Obsèques du Rwa Kaf à Sainte-Suzanne

« Atansyon zot la di le Rwa Kaf la parti »

28 juillet 2004

Pourtant, le Rwa Kaf s’en est allé. Et c’est nombreux qu’ils sont venus lui rendre un dernier hommage hier à l’église de Sainte-Suzanne. Parce qu’il a porté tout un pan de notre tradition, de notre culture. Ali minm nout zarlor. Et on n’oubliera jamais toute cette culture qu’il a gardée et transmise pour les générations futures. « Non, maloya la pa mor. Rwa Kaf i kontinié son maloya », la di le prinss.

Déjà lors de la veillée mortuaire, le ton était donné. Famille bien évidemment, artistes, militants culturels, avec la population sainte-suzannoise et réunionnaise en général, venaient tour à tour saluer le grand homme, même s’il s’illustrait par son humilité et son authenticité, nous diront ses proches.
Mais c’est surtout le maloya que l’on entendait dans l’arrière-cour qui donnait le frisson, et illustrait la grandeur et tout le respect que l’on portait à Gérose Barivoitse, ce journalier agricole de Sainte-Suzanne, chanteur de maloya depuis plus de 60 ans, fonnkézèr dépi toultan.
Seulement accompagné de battement des mains, c’est un peu un service kabaré que l’on offrait au Rwa du maloya, au gardien de nos sources malgaches, au passeur d’authenticité, de kréolité, de réunionnité. Cela avec une telle simplicité.
Au cours de la veillée, on retrouvera les voix des maloyèr en vogue, qui ne nous cacheront sûrement pas toute l’influence qu’a pu avoir le Rwa Kaf sur leur parcours artistique. C’est ainsi que l’on entendra Danyèl Waro, Fabrice Ramaye (Destyn), Axel Sautron (7 Po) reprenant les chansons du Rwa, ou livrant leur fonnkèr à "celui qui est entré dans le monde des "Zanahary" (ancêtres)".
Hier après-midi, c’est une toute autre émotion qui se dégageait du dernier voyage du Rwa, vers la nécropole sainte-suzannoise. La procession d’anonymes qui l’emmène vers l’église est suivie d’une autre procession, constituée cette fois d’artistes, chantant comme les chœurs de Josaphat. La population de Sainte-Suzanne était là. "Les vieux dalons du Rwa", nous confie un proche. Quelques personnalités sont présentes. On reconnaîtra la députée Huguette Bello, Dominique Dambreville, Alain Courbis du Pôle régional des musiques actuelles (PRMA), Firmin Viry, et tant d’autres d’ailleurs.
Le plus important n’est pas là. "Le Rwa Kaf lé mor, son kor va may ansanm la tèr, mé son lèspri sra touzour la, po toultan", dira Firmin Viry devant l’assemblée, tout en demandant à la famille de continuer son maloya, à le faire entendre, et sans ménagement.

Mès an kréol po le Rwa

C’est un enfant de Bagatelle (Sainte-Suzanne), le père Dominique Joséphine, qui officiait en cette occasion, sous recommandation de Mgr Gilbert Aubry lui-même. Déjà aguerri au kréol réyoné, le Père fait un prêche mémorable dans la langue qu’aura servi à défendre le Rwa. Un prêche "presque révolutionnaire", entend-on à la sortie de l’office de la bouche d’un universitaire.
Lecture de la Bible en créole, cantiques en créole, messe en créole. Tout cela pour dire "mèrsi po la konfyanss dan le pèp La-Rényon. (...) Granmèrsi Rwa Kaf po sak ou la fé", "nana 83 z’an, in marmay i énèt san konèt vréman kosa li sava aporté", dira le prêtre.
"Po tout in pèp, po tout la nasyon rényoné", entendra-t-on encore. "Nou pèrd in gran bononm, sak i port tout in gran tradisyon maloya pa an dantèl", confiera tout simplement son grand dalon Firmin Viry.
Oui, tous s’entendaient sur l’apport inconditionnel d’un maloyèr exceptionnel, "tout sak Rwa Kaf la pa gard po li", poursuivra le père Joséphine. "Pri po out pèp, po out zanfan rényoné", demandera-t-il au Rwa lors d’une prière. Lui, le Rwa, qui sans nul doute entonne déjà des maloya du ciel, pour que cette tradition se perpétue dans le cœur de son pays, le cœur des Réunionnais.

D’une contribution sans précédent

À entendre le maloya "gospel" de Danyèl Waro - chanté le temps de trouver une clameur d’Alléluia -, on sait que le Rwa Kaf a contribué à la renaissance du maloya, lui qui chantait déjà sur les exploitations coloniales dans les années 1940. Il a donné goût à plusieurs générations de chanteurs de maloya.
Suivront des témoignages de reconnaissance à ce Père, qui a porté la mémoire du Kaf. N’était-il pas le Rwa Kaf ?
Souppah Gilles (hiphopèr) et Joëlle Marimoutou (proche de la famille) livrent leur regard de jeunes sur cette figure emblématique de notre tradition réunionnaise. Pour eux, c’est un Rwa qui laisse une grande voie à toutes les générations futures, pour peu que nous sachions à notre tour transmettre toute cette tradition gardée par le Rwa et sa famille.
"Nous devons redoubler de confiance", livre le Père à l’assemblée. C’est encore ce que dira Christian Barat (universitaire).
Bref ! Le Rwa Kaf est parti, mais il n’est pas vraiment mort. Son maloya parle encore pour lui, et parlera toujours. Tous s’accordent à le dire. Ils sortiront silencieusement emmener le Rwa vers sa dernière demeure. Il y avait foule lors de la mise en terre, même si la pluie cherchait à taquiner les nombreux amis du Rwa. "Non, Bondié osi nana le drwa plèr in Rwa", confiera un vieil homme, "É akoz pa le Rwa Kaf, nout Rwa Kaf ?".

Babou B’Jalah


Réactions

Nassimah Dindar : "C’est un artiste majeur qui s’en va"
Nassimah Dindar, présidente du Conseil général : "(...) Le Rwa Kaf nous a quittés. Avec lui, c’est un artiste majeur de La Réunion qui s’en va.
Sa grand-mère, malgache, lui avait transmis les rythmes et les accords de cette musique en même temps que la tradition orale de ses ancêtres, fondement de son identité.
Conteur et messager d’une tradition, pilier aux côtés de Firmin Viry et de Gramoun Lélé d’un maloya qui s’exprime notamment autour de la tradition du service kabaré, il a su transmettre la flamme aux générations actuelles de musiciens. Avec Danyel Waro et Étienne Bob, il a été parmi les premiers musiciens de La Réunion à se produire sur la scène des Musiques Métisses à Angoulême, en 1984, et à offrir aux médias nationaux une première confrontation avec le maloya. Il a ouvert une nouvelle porte pour notre musique.
Il a été également le premier musicien réunionnais à enregistrer en 1992 un CD de maloya “Somin galisé”. Si depuis une décennie, les musiciens de maloya de La Réunion se sont essayés à des arrangements plus modernes et technologiques, la musique du Rwa Kaf restera une référence, pour tous ceux qui venaient régulièrement prendre conseil auprès de lui.
Que son souvenir continue à vivre dans la mémoire de notre île, dans ses créations, dans la parole qu’elle veut faire partager au monde."

René-Paul Victoria : "Une grande voix du maloya qui s’éteint"
René-Paul Victoria, député Maire de Saint-Denis : "(...) Avec sa disparition, c’est une grande voix du maloya et de la culture réunionnaise qui s’éteint. Porteur d’un maloya authentique, le Rwa Kaf fut l’un des premiers à imprimer cette musique sur un CD. Ce qui lui valut une audience au-delà des frontières de notre île et d’être honoré au niveau national et international. Le Rwa Kaf fut également un défenseur infatigable des racines réunionnaises malgaches et, à ce titre, il a contribué au rapprochement culturel entre les deux îles.
À son épouse, à ses enfants, à sa famille et à ses proches j’adresse mes profondes condoléances et toute ma sympathie".

Willy Philéas : "In kou dir pou lo maloya"
Willy Philéas, fils de Gramoun Lélé était tout aussi choqué. Voisin du Rwa Kaf il n’a cependant pas eu trop l’occasion de jouer avec lui. Il garde des souvenirs d’enfance, de servis kabaré, de 20 désanm, de morceaux malgaches. "La sé in gro morso de nout rasin ki sa va" déplore-t-il, "Rwa Kaf té shant ankor bann morso langaz, lu té port in gro mésaz, nou inkline devan sa. Gramoun lé paréy, lé soné. Ant zot dé lavé touzour in gran respé. Zot lé reprézantan, in pé kom in prét. Zot nana tout lo bann mémoir, tout bann koman lontan té fé bann ritiél. Sé zot ki détien sa. Sé in gran bibliotèk i sa va. In kou dir pou lo maloya. Dann servis kabaré na télman l’abitid antann son voi. Nou la may de loin, mé moin la kan minm antann banna. Lé émouvan. Pou moin a sak fwa moin la vi a li, maximum respé. Kan bann granmoun té anbrass, gro frisson té si moin, té inprésionan, i dégaz in réspé".

Kan@l Rénionité salue la résistance et le courage du Rwa
Le collectif d’associations identitaires (Radio Pikan, Mèt Ansanm, Lantant Valval, Lantant Maloya, Zanbos, Zantak, Kiwawa, Bwa’dfèr), regroupé au sein de Kan@l Rénionité, présente ses sincères condoléances à toute la famille du Roi Kaf, à sa femme et à ses enfants :
"Le collectif d’associations identitaires apprend avec tristesse et grande émotion la mort du Roi Kaf. Nous saluons un haut personnage de la lutte des réunionnais pour la reconnaissance de leur culture et de leur identité. Nous retenons la résistance du Roi Kaf comme dans la grande lignée des noirs marrons (Simandef, Dimitile), dans l’affirmation identitaire mais surtout dans la reconnaissance de notre part Kaf ; ainsi que le courage d’un homme de vivre son kalité à une époque, non entièrement révolue, où les préjugés racistes et néo-colonialistes méprisaient les hommes et les femmes de ce pays, notamment tout ce qui pouvaient rappeler nos origines africaines et malgaches.
Le Rwa Kaf ou la trass po nou in shomin. Nou tiembo, nou larg pa."


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Messages

  • Lo RWA KAF c’était mon oncle du second degrés c’était une personne au grand coeur qui nous a beaucoup apporté je l’ai connu pendant son heure de gloire mais aussi pendant sa maladie et il a beaucoup apporté à toute la famille.
    Que son ame repose en paix au côté de son épouse car il le mérite.


Témoignages - 80e année


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