lisait une increvable espérance, celle de ces travailleurs au torse d’athlètes, de ces femmes courage qu’Alain Dreneau a immortalisées dans un recueil de belles photos : ni le désespoir, ni le découragement n’y avaient prise.
Et c’est sans doute dans la force de ces regards et dans ces poignées de main qui sentaient fort la confiance totale qui lui était témoignée que le maire du Port a puisé sa conviction que des travaux d’importance devaient être engagés sans tarder. Nous étions au début des années 1980.

Il y eut une réunion du Conseil municipal au milieu de la population rassemblée dans la grande cour d’une école primaire de la ville, une motion envoyée au gouvernement, le lancement d’une consultation auprès des bureaux d’études les plus au fait de ce type de problème, la visite de ce qui avait été entrepris de plus colossal dans le monde et la décision de réaliser au Port même une maquette longue de 100 mètres et large d’une vingtaine. Cette maquette géante fut réalisée pour que tous les enfants et leurs parents puissent prendre conscience du danger qu’une crue trentenaire - celle-là même qui a lieu tous les trente ans mais dont on ne sait pas quand elle aura lieu - représenterait pour la commune.
La SOGREHA quitta ses ateliers et ses bureaux d’Échirolles en Isère et s’installa au Port. L’endiguement de la rivière des Galets était lancé. Des travaux énormes, coûteux, portés par une technique méticuleuse enfouie par 25 mètres et montant à la hauteur que l’on voit aujourd’hui. Des travaux énormes qui ont nécessité l’ingéniosité de hauts techniciens, des financements européens et une volonté politique déterminante face à de dérisoires critiques qui, déjà, accusaient le visionnaire de cultiver des idées de grandeur...

Hier encore, en cette saison de grosses pluies à La Réunion, notre petit village regardait tranquillement sa rivière charrier ses galets et ses tonnes de boue. Pas la moindre inquiétude. Chacun vaquait à ses occupations, comme si de rien n’était. Nous sommes en février 2005...
Un jour... demain... nous prendrons le train pour ne plus avoir à faire face à la route fermée, pour ne plus avoir à subir une circulation ralentie. Nous vaquerons à nos occupations, comme si de rien n’était, en prenant notre train. Et personne ne revendiquera alors la paternité des dérisoires critiques d’une époque oubliée...
Ainsi va la vie.

R. Lauret


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