Festivités à Sainte-Suzanne, les 10 et 11 juin 2023

1663-2023 : Commémoration du 360è anniversaire du peuplement de La Réunion

6 juin 2023

La Réunion est une île tropicale, volcanique et indianocéanique, située par 20° de latitude sud ; c’est son héritage géographique. Elle est un département français d’outre-mer, une région ultrapériphérique de l’Europe ; c’est l’héritage de son histoire. Elle est une île-monde, hébergeant paradoxe et singularités dans une société créole ; c’est l’héritage de sa culture

A partir de 1663 les hommes s’y installent à demeure. Ils sont originaires d’Europe, d’Afrique Subsaharienne, de Chine, d’Inde, de Madagascar et d’autres îles circonvoisines. Par consentement ou par coercition. Ils y amenèrent chacun leurs usages dans le monde : leur langue, leur musique, leur cuisine, leur littérature ; ils transportèrent leur vision du monde, comme on « charroyait » l’eau en éclaboussant l’espace et ceux qui les entourent : leur culture et leur religion. Certains n’arrivèrent qu’avec leurs pleurs ou leurs rêves apeurés. Et dans l’île lointaine et incertaine, eut lieu le mélange des corps et des croyances, bien souvent dans une noce des contraires et des contradictions.

« Nous sommes tous des engagés »

Le creuset réunionnais transforma, par proximité et par métamorphisme, chacun des éléments que chaque groupe offrait en partage aux autres. De chaque don et de chaque abandon consenti, une nouvelle vie naissait.

Les grandes étapes de l’acclimatation des hommes sont connues :

  • L’engagisme blanc européen contracté à partir de 1665 auprès de la Compagnie des Indes Orientales créée par Colbert en 1664 ; elle va consentir à l’aman, ce pardon pour les pirates européens repentis s’établissant en catholiques dans ‘île.
  • Les initiatives individuelles à partir de Fort-Dauphin ou de Surate aux Indes, qui amenèrent les femmes nécessaires au confort des hommes et à l’organisation d’une vie sociale. Si on regarde avec convoitise la moindre négresse soumise, on n’est plus très regardant sur l’article 20 de L’ordonnance de Jacob de la Haye ; il interdisait, au nom des convenances et de la clarté, toute relation entre Noirs et Blancs.
  • Les cargaisons de la traite négrière, venues de Madagascar, des Comores et de l’Afrique, de manière organisée à partir de 1715 pour démarrer l’aventure du café. On y trouvait quelques Indiens, ajoutèrent de la curiosité à ce lot d’infortune.
  • A l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 dans les vieilles colonies françaises, l’engagisme indien institutionnalisé se développe jusqu’en 1881.
  • L’immigration de nouveaux bras pour le sucre, le chemin de fer ou la route de Cilaos amena jusqu’aux années 1930, des engagés malgaches, cafres du Mozambique, indochinois, chinois, somaliens et rodriguais.

Depuis 1665, La Réunion est un pays d’engagés. Par ailleurs, à côté de ces vagues de migrations réussies ou pas, il y eut des aventures personnelles pour développer le petit commerce d’alimentation et d’habillement. L’île s’enrichit d’autres civilisations : l’Inde musulmane et l’Empire céleste des entrepreneurs industrieux. Et La Réunion s’épanouit en intelligence collective, pour faire une place à ceux, tard venus, des îles de la Lune, afin de partager le rêve réunionnais.

C’est ici qu’en 1841, que le poète Charles Beaudelaire découvrit à 20 ans le vivre-ensemble. Ce terme, dans son acceptation sociologique contemporaine, sera exprimé et imprimé en 1857 dans le recueil Les Fleurs du Mal. Il apparaît en témoignage énamouré au début d’un poème sur le voyage :

« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble »

(l’invitation au voyage)

Selon la croyance beaudelairienne, vivre ensemble ne renvoie pas à la seule cohabitation, dans un espace commun, d’hommes et de femmes de couleurs, de cultures et de croyances différentes ; le terme est imprégné et essentialisé par le désir de l’autre, c’est-à-dire construit sur le liant amoureux. Il donne à voir le monde créole comme une leçon de vie.

Tout ne fut pas facile, tous ne furent pas aimables. L’île ne sera pas toujours le paradis terrestre du bonheur. Et le vivre-ensemble n’est pas un don des dieux ; c’est la peine de l’autre. Le vivre- ensemble s’est élaboré sur plus de trois siècles en deux étapes : la recherche d’un équilibre entre les composantes ethniques dans un premier temps, et puis la construction patiente de l’harmonie.

La créolisation, ce mécanisme qui construit la société réunionnaise, comme le volcan et la mer édifie l’île, est un phénomène toujours recommencé. Edouard Glissant affirmait : « la créolisation, c’est l’idée d’un processus continu, capable de produire de l’identique et du différent ».

Il faut simplement laisser le temps aux hommes, tout en rappelant que rien sur la Terre des hommes n’est définitivement gagné.


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