Point de vue

Illettrisme : Nous sommes tous coupables de minimiser le danger

24 novembre 2010

Quand la population d’une région jeune et dynamique comme La Réunion totalise une importante majorité de sa jeunesse — soit plus de 100.000 — qui ne sait ni lire, ni écrire, que pouvons-nous attendre de son avenir ? Ou tout simplement de son devenir ?
Tout individu a le droit indéniable et imprescriptible à l’instruction, instruction sans laquelle un travailleur n’est que la moitié d’un homme. En outre, l’instruction n’est pas seulement qu’un droit pour le citoyen, elle est aussi un devoir. Parce que la société réclame ses services, elle doit trouver en lui et l’intelligence de sa profession et l’aptitude aux fonctions dont elle l’investit. Or, l’illettrisme constitue un frein au droit individuel au travail.
Les peuples évolués, respectés de tous sont ceux qui ont favorisé l’instruction de leurs citoyens, en accroissant le taux de réussite scolaire chez les hommes et les femmes qui les composent.
Aurons-nous d’ici une décennie suffisamment de lettrés pour repenser, concevoir et analyser dans l’urgence pour le développement de notre région ? Allons-nous rester dans l’immobilisme pour qu’on vienne nous conter, nous imposer et décider pour nous ?
Réveillons-nous ! Réveillons les consciences. Un peuple sans cerveaux est un peuple moribond.
Il est vrai que tout le monde ne peut pas être académicien, ni ingénieur, ni docteur. Néanmoins, il peut être donné à tout un chacun la possibilité de maîtriser les rudiments de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, pour éviter d’avoir recours à un interprète pour nous dire par exemple combien on est payé sur un travail exécuté.
La politique de l’apprentissage de la lecture a connu depuis des décennies plusieurs expériences qui ont échoué. A l’Éducation nationale, tout ce qui est à la mode sur les pédagogies d’approches de la lecture a été essayé, pour permettre à la population de construire son propre savoir.
Nous ne voulons pas croire un instant que les institutions ou les administrations puissent tourner le dos à ce fléau, négliger cette bombe à retardement qu’est l’illettrisme. Et pourtant, des craintes subsistent. Des tables rondes s’organisent, se multiplient, et des commissions continuent de rendre leurs travaux.
Nul n’a intérêt à se satisfaire de cette situation. Car comment pouvons-nous imaginer que des donneurs d’ordre ou des opérateurs économiques locaux puissent gagner des parts de marché quand la plupart des exécutants sont sans le minimum d’instruction, ou bien encore sont incapables d’initiatives, d’inventions créatives et d’anticipations ? Je ne veux pas croire un instant qu’en privant une frange de la population d’accès à l’instruction, on arriverait à les maintenir dans l’exploitation.
Comment nos hommes politiques peuvent-ils oublier le rôle des idées dans la cité ? Ces idées nouvelles, diverses et contraires qui font et défont le politique et la politique. Cependant, nos dirigeants perdent de vue leurs importances en s’éloignant de ceux-là qui les ont installés. Or, on ne peut se prétendre élus du peuple et vouloir porter ses aspirations, quand il peut manquer ce souci de l’autre, dépourvu de compétences langagières pour s’exprimer à travers des codes appropriés, afin de mieux se faire comprendre et de mieux se faire entendre.
Comment les associations et clubs de tous genres, les grands clubs de services, les Ordres et les hommes des religions, eux en qui la population entière a foi et les respecte, pour leur indépendance de pensée, pour leur aura auprès de toutes les institutions étatiques, restent-ils timides dans leurs contributions tant attendues ? Nous ne voulons pas être tentés à croire au mutisme de ces “milieux” qui, à travers les âges, ont fait leurs preuves par les actions et les propositions, qui ont fait avancer la société. Face à l’urgence sociale, ne sommes-nous pas tentés de croire qu’au lieu de nous éclairer, ils éteignent leur lumière, ces humanistes qui nous ont toujours habitués à lutter contre l’obscurantisme et à œuvrer pour la liberté et l’égalité des chances entre les hommes.
L’Illettrisme est un crime sauvage qui crée des clivages entre deux catégories de citoyens : ceux qui maîtrisent la lecture et peuvent en user ou en jouir, et ceux qui en ont besoin pour mieux se sentir avec les autres. Il est évident que, depuis des années, des tentatives sérieuses d’actions sont menées. On peut citer les accords successifs entre le Rectorat, le Département, la Région, la Préfecture et la Caisse d’allocations familiales. Mais, à notre grand regret, les faits sont têtus et la situation s’aggrave, le nombre de personnes qui manifestent des difficultés de compréhension et de lecture croît, en même temps que les problèmes sociaux augmentent. Les citoyens, de plus en plus, ne se comprennent plus, car ils n’ont plus les mêmes repères de lecture, tout comme s’ils ne communiquaient pas tous dans la même langue.
Face à l’imminence du danger, vous comme nous, devons être conscients et prendre la mesure de l’évènement, en considérant que le manque de formation de l’esprit engendrerait des prisons remplies que le massacre nous videra. Ainsi, notre peuple, du fait de son degré d’illettrisme, se sentira capable de se mettre à feu et sa civilisation en cendre.
La Réunion deviendra une patrie des ténèbres, très aride, égorgée de sa liberté, étouffée dans son genre créatif, en affectant aux cerveaux et à la pensée d’autres fonctions que celles qui sont les leurs.
Un sursaut patriotique collectif est donc attendu de chacun des acteurs que nous sommes. Nous pouvons, par exemple, commencer par les Cases (Maisons de quartiers) où l’on pourrait déjà bénévolement, par des moyens simples, apprendre à lire et à écrire aux habitants qui sont dans le besoin. Et ce ne serait pas trop : la création d’universités populaires dans les communes, qui seront conduites, soutenues et financées par les entrepreneurs, donneurs d’ordre, et même certains clubs ou associations.
C’est résolument pour combattre l’émeute et la guerre civile, pour rejeter l’instauration d’une société de moutons domesticables, corvéables à merci et manipulables par toutes les formes de pouvoirs, que nous devons entendre la sonnette d’alarme donnée par d’éminents universitaires, chercheurs, en encourageant, en appuyant et en accompagnant Dominique Dambreville, Michel Latchoumanin et autres qui, depuis un certain temps déjà, se déploient sur le terrain pour éteindre le foyer de l’illettrisme.

Bienvenu H. Diogo


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Messages

  • Merci à Bienvenu H. Diogo qui dit que l’illettrisme est un crime sauvage, et c’est bien sûr le résultat de ne pas pouvoir écrire ce que l’on dit ou ce que l’on pense, à fortiori de lire ce que quelqu’un d’autre a écrit sans rien comprendre.

    Enfin en parlant de sauvagerie, demander au moutardier, au serin, au bec-rose, au couti, au cardinal, au belier de ne plus s’exprimer par leur sifflet en adoptant de manière forcée à celui du moineau : vous obtiendrez rien du tout, puisque le moineau, celui dont le mâle porte la cravate, ne peut siffler lui, il piaille.

    Comment voulez-vous que le pays se développe, si déjà nous avons une Députée qui traite de KK l’expression parlée, notre langue créole ?

  • Monsieur Bienvenu H..DIOGO. vous avez raison. J’ai apprécié votre plaidoyer comme j’ai lu avec passion l’intervention de Michel LATCHOUMANIN.La question que je me pose est :"Est-ce que je peux faire quelque chose ?" Dois-je me contenter moi aussi de critiquer, de dénoncer...ou dois-je moi aussi combattre ce fléau et je vous rejoins "éteindre le foyer de l’illetrisme."
    Mon premier devoir est tout faire pour que chaque année nous n’enregistrons plus ces 3 000 jeunes qui sortent de l’école en étant illétrés. Comment ! Intervenir , exiger que des moyens soient mis afin que tout soit fait pour éviter un échec scolaire. Je sais qu’il y a ici et là des enseignants méritants qui mettent en place des structures pour pallier . Mais nous ne pouvons nous contenter des telles belles iniatives limitées. Nos enfants méritent mieux et nous parents nous sommes responsables devant eux et notre devoir est de veiller à ce que l’école soit un lieu d’apprentissage et de formation du citoyen de demain. Quelle solution ? Les parents doivent intervenir et pour cela participer activement à la vie scolaire en étant des Parents-acteurs dans les associations des parents d’élève. Limiter dés aujourd’hui le nombre d’illetrés est une première réponse.
    Et les autres...ceux qui sont sur le marché du travail ? Ceux qui sont "noyés" par une paperasserie ? Vous proposez de commencer par "Les Cases"avec des bénévoles. C’est une piste mais je pose la question suivante : "sommes-nous des enseignants ?" "quelle formation avons-nous reçue pour enseigner à des adultes ? La bonne volonté doit être remerciée et reconnue mais elle n’est pas suffissante. Nos adultes illettrés méritent d’avoir des enseignants formés et j’ajoute performants. Je revendique pour ces personnes illétrées du personnels qualifiés et donc formés. Je sais de part mon expérience que plus le public est en difficulté plus l’enseignant doit être formé. C’est une exigence et nous le leur devons .
    Dois-je me taire lorsque je lis les budgets alloués à la campagne contre l’illétrisme et ses résultats ? Dois-je ici dénoncer les faux semblants de programme pour combattre l’illétrisme ? Je préfère déclarer que y compris dans les programmes contre l’illétrisme nous avons notre place. Comment ? Etre exigeant. S’impliquer. Comment ? Lorsqu’un organisme est candidat pour participer à une campagne contre l’illétrisme et qu’il s’engage , l’organisme payeur doit mesurer les résultats. Il ne s’agit pas de simple discours mais à travers des tests mis en place pour mesurer le "savoir". Cela demande que la connaissance de chaque personne soit testée avant le stage. Cette même personne sera testée à la fin du stage et c’est la différence entre les deux tests que l’on reconnait l’apport de la formation. Reconnaître l’apport est notre éxigence vis à vis de cette population.L’organisme ne sera payé qui si cet apport est mesuré. Sinon...
    Etre exigeant pour ces compatriotes est notre devoir.

  • J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre point de vue, et je partage totalement vos écrits sur ce sujet.

    En étant volontairement provocateur, je vous dirai que la "bataille du savoir", "la lutte contre l’illétrisme" : n’est pas prioritaire à la Réunion. Car si tel était le cas, il est vrai que ce fléau aurait bénéficié d’un vrai plan d’actions et trouvé de vraies solutions.

    En effet comment expliquer que la Réunion est un laboratoire, une terre d’excellence dans plusieurs domaines et notamment (énergies renouvelables, promotion des chauffe eau solaires, lampécos, et autres secteurs...)domaines ou l’état, les collectivités consacrent d’énormes moyens financiers et ne pas inverser la tentance en matière de lutte contre l’illétrisme sur un petit territoire ?

    Non, les chiffres le démontrent, ce n’est pas la priorité, sinon nous serions tous concernés, tous sur le pont...


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