29 mai 1958 - 29 mai 2008

50ème anniversaire de l’assassinat de François Coupou : La Réunion se souvient

29 mai 2008

En 1958, les travailleurs réunionnais connaissent des conditions d’existence misérables et attachent le plus grand prix à leurs libertés. François Coupou est l’un d’eux. Il le paie de sa vie, ce soir-là, quand les cordons de CRS déployés aux abords de la cour Lucas agressent à coups de crosse et de matraques quelques travailleurs qui rentraient chez eux, à la fin du meeting.

1958, à La Réunion. Le jeudi 29 mai, le Comité de Défense des libertés républicaines - que présidait Agénor du Tremblay, appelle à un « meeting contre le fascisme », cour Lucas, pour protester contre le soulèvement des factieux d’Alger, le 13 mai, et leurs menées contre la IVe République. Le 13 mai 1958 à Alger, les colons européens ont fait appel au général de Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France sur l’Algérie, parce qu’ils soupçonnent le gouvernement français de vouloir négocier avec le Front National de Libération (FNL). Leur soulèvement va sonner le glas de la IVe République.
Les meetings qui ont lieu à travers l’île, à l’appel de ce Comité républicain, au cours du mois de mai, expriment l’inquiétude des démocrates devant l’évolution de la situation en Algérie - où des factions de colonialistes s’agitent et menacent la France d’une guerre civile -, et traduisent le soutien et l’attachement des couches populaires réunionnaises à la République.

Le 28 mai, jour d’une puissante manifestation où 500.000 Parisiens proclament leur attachement à la République, le président René Coty fait appel au général de Gaulle, qui sera élu Président du Conseil par 329 voix contre 224.
Le meeting du 29 mai, à Saint-Denis de La Réunion, à l’appel du Comité de Défense de la République, est une protestation des démocrates qui craignent un retour aux lois d’exception et aux atteintes aux libertés publiques qui, à La Réunion, sont déjà maigrichonnes.

Les travailleurs réunionnais connaissent des conditions d’existence misérables et attachent le plus grand prix à leurs libertés. François Coupou est l’un d’eux. Il le paie de sa vie, ce soir-là, quand les cordons de CRS déployés aux abords de la cour Lucas agressent à coups de crosse et de matraques quelques travailleurs qui rentraient chez eux, à la fin du meeting.

Un déploiement inhabituel de gendarmes, CRS et policiers armés de matraques et de mousquetons est déployé dès la fin d’après-midi aux abords immédiats de la cour Lucas, où avaient lieu de nombreuses réunions politiques. Le PCR n’était pas encore constitué, mais le mouvement communiste était important à La Réunion. François Coupou n’était pas communiste ; il habitait le quartier et il avait l’habitude de se rendre à la cour Lucas pour s’informer, écouter les orateurs communistes ou ceux de l’ancien CRADS qui, comme Jean Hinglo, avait lutté avec le Dr. Raymond Vergès, décédé quelques mois plus tôt, en juillet 1957. Et comme on le verra plus tard, au cours de la période de sa vie passée à Saint-André, François Coupou avait reçu l’aide du Dr. Vergès et avait toujours gardé une grande fidélité à son mouvement.
La réunion se déroule dans le calme. La présence dans les parages d’une quarantaine de nervis recrutés pour la circonstance est mise en échec et les nervis sont évacués par la rue Voltaire.
Alors que les participants au meeting rentraient chez eux, ce sont les “forces de l’ordre” qui entrent en action. Les projecteurs dont sont équipées leurs voitures s’allument. Les coups de matraques et de coups de crosse de mousqueton s’abattent sur une dizaine de travailleurs, tous frappés derrière la tête, sur la nuque et grièvement blessés. Des femmes, des enfants, des vieillards sont eux aussi assommés, piétinés.
François Coupou, 63 ans, a le crâne fracturé par un coup de crosse et tombe pour ne plus se relever.

La vie d’un travailleur des débuts du XXe siècle

Il était né en 1895 à Saint-Anne, dans la commune de Saint-Benoît. Ses parents, originaires de l’Inde, étaient arrivés à La Réunion comme « engagés », à la fin du 19e siècle. Mariaye Coupou, le père, était préparateur de vanille, et tient à ce que ses 5 enfants reçoivent l’instruction à laquelle il n’avait pas eu droit lui-même, en tant que “paria”. Les enfants iront donc à l’école. Mais la mort de la mère, en 1906 - François Coupou a 11 ans - projette le jeune François dans le monde du travail.
Il commence par faire son apprentissage chez les gros préparateurs de vanille de Saint-Benoît et exercera ensuite ce métier pendant plusieurs années à Saint-André chez Raoul Loupy, Adolphe Biberon, Raoul Zelmar, Léon Gauche.
François Coupou est apprécié par tous comme un travailleur irréprochable.

Il suit les traces de son père, qu’il accompagne aussi quelquefois jusqu’à Saint-Denis, en charrette bèf, pour aller vendre quelques produits aux marchands de la ville. Un parcours de 45 km, effectué de nuit, qui a laissé au jeune garçon des souvenirs effrayés dont il fait plus tard le récit à ses propres enfants en leur disant sa volonté de ne pas « les voir passer par où il est passé ».
A la mort de Mariaye Coupou, François est toujours préparateur de vanille et traverse des années difficiles, surtout pendant la guerre de 1914-1918.
Il se marie en 1920 avec Anne-Marie Soupaman Soucramanien, originaire de Sainte-Suzanne. Dix enfants sont nés, dont seulement 3 ont vécu.

Le récit de sa vie, retracé dans une petite brochure parue après la mort de François Coupou, avec le soutien du Secours populaire, décrit les conditions de vie des travailleurs réunionnais de la première moitié du XXe siècle.
Il travaille de 3h du matin à 9h du soir, il construit lui-même la maison pour sa famille, sur un terrain près du “Petit Bazar” qu’il a acheté à l’un de ses employeurs, au prix d’immenses sacrifices. Il gagnait 6 francs par jour et réussit à acheter un terrain de 160 mètres au prix de 750 francs - le prix d’une tonne de riz de l’époque.
La famille Coupou vit à Saint-Denis de 1923 à 1958. François Coupou devient journalier, pendant deux ans, avant d’aller travailler comme colon pendant 10 ans chez un propriétaire de Saint-Denis, David Cotteret, qui a entendu vanter ses qualités.
En 1930, il est engagé comme garçon de bureau par un gros commerçant de Saint-Denis, Lionel de Tourris. François Coupou travaille toujours chez de Tourris, 28 ans plus tard, tout en continuant le travail de colon le matin, le soir et le dimanche.

Vers 1939, il mobilise toutes ses économies pour acheter un terrain, rue d’Après, avec l’aide d’une avance de son employeur, auquel François Coupou va rembourser chaque mois, pendant 3 ans et demi, l’équivalent d’une semaine de travail (environ 60 francs de l’époque), jusqu’à extinction de la dette. Ensuite, il construira la maison.
Pendant les années très dures de la guerre, François Coupou sera bazardier, tôt le matin, avant d’aller prendre son travail chez de Tourris. Il lui a fallu acquérir un local - rue Saint-Joseph - pour y établir le petit bazar tenu par sa fille aînée.

« Première victime du fascisme à La Réunion »

Le soir du 29 mai 1958, François Coupou est sauvagement frappé à la tête. Des témoignages de l’époque dirent avec quelle sauvagerie il a été frappé, alors qu’il était à terre, inanimé. Il fut transporté sans connaissance à l’hôpital, où il resta dans le coma jusqu’à son décès, le vendredi soir à 19h. François Coupou avait su inspirer l’admiration et le respect à tous ceux qui le connaissaient. La nouvelle de sa mort sema la consternation. Pour fuir ses responsabilités, le pouvoir colonial fit dire à la radio qu’il était mort « d’une crise cardiaque ».
“Témoignages” du 3 juin 1958 rapporte qu’il fut « veillé par sa famille et ses camarades, ses frères de travail, de misère et de lutte ». Il fut inhumé le dimanche suivant au cimetière de Saint-André où se trouvaient 7 de ses enfants.

Un “Cercle François Coupou” s’est constitué à l’initiative de quelques-uns de ses descendants, pour perpétuer la mémoire des victimes de la répression coloniale à La Réunion.
François Coupou a été, comme l’a écrit “Témoignages” à l’époque, « la première victime du fascisme à La Réunion ». Il y en a eu d’autres après lui, beaucoup trop : Eliard Laude, Ludger Landon, Edouard Savigny, Rico Carpaye... sont ceux qui ont payé de leur vie leur opposition pacifique à une période de violence politique que les jeunes d’aujourd’hui auraient tort d’oublier. Primo Levi n’a-t-il pas dit qu’« Oublier son passé, c’est se condamner à le revivre » ?

P. David

A l’invitation du Cercle François Coupou, une cérémonie commémorative aura lieu ce jeudi 29 mai 2008, à 17h30 à Saint-Denis, dans le parc situé à l’angle des rues Général de Gaulle et Jacob.
En cette année du 50e anniversaire, une cérémonie hindoue précèdera des interventions d’historiens et de politiques, puis des lectures de poèmes et un pot fraternel, vers 20h.


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