PATRIMOINE

A-t-on exhumé le premier cimetière de Saint-André ?

27 octobre 2008

(Photo PD)

De jeudi à samedi, sur le littoral de Champ-Borne, à Saint-André, deux chercheurs - un historien et un archéologue - ont, sur une autorisation du service Patrimoine de la Direction des Affaires culturelles, mis au jour une deuxième fosse et un deuxième squelette du XVIIIe siècle, témoignant de l’existence de ce qui fut peut-être, entre 1695 et 1740 (date approximative de la première construction d’une église en bois), le premier cimetière de Saint-André.
L’historien, c’est Sudel Fuma, qui a alerté la DRAC à la suite de la découverte fortuite au début de l’année, par un pêcheur, d’un premier squelette (voir plus bas). L’archéologue est Thomas Romon, de l’INRAP - Institut national de recherche en archéologie préventive. Ils viennent de mettre au jour une deuxième tombe, « de type malgache » selon Sudel Fuma, en bordure de mer.


Entretien avec Thomas Romon, archéologue des sites funéraires :

Que nous apprend cette 2e tombe du XVIIIe siècle où vous venez de faire des sondages ?


- Lors de la découverte d’une première tombe, Sudel Fuma, avec son œil d’archéologue - bien qu’il soit historien - a tout de suite vu qu’il y avait d’autres ossements sur la plage, à côté. Il a tout de suite supposé, puisqu’il y avait une première sépulture, qu’il pouvait y en avoir une deuxième. Il a recherché l’avis d’un spécialiste.
Dans un premier temps, notre travail a consisté à nettoyer la coupe où Sudel avait trouvé les premiers ossements. On a vu apparaître en effet, dans la coupe, le creusement de cette fosse-ci. Et une fois la coupe nettoyée, on a travaillé “au-dessus”, pour aborder la tombe en stratigraphie, par le haut, en descendant. En allant du haut vers le bas, on remonte le temps des couches archéologiques en quelque sorte.

Qu’avez-vous trouvé ?

- Ce qu’on a trouvé ici, à notre grande surprise parce que c’est une première, c’est d’abord une sorte de “marqueur” de la sépulture, constitué d’un niveau de pierres plates, toutes calibrées de la même taille. Et surtout, agencées sur trois colonnes, au-dessus de la fosse qu’on avait repérée dans la coupe (il s’agit de “coupe transversale géologique” opérée dans la falaise par la houle-Ndlr). J’ai fouillé plusieurs cimetières aux Antilles, mais c’est la première fois que je trouve des pierres plates sur un corps. Je n’avais jamais vu ça. Il est vrai qu’il y a beaucoup moins de Malgaches aux Antilles qu’ici, les esclaves venant surtout de l’Ouest africain. De plus, aux Antilles, tous les rites africains ont été interdits et très vite perdus.
Notre premier travail a été de dégager, de nettoyer et de bien positionner cette première “structure”, faite de la main de l’homme. Nous l’avons dessinée, photographiée, pour enregistrer l’information. Ce travail fait, nous avons retiré les pierres, pour continuer à fouiller. Et là, deuxième découverte : un second niveau de pierres plates, mais cette fois sur une seule rangée, à 10-15 cm sous le premier niveau de pierres. Les pierres étaient un peu plus grandes, et toujours de même calibre, montrant un choix, fait par l’homme, de poser des pierres qui font juste la largeur de la fosse.

Est-ce un signe de rite funéraire ?

- On ne peut pas parler de rite funéraire, mais plutôt de “pratiques funéraires”. Et ce ne sont pas des pratiques chrétiennes. Mais à ce stade, ce qui nous intéresse est d’enregistrer de l’information et de descendre jusqu’au fond de la fosse. Nous avons fait le même travail que pour le premier niveau : dégager, nettoyer... dessiner, photographier, décrire... Puis cette deuxième assise de pierre a été retirée pour nous permettre de continuer à descendre. Et là nous sommes tombés sur une 3e rangée de quatre pierres, alignées les unes à côté des autres. Donc, même travail : nettoyage, photographie, dessins, etc... On a enlevé les pierres, on est descendu et là, nous sommes tombés sur les vestiges du squelette. Malheureusement pour nous, il est très mal conservé. Toute la partie supérieure (du corps - ndlr) a été détruite par l’attaque des éléments naturels, qui en même temps nous ont permis de découvrir ce site. Sans la mer, nous n’aurions pas eu l’idée de creuser ici.
Il y a deux raisons à la mauvaise conservation des ossements. C’est d’abord parce que l’individu n’a pas été inhumé dans un cercueil, mais posé directement dans la terre. Et aussi parce que nous sommes dans un endroit où il y a beaucoup de racines d’arbres, qui se nourrissent des composants de l’os.

Et le squelette lui-même, que vous apprend-il ?

- C’est un adulte - homme ou femme, on ne peut pas savoir - qui a été inhumé sur le dos, les jambes “en extension”. On ne sait pas comment étaient positionnés les membres supérieurs (ils ne sont plus là). On n’a pas non plus d’information sur les pieds, qui ne sont plus là. Or les pieds sont faits de beaucoup de petits os qui auraient pu nous en apprendre plus sur le milieu dans lequel le squelette s’est décomposé. Y avaient-il des chaussures, par exemple, marquant la position des os des pieds ? On ne le saura pas.
Mais les informations collectées, avec celles qui le seraient ultérieurement, si d’autres fouilles ont lieu, vont constituer une somme qui nous permettra de travailler. Par exemple, sur cette deuxième sépulture, nous n’avons aucune indication chronologique. Etant donné qu’elle est identique à la première, dans les pratiques, on peut considérer qu’elles sont contemporaines.

Pouvez-vous dater un squelette plus précisément que par l’indication qui le situe entre le XVIIe et le XVIIIe siècle ?

- Pour les périodes très récentes, non. A partir du 16e siècle, on n’a plus accès au Carbone 14 (qui marche très bien sur des squelettes plus anciens). Il n’y a pas d’autre information possible, dans une sépulture coloniale, que le mobilier associé, comme la pipe trouvée dans la première fosse. Mais en l’absence du rapport de gendarmerie, nous avons très peu d’information sur cette pipe (voir plus loin).


Sudel Fuma, historien :

Une découverte antérieure au premier cimetière paroissial
« Début 2008, un pêcheur est intrigué par une forme ronde dépassant de la falaise, qui ressemble à un ballon de foot-ball ! »
raconte Sudel Fuma. S’étant approché pour récupérer le ballon, l’homme s’est aperçu qu’il s’agissait d’un crâne humain. Affolé, il alerte la gendarmerie qui vient enquêter sur ce qu’elle croit être une scène de crime. Avec le squelette, les gendarmes trouvent une pipe. Ils expédient le tout à la police scientifique. La réponse arrive six mois plus tard : « Cette affaire ne vous concerne pas. Il s’agit d’un squelette et d’une pipe du 18e siècle » répond Paris, qui renvoie le sac d‘os et la pipe à la gendarmerie de La Réunion.
Informé par cette source, RFO interroge Sudel Fuma qui, en se rendant sur place, émet l’hypothèse de la présence d’un site funéraire, en raison des strates que la falaise laissait apercevoir et des quelques indices relevés : une prémolaire et des petits morceaux de crâne. Avec l’autorisation de Sylvie Réol, du service Patrimoine de la DRAC et l’accord de la municipalité, des sondes ont put être effectuées ce mois.


Quel est l’intérêt historique de cette tombe ?

- On sait très peu de chose des débuts de l’histoire de Saint-André. On sait qu’en 1705, il y avait, sur ce chemin colonial longeant la mer, une vingtaine de maisons, avec des Robert, des Dalleau... et des esclaves - même si officiellement l’esclavage n’est institué qu’en 1723.
Les pierres trouvées ici font penser à des tombes de type malgache. A Madagascar, où je travaille notamment avec l’archéologue Barthélémy Manjakahery, nous avons trouvé des inhumations de ce type, mais avec des monticules de pierres plus élevés. Jusqu’à 50 ou 60 cm au-dessus du sol.

Quelle peut être la suite de vos sondages ?


- Nous souhaitons qu’il y ait à l’avenir des fouilles programmées par l’Etat, sur ce site. Thomas Romon, avec qui je travaille déjà depuis 2 ans, a une grande expérience des cimetières coloniaux.

Peut-on dire que ce sont les premières tombes les plus anciennes mises au jour à La Réunion ?


- Des tombes en terre, oui. A Saint-Paul, après Gamède, on a trouvé aussi des squelettes anciens, en bordure de mer. Mais à Saint-Paul, c’était à proximité du cimetière et les corps étaient dans des cercueils. La grande différence de ces tombes-ci avec celles de Saint-Paul, ce sont les pierres posées sur le squelette. Et sauf si l’on trouvait des éléments ferreux attestant de la présence d’un cercueil, il s’agit plutôt d’un corps mis à même la terre.


Une pipe hollandaise

La pipe trouvée dans la première fosse est une pipe manufacturée venant soit du Nord de la France, soit de Hollande. « On en trouve un peu partout dans le monde, de ces “pipes hollandaises” datant du XVIIe - avec le tabac - ou du XVIIIe siècle » explique Thomas Romon. « Sur la pipe trouvée à Saint-André, il y a des initiales du fabricant, T.D. A partir de certaines mesures - l’angle entre le tuyau et le fourreau, le diamètre et la hauteur du fourreau - et ces initiales, on pourra retrouver dans les catalogues d’archéologie, la période à laquelle cette pipe a été fabriquée. Et c’est un indice chronologique fiable, parce que ces pipes en céramique étant très fragiles, elles avaient une durée de vie d’une dizaine d’années, guère plus » poursuit l’archéologue. « D’où l’expression : “casser sa pipe” » ajoute Sudel Fuma ! Et même les Malgaches ont pratiqué la pipe hollandaise depuis le XVIIe siècle, complète l’historien.


Sudel Fuma et Thomas Romon. « Notre rôle à l’INRAP est d’intervenir en amont de gros travaux (routes, lotissements...) pour vérifier la présence ou l’absence de vestiges archéologiques. Et d’intervenir avant leur destruction par les entrepreneurs » explique-t-il. Thomas Romon - qui vit en Guadeloupe et travaille dans les Antilles - est intervenu dans notre île à la demande de Sudel Fuma et sous le contrôle et la direction du ministère de la culture (DRAC). C’est un spécialiste du milieu funéraire colonial.

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