Résistance du peuple réunionnais à l’assimilation

80 % des Réunionnais affirment maîtriser le créole : une victoire du PCR et des militants culturels

8 juillet 2022, par Manuel Marchal

Une étude de l’INSEE permet de mesurer le chemin parcouru depuis la création du PCR : aujourd’hui 80 % des Réunionnais déclarent officiellement maîtriser la langue créole. Une telle affirmation s’exprimerait-elle de la sorte sans le travail de conscientisation mené par les communistes et les militants culturels ? La proportion de cette affirmation atteint même 94 % chez les Réunionnais dont les parents parlaient créole dans leur enfance. Néanmoins, le poids de l’assimilation reste présent car 6 % des Réunionnais ayant des parents créolophones ne maîtrisent pas cette langue, avec un pourcentage plus élevé chez les jeunes. C’est d’une part la conséquence de la croyance selon laquelle parler créole nuit à l’intégration dans la société et qu’il est obligatoire de parler français, et d’autre part d’un système éducatif qui favorise les francophones en refusant de reconnaître le créole comme langue d’enseignement : 25 % des natifs diplômés du supérieur ne maîtrisent pas le créole, contre 10 % de ceux qui ont un diplôme inférieur ou n’en ont pas du tour. La lutte contre l’assimilation reste un combat quotidien, notamment dans le langage.

Dans son numéro 70 d’INSEE-Analyses intitulé « Entre langue créole, musiques des Mascareignes et influence internationale », l’institut de statistiques publie une étude sur les pratiques culturelles des Réunionnais. Il y est notamment question de la langue créole. Premier extrait :

« Parmi les habitants de La Réunion âgés de 15 ans ou plus, 81 % déclarent maîtriser la langue créole. Dans toutes les tranches d’âges, la majorité de la population parle la langue créole, même si c’est un peu moins le cas des plus jeunes : 73 % des 15-24 ans déclarent parler la langue créole contre 83 % des 60 ans ou plus.
Le rôle des transmissions familiales et sociales dans la maîtrise de la langue créole est avéré : 94 % des Réunionnais auxquels les parents parlaient en créole durant leur enfance le parlent également. Plus que le fait d’être né à La Réunion, c’est la langue parlée dans l’enfance qui est déterminante dans la maîtrise de cette langue. Ainsi, 86 % de ceux qui déclarent cette pratique dans l’enfance et qui sont nés en dehors de l’île déclarent maîtriser cette langue, contre 70 % de ceux qui sont nés à La Réunion mais dont les parents ne leur parlaient pas la langue créole durant leur enfance. »

La contribution du PCR

Ceci indique donc que malgré le fait que la langue maternelle des Réunionnais ne soit ni langue officielle, ni langue d’enseignement et très peu présente dans l’espace médiatique, elle reste la langue principalement utilisée à La Réunion. Ce qui est notable, c’est l’affirmation des Réunionnais de cette pratique. Aurait-on imaginé pareil résultat sans le PCR et les militants culturels ?
Le PCR a fait de la reconnaissance du créole une des priorités de ses luttes. Cela s’est traduit par des nombreuses publications de textes en créole dès les années 1960 dans « Témoignages ». Aujourd’hui, grâce à Justin, Témoignages est le seul journal à publier tous les jours un éditorial en créole, « Oté », auquel s’ajoute l’explication d’un proverbe, « Kozman pou la rout ». Ceci rappelle que le créole est une langue capable d’être utilisée dans toutes les situations.

Un résultat qui n’allait pas de soi

« 81 % déclarent maîtriser la langue créole » : cela montre tout le chemin parcouru. Le PCR a permis d’éveiller les Réunionnais : ils sont un peuple ouvert sur le monde, avec une histoire, une langue et une culture. Ce fut une évolution décisive qui amplifia la lutte contre un complexe d’infériorité entretenu par la colonisation. La reconnaissance du créole comme langue des Réunionnais était loin d’être acquise et suscitait même des débats passionnés dans le Parti. Le PCR disait au Réunionnais qu’il ne faisait pas partie d’un groupe d’individus de seconde zone sans Histoire et qui devait tout à la France. Pour le PCR, le Réunionnais était membre d’un peuple riche de ses origines diverses et qu’il pouvait en être fier. Avec le PCR, le Réunionnais a peu à peu pris conscience qu’il ne venait pas de nulle part. Le créole est une langue qui a réussi faire communiquer des personnes originaires de trois continents rassemblées sur une petite île de 2500 kilomètres carrés soumise au régime colonial durant la majeure partie de son histoire. C’est une prouesse dont les Réunionnais peuvent être fiers.
Néanmoins, la maîtrise du créole est moins importante chez les 15-24 ans. Ce recul peut s’expliquer par l’importance d’une immigration récente qui n’est pas créolophone. C’est aussi la conséquence d’une croyance trop répandue : parler créole nuit à l’intégration dans la société, il est obligatoire de parler français et d’oublier le créole. Aussi, de jeunes parents créolophones ne parlent qu’en français à leurs enfants, car ils ont été persuadés que le créole était un obstacle à l’apprentissage d’une autre langue. Mais l’arbre est coupé de ses racines. Ce sentiment est entretenu par un système éducatif qui ne reconnaît pas le créole comme langue d’enseignement, cela fait l’objet d’un autre article.

Conséquences du néocolonialisme dans le langage

Enfin, il est à noter que malgré les efforts des collectivités pour appliquer la Charte de bilinguisme avec le soutien de Lofis la lang, le fait que le français bénéficie du statut exclusif de langue officielle fixe un cadre très rigide qui se répercute dans les mentalités. Rares sont les interventions en créole dans les assemblées politiques de haut niveau, et le français est la langue de communication quasi-exclusivement utilisée par les responsables politiques et administratifs pour rendre compte de leurs actions, même à l’oral.
Le contraste est saisissant avec nos voisins mauriciens par exemple. Un ministre ne va pas hésiter à s’exprimer en créole mauricien à la télévision, y compris dans un reportage diffusé par le journal en français de la MBC. Et que dire des Seychelles, où le journal télévisé de la chaîne publique est en créole seychellois.
Mais nos voisins n’ont pas subi le même régime colonial. Celui pratiqué par la France était l’assimilation. Le néocolonialisme qui lui succéda procède de la même logique. Les conséquences continuent de peser sur notre société et se manifestent par des mots ou des expressions telles que « Métropole » pour dire France, ou « je suis hors département » pour dire « je ne suis pas à La Réunion ». Avant l’arrivée de Debré à La Réunion en 1963 lors d’élections marquées par la fraude électorale massive qui dura encore de nombreuses années, les Réunionnais n’utilisaient pas le mot « Métropole », car il n’existe pas dans le créole. Ceci montre que le combat mené par le PCR et les militants culturels sera encore long, malgré des avancées indéniables.

M.M.

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