Parution d’un livre de Brigitte Croisier, 15 ans après la disparition d’un grand intellectuel réunionnais :

« Alain Lorraine, un homme de mille parts »

14 mai 2014

Ce mardi 14 mai à la Villa du Département à Saint-Denis, la professeure de philosophie et écrivaine réunionnaise Brigitte Croisier a présenté le nouveau livre qu’elle vient de faire paraître aux éditions MDA (Maison des Associations) du Port avec le soutien du Conseil général. Un livre consacré à la vie et à l’œuvre de ce grand écrivain, journaliste et poète réunionnais, Alain Lorraine, et publié à la fois pour mieux le faire connaître et pour lui rendre hommage à l’occasion de disparition il y a quinze ans.
Outre les nombreuses informations très intéressantes que donne Brigitte Croisier dans ce bel ouvrage, intitulé ’Alain Lorraine, un homme de mille parts’, celui-ci contient également de magnifiques photos et des textes de cet intellectuel réunionnais nous ayant laissé un message à portée universelle. Nous publions ci-après de larges extraits de la présentation par son auteure de cet ouvrage, préfacé par l’écrivaine réunionnaise Anne Cheynet, avec en page de couverture un dessin très symbolique réalisé par Geneviève Koenig, qui a illustré plusieurs ouvrages d’Alain Lorraine. Les inter-titres sont de ’Témoignages’.

Brigitte Croisier lors de la présentation de son nouvel ouvrage, "Alain Lorraine, un homme de mille parts".

Alain Lorraine est décédé à Paris, le 18 mai 1999, il y a 15 ans. La parution de cet ouvrage aujourd’hui se veut un acte de mémoire.

Né à Saint-Denis en novembre 1946, quittant son île natale à l’âge de 12 ans avec sa famille à destination de Bordeaux pour ne cesser, dès lors, d’aller et venir entre ici et là-bas, il vécut en "vagabond de l’existence". Une trop courte vie, un chemin de galets où ses paroles éclatées nourrissent un fanal qui brille encore.

Il s’est fait connaître en 1974 par le recueil poétique "Tienbo le rein, Beaux visages cafrines sous la lampe", pour lequel il obtint le Prix des Mascareignes. Mais la renommée de cette première œuvre, qualifiée de poésie engagée, a pu éclipser la diversité de son inspiration et de sa production. Outre d’autres récits poétiques, il publia des essais sur les chrétiens et l’émigration réunionnaise ainsi que des nouvelles, écrivit une pièce de théâtre pour le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, initia un film sur les religions populaires, accompagna de ses mots les œuvres de ses amis, photographes ou sculpteurs. Et puis, Alain Lorraine s’est constamment investi dans son activité de journaliste (en particulier "Témoignage Chrétien de La Réunion", "Fanal", "Présence réunionnaise").

De nombreux hommages

Aujourd’hui, 15 ans donc après sa disparition, comment apprécier l’écho de son œuvre ? Il n’est pas toujours facile de se procurer tel ou tel de ses livres. Certains écrits sont restés inachevés. Alain Lorraine est pourtant présent dans le cœur de celles et ceux qui ont croisé sa route. Au cours de ces dernières années, de nombreux hommages lui ont été rendus, souvent à l’initiative d’Anne Cheynet. Des écoles (Le Moufia, La Possession) et une bibliothèque (Saint-Denis) portent son nom. Sa vie et son personnage ont inspiré un roman à son ami journaliste Bruno Testa ("Dépression tropicale", Quidam Editeur, 2004) : on le reconnaît sous les traits d’un dénommé Marrone.

Des universitaires ont abordé tel ou tel aspect de son œuvre dans des études générales dédiées à la poésie et la littérature réunionnaises ou lors de colloques. Mais aucun ouvrage ne semble avoir été consacré à l’ensemble de son parcours et à la totalité de son œuvre. Il était donc important de restituer au public cette figure d’intellectuel dans toute sa créativité, comme l’annonce le titre "Alain Lorraine, Un homme de mille parts", expression inspirée de l’ouvrage "La Réunion, île de mille parts" (photos de Philippe Dupuich, textes d’Alain Lorraine).

Un développement réunionnais

Dans cet objectif, une bonne partie de ce livre restitue son itinéraire, reconstitue son itinérance, son vativyin entre ici et ailleurs, qui lui donne des airs d’un Ulysse métis. Chemin de vie riche de rencontres, chemin de création fertile en intuitions. Ensuite, est abordée sa poésie qui mêle la révolte et l’amour. Puis, est racontée son expérience au mouvement Témoignage Chrétien de La Réunion et au journal éponyme, une expérience qui lui a permis de découvrir les "religions populaires".

À partir de cette découverte, il a construit la notion de « culture de la nuit, culture du fénoir… du fait noir ».

Le livre s’achève sur des propositions visant un développement réunionnais en liaison étroite avec la culture créée et transmise de génération en génération.

Outre la lecture de l’ensemble de l’œuvre disponible, y compris celle d’inédits, une trentaine d’amis/es et de membres de sa famille ont été rencontrés pour apporter leurs témoignages, donnant ainsi à l’ouvrage la vibration du vécu. Enfin, une série de photos parsemant le livre nous livrent les différentes figures d’Alain Lorraine, de l’enfance aux derniers mois de sa vie.

Genèse du projet

Je dois dire que le projet d’écrire ce livre a suivi des chemins inattendus. En 2011, j’ai publié un récit de vie, "Ailleurs est ici" (Océan Editions). Un ami, Arnaud Sabatier, a repéré plusieurs apparitions dans mon récit d’Alain Lorraine, rencontré en 1977, peu après mon arrivée à La Réunion, dans le mouvement Témoignage Chrétien de La Réunion. Il est vrai que je lui dois d’avoir approché les femmes réunionnaises grâce aux interviews qu’il m’a confiées. Arnaud Sabatier m’a alors demandé de tenir une conférence dans le cadre des Rencontres de Bellepierre, au théâtre du Grand marché, à Saint-Denis (25 octobre 2012), puis d’écrire un livre.

Ce faisant, j’ai l’espoir de redonner une présence vive à cet intellectuel qui avait l’art de voir derrière le rideau des apparences, « derrière le rideau de cannes », qui avait l’art d’entendre ce qui vibrait entre les mots, entre les lignes, l’art de faire parler ce qui n’osait se dire. Son amour des mots, sa manière de jouer avec eux font de sa pensée une pensée poétique, quel que soit le sujet abordé.

J’ai souhaité qu’Anne Cheynet préface cet ouvrage, car elle fut en quelque sorte sa sœur en poésie, et elle a exprimé leurs échanges avec une émotion communicative. De même, j’ai apprécié que Geneviève Kœnig accepte de dessiner la couverture, en mémoire de "Tienbo le rein" illustré par ses soins en 1974. Et si le banyan, déjà présent en ce temps-là, a mêlé son feuillage, ses branches et ses racines aériennes aux cheveux d’Alain Lorraine, c’est pour dire la fertilité de ses paroles et la permanence de sa pensée poétique.

Enfin, ce projet a pu être mené à terme grâce au soutien du Conseil général de La Réunion qui, dans le passé, a plusieurs fois aidé à la publication de plusieurs ouvrages d’Alain Lorraine lui-même. Qu’il en soit remercié !


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