Festival du film d’Afrique et des îles

Afrique présente et rêvée

11 octobre 2004

Le “Festival du film d’Afrique et des îles au monde” a rangé écrans et caméras samedi soir, après une dernière séance au cinéma Casino autour d’un long-métrage du Camerounais Jean-Pierre Bekolo, “Le complot d’Aristote”, d’une originalité et d’une force comique, dans sa réflexion sur le cinéma et la vie, qui ont laissé au public le goût d’un événement à renouveler, en le bonifiant d’année en année.

La séance de clôture de la 2ème édition du “Festival du film d’Afrique et des îles au monde” a réuni au cinéma Casino du Port, outre un public conséquent, les deux jurys, les invités, les organisateurs et les institutionnels dont le soutien perpétue ce Festival du Port, unique par sa diversité et son ouverture sur le cinéma africain, trop rare sur les petits comme sur les grands écrans.
Pendant cinq jours, quarante films ont été diffusés, en trois lieux différents. Cette dispersion est peut-être un des points faibles sur lesquels les organisateurs auront à revenir, pour permettre l’année prochaine à un public plus nombreux de mieux se repérer entre les sites de projection.

Diversité

Après les remerciements des organisateurs, Nicol M’Couezou et Alain Gili, à tous ceux qui ont permis la tenue de l’événement - les soutiens logistiques, institutionnels ou privés, les équipes de techniciens et autres précieux concours - on en est venu au “palmarès” des jurys. Tsilavina Ralaindimby, au nom des invités, a d’abord remercié la ville et le festival pour leur accueil, souhaitant que "le festival apporte, dans les années à venir, d’autres très belles occasions de rencontres, aussi diverses".
Cette diversité, la conseillère pour le cinéma et l’audiovisuel à la DRAC, Françoise Kersebet l’a également soulignée, en relevant la particularité portoise parmi les quatre festivals de cinéma organisés dans l’île - avec Saint-Denis, Saint-Pierre et Saint-Benoît. Organiser un Festival du film africain et des îles, c’est "s’engager à soutenir des auteurs, des créateurs, des films indépendants, produits dans des économies fragiles". C’est aussi à cela que va le soutien de la DRAC dans ce type d’initiative, qui a "toute sa place au Port" comme l’a souligné l’adjointe au maire en charge de la culture, Marie-Paule Fanchin, en faisant part de sa satisfaction devant la grande originalité de la programmation.
En remerciement, la municipalité a offert à chaque invité un “bèrtèl” en vacoa tressé, souvenir de La Réunion.

Très grande fraternité

Puis vint le tour des présidents de jurys. Carpanin Marimoutou, président du jury “fiction” a exprimé toute la difficulté de faire des choix entre courts et longs métrages, entre des genres cinématographiques différents, des écritures différentes et très souvent toutes excellentes, ou presque. Son collègue Izéquiel Batista de Souza, président du jury “documentaire” n’était pas moins embarrassé. Ce Festival a comporté plusieurs “premières” - c’est une règle du genre.
Les prix des jurys sont allés, pour la fiction, à “Comedia infantil”, un drame mozambicain de Solveig Nordlung, avec une mention spéciale du jury pour “Petite lumière”, court-métrage d’Alain Gomis, qui a également réalisé “L’Afrance, programmé jeudi soir.
Pour le documentaire, le prix a été décerné à “Traces, empreintes de femmes”, de Ketty Lena N’Diaye et une mention spéciale du jury est allé à “Freedom is a personal journey”, de la Sud-africaine Akeidah Mohamed, dont les films présentés dans ce Festival ont tous de très grandes qualités.
La rencontre s’est terminée dans une ambiance d’une très grande fraternité, sans les frictions et aspérités que suscitent parfois la compétition, si modeste soit-elle. Nul doute que le Festival trouvera l’an prochain à se manifester dans de nouvelles rencontres et d’autres découvertes.

P. David


Festival, mode d’emploi

Inauguré l’année dernière sous sa forme actuelle, le Festival portois puise à une expérience festivalière déjà très ancienne, nourrie d’une curiosité tous azimuts, même si dans ses formes d’organisation, elle ne répondait peut-être pas à une activité “d’appellation contrôlée”.
Et malgré cette ancienneté, on peut regretter que le public ne se déplace pas plus nombreux pour l’événement, qui est une véritable fenêtre ouverte sur le monde. "Dans un Festival, il doit y avoir des films en compétition, des inédits, impliquant une notion de risque, et une ligne artistique, ce qui signifie qu’il faut faire des choix. Ce doit être aussi des films récents. Et enfin, un Festival doit rechercher et atteindre une dimension internationale", a précisé Françoise Kersebet, après la remise des prix. La DRAC intervient dans plusieurs financements croisés, en soutien à l’activité cinématographique. Elle appuie l’action d’une petite dizaine d’associations œuvrant à la diffusion et à la connaissance du cinéma dans l’île.

P. D


“Les aventuriers du Moyen-Ouest”, de Daniel Bansart.

Soutien aux sans-abris de Madagascar

La programmation du Festival a fait découvrir un documentaire sur l’action d’une association malgache œuvrant, avec le Franciscain Jacques Tronchon, pour l’installation de familles en milieu rural, sur des terres redevenues inexploitées... Celles qui avaient été dévolues autrefois aux “aventuriers de la Sakay”. Jacques Tronchon était présent dans le Festival, pour expliquer cette action et trouver les fonds nécessaires à son développement.

L’ASA (Association de soutien au sans-abris de Madagascar) a été fondée en 1991 par Jacques Tronchon, membre depuis 1973 de la fraternité franciscaine, et un groupe d’amis. Arrivé à Madagascar en 1980, Jacques Tronchon était, dix ans plus tard, toujours franciscain et professeur d’histoire à l’Université de Tananarive, en qualité de coopérant (88-92). C’est à ce moment qu’il créé l’ASA, en découvrant la situation de grande misère vécue par les populations de Tananarive.
Il propose pour commencer, la conduite d’une étude plurisdicplinaire sur la question des sans-abris à Tananarive. C’était aussi l’époque où le père Pedro commençait à mener son action à Kamaso. Deux ans d’enquête donnèrent naissance à un volumineux rapport, d’où est né concrètement le projet de l’ASA : permettre à des familles sans-abris de trouver une terre où s’installer.
Cette action comporte un volet “pédagogie et formation” à des activités rurales. C’est nécessaire, dit Jacques Tronchon, pour combattre le "climat d’insécurité et d’isolement, né du fait du mauvais entretien des voies de communication rurales". L’installation des familles se déroule en trois phases. La plus dure (trois ans) est celle au cours de laquelle les sans-abris doivent rompre avec “la rue” - c’est-à-dire leur statut de sans-abris - et la désocialisation qu’elle a fait naître chez eux. La deuxième phase (1 an) vient consolider la formation reçue lors de la première étape. Divers ateliers permettent l’acquisition de savoir-faire, qui seront ensuite réinvestis dans la construction des “villages”, qui constituent la troisième étape de la réinsertion. À la fin de la deuxième étape, les paysans malgaches savent s’ils sont prêts à partir pour le Moyen-Ouest. À environ 200 km à l’Ouest d’Antananarivo, des villages se construisent dans la région d’Ampasipotsy.

5 hectares par famille

"250 familles se sont réparties dans une quinzaine de villages. La moitié sont des sans-abris ; les autres sont des paysans sans terre, intégrés au projet" précise le franciscain. Leur objectif à tous : devenir propriétaires de leur lopin de terre (environ 5 hectares à chaque famille). Un contrat a été passé avec l’État malgache, pour la mise en valeur d’une concession de 20.000 hectares. Ce contrat dit qu’après au moins sept ans de mise en valeur, les familles pourront faire valoir leur droit à la propriété.
L’expérience ayant commencé sur le terrain en 97, les premières familles commencent à mettre en place les négociations avec les services des Domaines.
L’ASA a aussi un projet d’arboriculture fruitière, mais doit s’attacher dans le présent à combattre les dégâts causés par Gafilo, en mars 2004.
C’est aussi une des raisons du déplacement de Jacques Tronchon : trouver des fonds pour les besoins de l’association. 200.000 euros sont jugés nécessaires à la reconstruction, en dur, des maisons de pisé détruites par les caprices du cyclone Gafilo.
Le club Rotary de La Réunion (Saint-Denis, Saint-Paul) a rencontré le frère franciscain pour l’examen de plusieurs projets : des forages précédant l’adduction d’eau potable, ou encore l’extension du centre de santé d’Ampasipotsy (“le pays des sables blancs”), là où s’installent les villages.

ASAM (Aide aux sans-abris de Madagascar), présidée par le Dr. Jean Norbert Rakotomena, correspond depuis La Réunion avec l’ASA du frère Tronchon : tél. 0262. 24.82.27 (Trois-Bassins).
[email protected]


Afrique du Sud

Une vision du cinéma post-apartheid

Toutes les salles de cinéma ne connaissent pas le sort agité du cinéma Afrika dont Jean-Pierre Bekolo relate les soubresauts dans “Le complot d’Aristote”. Mais elles sont toutes travaillées par les questions les plus simples et les plus enchevêtrées, posées au monde dit “réel” par les armées de fantômes prêts à surgir de ses confins les plus improbables. Le Festival du Port a su en convoquer quelques précieux spécimens.
À commencer par la merveilleuse “Caméra de bois”, de Ntsahaweni wa Luruli, qui aurait bien mérité un prix elle aussi. Du même auteur Sud-africain, qui fut, dans sa période de formation aux États-Unis, l’assistant de Spike Lee, le public a pu découvrir un désopilant “Chicken biz’nis”, tourné à Soweto, qui aurait secoué de rire - s’ils avaient pu le voir - tous les quartiers populaires de La Réunion, décrits par procuration dans l’une des fièvres dominicales insulaires.

Le producteur de ces deux films, Richard Green, est un Sud-africain discret qui se voue, depuis les dix dernières années, à la découverte de nouveaux auteurs, dans le but de faire surgir de nouveaux récits, de nouveaux scénarii, susceptibles de régénérer le cinéma d’Afrique du Sud post-Apartheid. Par le passé, il a été réalisateur itinérant pour une chaîne de télévision Sud-africaine câblée, qui l’a envoyé à travers l’Afrique - d’Éthiopie en Algérie, au Kenya, à Zanzibar, en Tanzanie, au Malawi. À chaque déplacement, il trouvait un sujet, recrutait sur place une équipe d’acteurs, un assistant de production et l’équipement nécessaire. Un jour où son équipe était constituée, en Éthiopie, il dut demander à son pays un renfort logistique, le gouvernement ayant fait saisir tout le matériel quelques jours avant le tournage. Il réalisa néanmoins “The Father”, une histoire qui traite de la période Mengistu. Il a aussi tourné quatre films en Algérie, entre 1996 et 2002 et produit en tout, dans sa carrière, 32 courts-métrages et deux longs-métrages, dans une pratique patiente d’accompagnement créatif, en Afrique du Sud ou lors de son exil à Londres, à partir de 1975. L’un des premiers auteurs qu’il ait ainsi soutenu est le réalisateur Mannie Jan Kensburg - trop tôt disparu, suicidé
- avec qui il a produit une série de court-métrages inspirés des romans de Nadine Gordimer. L’événement marquant de cette période de la lutte anti-apartheid est la rencontre de Gorée entre une trentaine d’intellectuels afrikaaners et l’ANC. À leur retour, tous les intellectuels firent l’objet d’une étroite surveillance, dont Kensburg...

Peu avant la sortie de Nelson Mandela de prison, c’est “Taxi to Soweto” qui est venu témoigner des changements en cours dans le pays.
Richard Green vit aujourd’hui à Johannesburg, bien décidé à produire un film tous les deux ans. Le prochain sera dédié à John Kani, un intellectuel Sud-africain noir, dont le frère a été tué par la police. Acteur et auteur de théâtre, entre autres nombreuses activités de création exercées principalement avec le “Market Theater”, l’un des hauts lieux de la résistance à l’apartheid, il a écrit récemment “Nothing but the truth”, remarqué pour la critique lucide qu’il fait du gouvernement post-apartheid.

P. D


Présence sud-africaine

L’Afrique du Sud a été très présente dans le Festival du Port, avec de nombreux courts-métrages, dont les documentaires d’Akeidah Mohamed, les uns en compétition, les autres montrés dans la programmation “Africa-south Africa” du dernier après-midi.
Tous s’attachent avec une grande authenticité à révéler des parcours individuels dont l’exigence contribue à construire une part de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. “Freedom is a personal journey” met en vis à vis deux femmes emprisonnées du temps de l’apartheid. L’une pour activisme anti-apartheid, l’autre - qui se trouve être la tante de la réalisatrice - après un braquage dans une station service : deux personnages d’une force inouïe, qui expliquent - au fil d’interview réalisées sur autorisation spéciale d’une ancienne détenue... devenue directrice de prison, dans les centres de détention où elles ont séjourné autrefois - comment elles ont construit leur propre liberté dans l’univers carcéral.

Leur témoignage montre à quel point il ne suffit pas, pour être libre, de pouvoir aller et venir sans entrave dans ce monde de fous, ou de zombis. Combien les humains s’enferment plus facilement eux-mêmes dans d’invisibles prisons (les petites habitudes, les multiples contraintes auxquelles on se résigne sans les interroger ou en les interrogeant sans vouloir être dérangés par les réponses), qu’ils ne cherchent à réaliser leur potentiel de liberté, dans une œuvre individuelle et collective.
“Le baiser du Malawi” raconte le parcours d’une jeune musulmane sud-africaine qui découvre sa séropositivité au virus du SIDA, après la mort de son mari, survenue sept mois après leur mariage. La force de cette jeune femme la pousse à parler, dans la communauté des musulmans d’abord - dont elle bouscule au passage quelques tabous et la règle du silence qui valait aussi dans son propre milieu familial, comme dans l’ensemble du pays. Ce documentaire a suscité un large débat social, après être passé à la télévision, dans une série sur les femmes Sud-africaines.

P.D


“Tèt grenné, l’Afrance...”

L’Afrique et ses reflets

Parodie, comédie, tragédie, drame familial et social... les facettes multiples de l’Afrique noire et de ses diasporas ont donné au Festival du Port quelques-unes de ses plus belles œuvres de fiction.
“L’Afrance”, d’Alain Gomis, relate la spirale infernale dans laquelle sont aspirés les sans-papiers, parmi lesquels de très nombreux Africains que rien ne destinait au départ à un tel parcours. Ce film explore avec une grande honnêteté la région frontalière de la légalité/illégalité, où vivent de très nombreux étrangers en France, à commencer par tous les Africains dont le pays a été colonisé par les Français, et leurs imaginaires, façonnés par des mirages tenaces... Le “A” privatif de “L’Afrance” dit toute la cruauté d’un double processus de dépossession, dans les impasses de l’exil comme dans l’impossibilité d’une adaptation au pays d’origine.

C’est un autre malaise qu’explore Christian Grandman dans “Tèt grenné”, un récit familial filmé en Guadeloupe mais inspiré d’un fait réel, survenu en Bretagne, qui avait profondément interpellé le jeune réalisateur d’origine guadeloupéenne. Au cours de son enfance et de sa vie passée en France, l’expulsion d’un camp de gens du voyage avait défrayé la chronique, par les méthodes des autorités locales. Confronté à l’écriture par les questions surgies de son “héritage” antillais, Christian Grandman est allé raconter cette histoire en Guadeloupe, où est né le scénario de “Tèt grenné”, écrit avec Roland Brival, musicien, peintre et auteur antillais dont Christian Grandman avait découvert les livres à l’adolescence.

Ce film est l’expression de ce qu’un jeune auteur - qui se décrit lui-même comme "le pur produit de l’intégration voulue par ses parents", immigrés en France dans les années 50-60 - peut dire de la créolité qui le traverse, sinon malgré lui, du moins à son insu. À un certain moment de son histoire du moins. "Ce film dit ce que ce pays (la Guadeloupe - NDLR) m’inspire et comment j’ai envie de le raconter", a déclaré Christian Grandman à “Témoignages”, dans un bref récit de son parcours de cinéaste.
Il a commencé très jeune, au lycée, avec une bande de copains qui devient au fil des années un collectif de jeunes réalisateurs, les “Larduxiens(de “Lardux films”, une maison de production créée il y a une dizaine d’années.)
D’abord attiré par l’écriture, Christian Grandman se retrouve, à son corps défendant, co-gérant d’une maison de production. Mais c’est effectivement l’écriture qui le travaille et qui le met bientôt en relation avec d’autres auteurs et réalisateurs antillais, tels Guy Deslauriers ou Euzhan Palcy.
“Tèt Grenné” dit sa vision de la vie insulaire... qui n’est pas forcément celle que peuvent en avoir les insulaires eux-mêmes. Ce qui n’enlève rien à la qualité de l’écriture filmique et de la réalisation. Les histoires croisées des cinq personnages - trois générations - tous très bien interprétés, du scénario de “Tèt grenné” donnent une réelle intensité au récit, construit comme un huis-clos soumis à de fortes poussées extérieures, nées de la remise en question des liens tissés avec la France. Ce film, comme tant d’autres, aurait aussi mérité une distinction. Comment peut-on être jury ?

P. D


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