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par le Dr Raymond Vergès

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Créole réunionnais et français : nos deux langues (1)

mardi 16 novembre 2010


Dans tout ce grand tapage organisé par les adversaires du créole, des affirmations fausses et quelques fois calomnieuses courent dans les tribunes libres des journaux et dans un certain nombre de blogs. Elles concernent tous les partisans du créole et très souvent moi-même, nommément.


• Les défenseurs du créole, les enseignants de créole, seraient opposés à la langue française
C’est, bien entendu, complètement faux. Tous les enseignants de créole que je connais (et j’en connais beaucoup) ont à cœur de faire progresser leurs élèves aussi bien en créole qu’en français, et dans toutes les autres matières. Tous font tout ce qu’ils peuvent pour que leurs élèves avancent à la fois dans la langue régionale (le créole) et dans la langue officielle de la République française (le français). Et ils obtiennent des résultats plus que prometteurs : supérieurs à ceux qui ne pratiquent qu’un enseignement dans lequel le créole n’a pas (ou que très peu) de place.
Pour ma part, à chaque fois que j’ai été invité pour parler de l’un de mes livres, en France hexagonale ou à l’étranger (Pays-Bas, Suisse, Allemagne, Maurice, Japon, États-Unis, Madagascar, Belgique), j’ai toujours eu à cœur de défendre la langue française. J’ai, en effet, des raisonnements simples : malgré l’apprentissage de l’anglais et de l’allemand, les seules langues dans lesquelles je puis m’exprimer vraiment, lire en appréciant — en goûtant — sont le créole réunionnais et le français (et à moindre titre, et seulement pour la lecture, les créoles mauricien et seychellois). Pour quelques autres langues, je ne peux apprécier un texte écrit que lorsque j’ai sous les yeux la traduction en français. Il me faut donc défendre le français : l’auto-mutilation, je la laisse à d’autres !
Il nous faut une langue internationale, nous l’avons et ne pouvons que nous en réjouir : où en serait le Monde s’il n’y avait, dans les sphères des échanges vitaux pour lui, une langue d’intercompréhension ? Cette langue est pour l’instant (et probablement pour longtemps) l’anglais. Mais il nous faut une diversité linguistique mondiale auquel le français participe largement (en France hexagonale, dans les DOM-TOM, en Suisse, en Belgique, au Québec, dans de nombreux pays d’Afrique, et un peu ailleurs)… Vive donc le français dans le Monde et à La Réunion.

• Le créole ne serait qu’un patois
Cela dit, nous avons notre créole, reconnue comme langue par la République française et que de nombreux savants étudient dans de nombreuses universités tant françaises qu’étrangères. C’est une langue, égale en dignité à toutes les autres. Qu’elle ne soit pas complètement standardisée, c’est un fait, mais plutôt que de la dénigrer, ne vaudrait-il pas mieux que l’on fasse ce travail indispensable pour sa valorisation ?

• Les défenseurs du créole réunionnais ne seraient rien d’autre que des militants politiques n’osant dire leurs opinions
Ceux qui ont vécu les débats anciens sur le créole savent bien qu’ils ont été à une certaine époque politisés — sans que cela n’enlève quoi que ce soit à la justesse des idées des pro-créoles ! Mais aujourd’hui, les jeunes générations ne comprennent plus rien à ces batailles que certaines arrière-gardes veulent faire revivre. Les jeunes militants pro-créoles (et il y en a de plus en plus) sont bien au-dessus de ces divisions.
Lofis la Lang Kréol La Rénion, l’Association des Certifiés de Créole de La Réunion, l’association Tikouti, L’Association pour l’Enseignement du Créole Réunionnais et bien d’autres associations de défense du créole, et pour son enseignement, sont apolitiques et laïques. Pour ne parler que de Lofis, tous ses adhérents veillent à ce que cette neutralité soit parfaitement respectée. En tant que président, j’y veille moi-même.
Et moi-même, depuis la fin des années soixante-dix (cela fait plus de trente ans de cela), voulant me consacrer aux problèmes linguistiques et culturels, d’une part, et d’autre part, la langue créole de La Réunion et la culture réunionnaise appartenant à tous les Réunionnais, j’ai décidé de ne plus adhérer à aucun parti politique.
Dans le volume 10 de l’encyclopédie "A la découverte de La Réunion", paru en 1982, Jean-Claude Fruteau (à titre d’auteur et non d’homme politique) rappelle une de mes déclarations publiques dans laquelle je disais que les seules prises de position politique que j’étais prêt à faire concernaient « la nécessité fondamentale de la liberté, en particulier de la liberté d’expression ».
J’ai, depuis avant ce rappel et jusqu’à aujourd’hui, malgré certaines sollicitations, refusé de prendre une position politique quelle qu’elle soit, mis à part, peut-être, le fait qu’en 2002, j’ai appelé publiquement à voter Chirac pour faire barrage à Le Pen. Mais peut-on appeler cela une prise de position politique ? Pour moi, ce n’était qu’une contribution à la défense de nos libertés fondamentales.
Cela mis à part, mes seules déclarations publiques concernent la langue créole de La Réunion et la culture réunionnaise. Pour le développement de l’une et de l’autre, Lofis travaille, et je travaille (de façon complètement bénévole) avec toute personne un tant soit peu ouverte, quel que soit son "bord" politique :

- C’est à la demande d’Alain Bénard (alors maire de Saint-Paul et toujours membre majeur de l’UMP) que Lofis (dont moi-même) a traduit les articles du Code civil pour le premier mariage en créole.

- Quand le projet de "Commune bilingue" a été lancé, j’ai, en tant que Président de Lofis, écrit aux vingt-quatre maires de La Réunion pour le leur proposer. A ce jour, une municipalité à majorité "Divers droite" (L’Entre-Deux), deux municipalités à majorité communiste (Le Port qui héberge Lofis sans condition aucune, et Saint-Paul), deux à majorité socialiste (Saint-Joseph et Saint-Denis/Sin-Dni), ont adhéré à ce projet.

- Une délégation de Lofis a longuement discuté du projet "Commune bilingue" avec des membres de la municipalité du Tampon (dont Jacqueline Farreyrol). Et si, jusqu’à aujourd’hui, Lofis n’a pu concrétiser quoi que ce soit avec cette municipalité, il ne désespère pas.

- Un Conseil municipal s’est déroulé en créole, avec l’aide de Lofis, à Saint-Leu, dont le maire est du MODEM. 

- C’est vrai que Lofis a travaillé de façon fructueuse avec l’ancienne équipe de la Région, mais il espère une collaboration réelle avec la nouvelle équipe.

Que le créole de La Réunion soit une langue, qu’elle appartienne à tous, que français et créole soient indispensables à La Réunion et aux Réunionnais, ce sont là des idées admises aujourd’hui sur notre île — les sondages que Lofis a fait faire le prouvent. Libres à ceux qui le veulent encore de s’aliéner leur langue première, de se dévaloriser eux-mêmes, de se complexer — pour ma part, je suis fier de mon créole, heureux de pouvoir parler à peu près correctement le français, et ravi de partager ces sentiments avec une foule de Réunionnais.

Axel Gauvin

(1) Titre d’un ouvrage, à la rédaction duquel j’ai participé.


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