350ème anniversaire du peuple réunionnais
Alexis Miranville : « Saint-Paul, berceau du peuplement de La Réunion »
4 juillet 2013
Comme l’avait proposé le Parti communiste réunionnais dans des appels lancés le 10 mai et le 30 septembre 2012, depuis le début de cette année, notre peuple célèbre le 350ème anniversaire de sa naissance en 1663. Des actions très diverses sont organisées à cette occasion par de nombreuses associations et institutions dans toute l’île. Et elles vont continuer tout au long des six mois à venir. À la fois pour commémorer cet événement, pour connaître notre histoire durant ces 350 ans, pour tirer des enseignements de ce parcours et pour construire notre avenir en citoyens libres et responsables.
Dans cet esprit, le 15 juin dernier, l’historien réunionnais Alexis Miranville a tenu une conférence-débat à la Chapelle Pointue de Villèle (Saint-Gilles les Hauts), organisée par le Musée de Villèle et par le comité Ouest de la SMLH (Société des Membres de la Légion d’Honneur). Le thème de cette conférence était intitulé : « Saint-Paul, berceau du peuplement de La Réunion ». Alexis Miranville nous a envoyé une présentation de son exposé — avec des documents d’archives —, que nous publions ci-après. Et ’Témoignages’ le remercie pour l’envoi de sa contribution à cette célébration.
Mon propos n’était pas de parler des 350 années de l’histoire du peuplement de notre île — un sujet trop vaste pour être traité en une heure —, mais seulement de ce que l’on commémore précisément cette année, à savoir : le début de ce peuplement, en 1663, et donc les premières occupations humaines de Saint-Paul.
Une baie très accueillante
J’ai conventionnellement limité la période concernée au 1er décembre 1674, date de l’ordonnance du gouverneur La Haye, qui avait décidé d’interdire tout mariage entre Blancs et Noirs, parce que, selon ce gouverneur, « cela dégoûterait les Noirs du service » et que « c’est une confusion à éviter » . Cette date, à mon sens, marque ou annonce le début de la réalité des discriminations et de l’esclavage dans notre île, même si des mariages mixtes ont continué à être conclus jusque dans les années 1680.
Mais avant d’aborder plus précisément cette période 1663-1674, j’ai d’abord voulu fixer le cadre géographique du début du peuplement de La Réunion, et ce, à partir de documents anciens (récits de navigateurs, cartes et plans, témoignages des exilés qui ont résidé dans l’île de 1646 à 1649, puis de 1654 à 1658, etc.). Des documents dont il ressort clairement que la baie de Saint-Paul (site de la Caverne surtout) était autrefois un lieu accueillant, très fréquenté et prisé des navigateurs pour l’abondance et l’excellente qualité de son eau douce.
Ainsi, sur le plan de Saint-Paul dressé en 1719 par le Major Étienne de Champion, membre du Conseil provincial de l’île, on voit l’emplacement de la falaise et des cavernes avec, signalé par un numéro reporté en légende, un "Bassin où les navires font l’eau". (Voir ci-après l’extrait du plan de Champion)
Dans la première partie de mon exposé, j’ai voulu montrer qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce que ce soit en cet endroit que se soient installés et aient séjourné (ensemble dans un premier temps) les deux Français (dont Louis Payen) et les dix Malgaches (dont trois femmes) qui ont débarqué dans notre île en 1663 pour la peupler.
Le rôle pionnier de deux Français et de dix Malgaches
S’il faut reconnaître aux deux Français le mérite d’avoir conçu et commencé la mise en œuvre du premier projet de peuplement définitif de La Réunion, il faut saluer encore plus le courage de ces dix Malgaches, pour leur rôle de pionniers : ils ont tout abandonné dans leur pays pour venir vivre dans une île déserte. Contrairement aux deux Français qui sont repartis dès 1665, les Malgaches ont ainsi constitué le premier noyau de peuplement de cette île.
Peu de temps après leur installation à Bourbon, les dix Malgaches s’étaient enfuis dans les Hauts, abandonnant Payen et l’autre Français en baie de Saint-Paul, accomplissant ainsi, bien avant la lettre, le premier acte de marronnage de la colonie.
En 1665, ils ont opposé une vaillante et victorieuse résistance aux hommes armés envoyés par Étienne Regnault, qui venait d’arriver dans l’île à la tête des vingt premiers colons français et qui dut leur accorder l’amnistie pour obtenir leur reddition. Les colons français venus avec Regnault s’étaient établis au Nord-Nord-Est de l’étang, au Tour des Roches. Par la suite, lorsqu’il fut abandonné, cet endroit prit le nom de Vieux Saint-Paul. (Voir ci-après le second extrait du plan de Champion)
Le métissage de la population a commencé très tôt
Autre fait marquant de ce début du peuplement de La Réunion : le métissage de sa population a commencé très tôt. Parmi les Français arrivés en 1665, en 1667 et en 1671, nombreux sont ceux qui avaient déjà ou ont épousé une femme malgache ou indo-portugaise.
À partir des travaux de chercheurs réunionnais, Jean Barassin (1911-2001) et Camille Ricquebourg (1911-2010) notamment, qui ont dépouillé d’anciens actes d’état civil, on peut aujourd’hui établir avec une grande part de certitude l’identité de quelques-uns des premiers habitants définitifs de notre île.
Les sœurs Caze, premières femmes réunionnaises
Deux des sœurs Caze (Malgaches) sont arrivées probablement en 1663 avec Payen.
Elles sont devenues chacune les épouses respectives de deux des Malgaches du groupe :
1. Marie Caze, épouse de Jean Mousse.
2. Marguerite Caze, épouse d’Étienne Lambouquiti.
Le troisième couple formé par les Malgaches arrivés en 1663 serait, selon toute probabilité, Marie-Anne Finna et Antoine Haar.
Trois autres sœurs Caze sont arrivées après 1663, probablement en 1671.
1. Anne Caze (Malgache) épouse (à Madagascar) de Paul Cauzan (Français).
2. Marie-Anne Caze (Malgache) épouse (vers 1680) de François Rivière (Français).
3. Jeanne Caze (Malgache) épouse de Gilles Leheretchi (Malgache).
Les dix Malgaches avaient rejoint le groupe des colons français, sur la promesse d’Étienne Regnault qu’ils ne seraient pas punis. Mais par la suite, lorsque l’odieux système de la servitude fut progressivement institué, puis codifié (1685 pour les Antilles et 1723 pour Bourbon), certains d’entre eux se sont retrouvés comme esclaves, ainsi que leur progéniture.
Trois des sœurs Caze ont pu échapper à cette triste condition, grâce à leur mariage avec un Français. Il en est ainsi de Marie, Anne et Marie-Anne. La première, après la mort de son époux malgache Jean Mousse, épouse le colon Michel Frémont, arrivé dans l’Île en 1686. Il en est de même pour Marie-Anne qui, vers 1680, épouse en premières noces François Rivière. Et enfin, Anne qui, devenue veuve de Paul Cauzan, devient l’épouse de Gilles Launay, en 1678. Quant à Jeanne et à Marguerite Caze, elles finiront comme esclaves ; mais, triste consolation, chez leur sœur Anne, épouse Launay.
Alexis Miranville