Musique de l’océan Indien

À la rencontre de Marclaine Antoine

30 mars 2005

Les Réunionnais le connaissent peu. Peut-être encore les amoureux de l’orchestre de l’hôtel de l’Europe, pour qui Marclaine Antoine, un artiste mauricien de grand talent, a joué dans les années soixante.

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"S’il est dans le moulin, il doit donc savoir faire du sucre", lance poétiquement Marclaine. C’est à 11 ans que sa passion pour la musique se révèle à lui, notamment la guitare. Né le 12 janvier 1946, à Port-Louis, dans une famille de musiciens, il est devenu, selon ses mots, "naturellement musicien". "Mes parents m’ont donné le privilège d’aller à la rencontre de musiciens plus âgés que moi", explique-t-il. Très tôt, il foulera de nombreux pays de l’océan Indien, dont le nôtre, pour travailler, c’est à dire faire de la musique. "J’avais quinze ans quand je suis venu pour la première fois à La Réunion. Je jouais avec un clown, Ripolin. Et depuis, je n’ai fait que ça", poursuit-il. Plus tard, il restera deux ans par intermittence à La Réunion, toujours pour faire son travail. C’était en 1963. Cette période a été marquée par son travail avec les orchestres Les Rive’s et de l’hôtel de l’Europe. Nous parlerons plus longuement tout à l’heure de cette deuxième formation. Pour les Rive’s, un groupe de Malgaches installés alors à La Réunion, Marclaine est à la basse à lancer du jazz dans une boîte dionysienne “l’Arc en ciel”, en face du Rixe. C’était en 1967.

Aucune trace et mille contributions

Aujourd’hui âgé de 59 ans, il peut se vanter d’avoir connu Madagascar, le Zimbabwe, le Kenya, le Mozambique, l’Ouganda, les Seychelles, l’Australie, Singapour, Rodrigues, et la France. À l’exception de la France, où il représentait l’Île Maurice aux premiers états-généraux de la francophonie, ses voyages se résument à la musique. Il sera difficile malgré cela de trouver une seule de ses compositions. Marclaine ne les a jamais enregistrées. Pourtant, il aura joué avec les figures de proues de la musique de l’océan Indien. À Maurice, lui l’arrangeur de son chez Capricorne, travaillera pour Cyrille Labonne, Jean-Claude Gaspard, Roger et Marie-José Clency, Serge Lebrasse, et consort. "Même jusqu’à maintenant, il y certains d’entre eux qui me demandent de venir jouer avec eux", note-t-il. "Je menais des orchestres, dont les Lord’s, mais aussi Stardust, qui signifie balayeur d’étoiles. On accompagnait les chanteurs vedettes", précise-t-il. Ainsi, il a participé à la création de nombreux disques, mais jamais il n’a enregistré de vinyles, de cassettes, ou de CD. Pourtant, une de ses compositions est très connue des Mauriciens. Compositeur de "Bel Bato", il l’interpréta lors d’un concours international, où il obtint le premier prix. "Je n’ai pas souhaité qu’on l’enregistre, à cause des pirates d’eau douce. Un jour, je le donnerais au patrimoine national", s’explique-t-il. L’homme ne veut pas faire un commerce de son art. Il est simple.

De l’hôtel de l’Europe au centre Jacques Tessier

Quand il en parle, il raconte le bon temps des années soixante. L’hôtel de l’Europe disposait d’un orchestre. "Rien qu’au niveau musical, tu ne peux pas comprendre l’effervescence que l’on pouvait ressentir", se souvient-il. Déjà, qualitativement, il n’y avait pas de comparaison possible, selon lui. "Cette période-là, je l’ai faite avec Roger Carpin, Roland Raelison, Ranglade, Decotte à écumer les bals la poussière, les mariages sous les salles vertes, avec toujours une table, sinon une pièce réservée pour les artistes". Le bon temps des années soixante ! Les temps changent. Dimanche 21 mars 2005 : Marclaine Antoine rencontrait d’anciens amis musiciens, à l’initiative d’Arno Bazin et du Pôle régional des musiques actuelles (PRMA). Marclaine retrouvait ainsi, de nombreuses années plus tard, au centre Jacques Tessier, à la Saline-les-Bains, le violoniste Fred Espel, le trompettiste Roger Carpin, le bassiste Henry-Claude Moutou, ainsi que sa sœur, la chanteuse vedette Marie-Armande Moutou. Danyèl Waro participait à la rencontre, ainsi que l’accordéoniste Alfred Vienne, les guitaristes Patrick Sidat et Daniel Lallemand. Marclaine Antoine n’aurait pu trouvé meilleur orchestre pour un dimanche. Peut-être aurait-il fallu qu’il soit aussi accompagné de Jules Arlanda, ou des deux frères Antameko, deux fins guitaristes qui tenaient un magasin de musique à Saint-Denis, ou encore Loulou Pitou, Claude Vinh-San, qui jouaient alors au Rio. Mais certains ont tiré leur dernière révérence, pour l’arrivée au grand panthéon des musiciens. "J’ai connu Luc [NDLR : Donat] lors de son passage à Maurice. Et puis, nous avons joué ensemble à l’hôtel Novotel à la Saline-les-Bains. J’allais l’écouter au Milord. Pour moi, Luc est un baladin, le ménestrel de l’océan Indien. Il est à noter qu’il a créé le lien entre les musiciens mauriciens et réunionnais. Les deux chanteurs réunionnais les plus connus à Maurice étaient alors Marie-Armande Moutou et Luc", souligne-t-il affectueusement. Bref ! ce vieux routard de la musique est une bibliothèque à lui seul, qui pourrait parler des journées entières de son parcours musical, nourri de mille rencontres enrichissantes. Avant-hier, il rencontrait au Trois Letchis, un restaurant dancing de La Montagne, les mêmes compères, les Lallemand, Moutou, Espel, Carpin et Lilian Técher étaient de la partie. Une rencontre privée, "pour chauffer la main, retrouver les accords des airs que l’on faisait anciennement". C’est ce genre de rencontre "utile" que Marclaine aime avoir, la guitare sous le bras.

"C’est l’enfer de toute façon"

Derrière ce brave musicien, se cache une histoire, dont nous faisions l’écho dès l’heure du premier acte. On ne peut faire l’impasse sur cette partie de sa vie, disons carcérale. Il connaîtra en effet l’ombre des prisons centrale et Richelieu, à Maurice. L’histoire est aberrante. Réputé pour sa gentillesse, sa jovialité, son honnêteté, on ne comprendra jamais le pourquoi de son arrestation et son emprisonnement. On lui reprochait la détention d’une vieille arme à feu, de collection, louée d’ailleurs à plusieurs reprises pour des pièces de théâtre à Maurice, via le Ministère des arts et de la culture. Comme il le dit, "un vieux fusil inutilisable, une vieillerie qui a toujours été sur mon mur". L’amertume qu’il gardait au début de cette malencontreuse histoire s’est estompée depuis. "En fait, je me suis dit que c’est la loi qui était mal faite", note-t-il avec philosophie. Au contraire, il donnera des concerts dans les deux prisons où il passera 7 mois de sa vie. Non pas qu’il s’agisse d’un moment idyllique, "c’est l’enfer de toute façon", où la drogue dure et le SIDA font des ravages. C’est la musique qui l’a permis de subsister, malgré l’adversité. Cette musique, il la raconte, la vit, joue avec elle. Vous auriez tôt fait de le rencontrer hier, à l’Université, pour une conférence sur le séga. "Séga, patrimoines oubliés" fait appel à notre devoir de préservation. Oyez ! oyez ! mélomanes avertis ou néophytes, amateurs convaincus de séga ou non, vous gagnerez à connaître un artiste, musicien-poète atypique.

Bbj


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Messages

  • Bonjour Marclaine, je tiens à te faire un petit coucou pour te dire qu’après de nombreuses années, je suis toujours musicien et c’est grace à toi que j’ai choisis cette profession qui m’a permise de voyager partout dans le monde, et par la meme occasion d’enregistrer des disques et d’etre devenu auteur-compositeur( sociétaire de la Sacem ).Je n’oublierai jamais que lorsque j’avais 15 ans, tu m’a fait connaitre les bases du métier et tu m’as permis de partir sur l’ile de la Réunion pour jouer dans un orchestre. Par hasard, je découvre que sans le savoir, j’ai suivis presque le meme parcours " du Maitre "... Bonne continuation, merci pour tout et longue vie à toi !! Mario Kissoon ! mariokissoon.com


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