Autour du premier Festival international de la Créolité

9 décembre 2006

Suite au Festival International Créole de Maurice et aux articles parus dans la presse, un de nos lecteurs nous fait part de ses réflexions à propos de la créolité. “Témoignages” se voulant un espace de débats d’idées, nous ouvrons nos colonnes à cette première contribution.

Créolité, coolitude, créolisation : les imaginaires de la relation - 1 - par Khal Torabully.

Les réflexions que j’ai pu lire ci et là sur la notion de la créolité à Maurice, dans le sillage du Festival créole, laissent enfin surgir les prémisses d’un débat que nous aurions pu avoir depuis longtemps, et qui aurait été salutaire dans ce pays "arc-en-ciel", qui se vante d’être le carrefour de toutes les civilisations (même si certaines sont absentes de notre île).
Je ne prétends pas épuiser le sujet, mais je me permets de rappeler mes propos publiés, il y a bientôt 10 ans dans “Week End”, où je parlais du code mosaïque, d’un désir de certains bien-pensants de l’étouffer dans le non-dit et l’understatement, et de la nécessaire complexité à prôner, par la coolitude, en matière identitaire, car l’île est marquée par de grandes souffrances encore à discursifier... En ce sens, créolité, coolitude et créolisation se doivent de dialoguer.

Créole, une des définitions

Le mot créole, à lui seul, devrait indiquer ce qui est à l’œuvre dans ce terme, une fois dénoué de ses attaches ethniques, dans le contexte mauricien. En effet, suivant une des étymologies de "créole", probablement d’origine portugaise, provenant de "crioulo", repris en criollo par les Espagnols, en 1690, Furetière écrit : « CRIOLE : C’est un nom que les Espagnols donnent à leurs enfants qui sont nez (né, je rétablis l’orthographe) aux Indes ».

Comprenons cette définition : les Indes, ici, c’est le terme reproduisant l’erreur de Colomb, qui pensait découvrir les Indes, alors qu’il était aux Caraïbes. C’est, par extension, tout territoire hors d’Europe, et pour moi, dans ma poétique, les Indes en voyage, un espace de la diversité en mouvance, inscrit dans le discours de la découverte et de l’imprévisibilité.

On comprend, dans la coolitude, comment le créole, qui est l’européen/africain/mulâtre né hors de la terre ancestrale, acclimaté à sa terre d’accueil, devient un créole, un "autre" en quelque sorte...
Est créole, par extension, tout être qui naît loin de ses terres d’ancêtres ou tout être entré en relation avec d’autres cultures, au point de donner d’autres configurations à la culture/aux cultures d’origine. En ce sens-là, nous sommes tous créoles à Maurice.

On pourrait arguer que le débat s’arrêterait là, s’il n’y avait la créolisation, concept mis en avant par Édouard Glissant, pour mettre l’accent sur le processus de la mise en relation entre cultures différentes, sans qu’aucune ne soit prédominante et sans que ce processus reçoive un terme. En effet, Glissant considère la créolité, au vu de certaines de ses configurations sociales, politiques et culturelles, comme « une espèce de régression » de la créolisation. La coolitude s’efforce donc de fluidifier l’égalité dans la mosaïque créole qui est à mettre sur le métier à « métisser », et de restituer le processus à son mécanisme, tout en prenant soin de discursifier une mise en relation encore à établir.

Réflexions sur des articles parus au lendemain du Festival Créole

“Décryptage”, un article de Rabhin Bhujun, publié dans “l’Express” du 3/12 /06 dit bien les interrogations soulevées par les termes créoles et créolité à Maurice. D’abord, Bhujun dit son étonnement de recevoir une carte en créole de la part de l’État mauricien, pour une conférence “lor tem : ki kreolite ?”. Ce qui l’interpelle, c’est la langue créole accolée aux symboles du pays. A partir de ce choc, l’auteur se tourne vers une autre facette du signifiant "créole" : l’identité ethnique d’un groupe de Mauriciens, faisant partie de la population générale.

Cette dichotomie : langue commune, lingua franca opposée à l’identité restrictive interpelle Bhujun : « Car malgré les mille définitions que donnent dictionnaires, encyclopédies et recherches universitaires du mot créole, aucune ne sonne juste. Aucune ne semble correspondre à cette réalité si complexe que nous vivons à Maurice ».
Oui, dans cet écart, s’induit une relation obligée avec la complexité, en conflit avec les identités ataviques, dites transparentes, pures ou simples, et même avec les facettes créoles d’autres espaces géographiques. Bhujun se pose la question de savoir si on est créole avec « un peu de sang d’esclave d’Afrique », par « un certain type de comportement », « une habitude alimentaire », et de demander, de façon péremptoire : « Ne sommes-nous pas tous créoles à Maurice ? ». La réponse à cette interrogation : « sacrilège », « impensable », pour « le bon hindou, de souche indienne pure », ou pour la personne « dont l’ascendance européenne ne fait aucun doute ».

La pierre d’achoppement provient du fait que le mot créole/créolité s’articule, dans l’inconscient collectif (l’est-il tant que cela ?) avec l’impur ou l’inférieur. Et Bhujun redit ici « une réalité profonde, indéniable ». Et de persister : « Chaque Mauricien porte en lui sa part de “créolité” ». L’on comprend qu’il affaiblit l’acception ethnique au profit du sens de ce qui constitue un pan de la mauricianité, et qui n’est pas posé nommément : la créolisation, c’est-à-dire une créolité qu’il place volontiers en guillemets, pour faire ressortir tout ce qui a été « acclimaté » en nos modes de vie, nos modes de parler et de penser, et qui s’ouvre aux diversités, sans exclusive aucune. Créolité, créolisation et coolitude sont en relation ici.

Fort de ce constat, Bhujun se livre à un inventaire de la "créolité" : l’humour, le quotidien d’une famille, une chanson des Bhojpuri Boys (1) , qui est ni "séga", ni musique “indienne” (l’auteur place ces guillemets). Il ajoute à l’aune de la "créolité" le fait de préférer un « chatini de chevrettes » à un bout de saumon fumé insipide (je pense que le saumon fumé peut aussi être "créole", mais c’est un autre débat).

D’un point de vue identitaire, donc, dans l’identité-corail, tous se reconnaissent : « Nous sommes tous Créoles, comme nous sommes tous Européens ou Indiens ». On pourrait tout aussi bien ajouter : Chinois, Espagnols, Juifs, Arabes, Inuits, Aborigènes...
Ce qui est significatif, c’est que Bhujun reprend le credo de la coolitude, que j’ai le plaisir de partager avec la "créolité" : Coolitude non seulement pour la mémoire... mais aussi pour ces valeurs d’hommes que l’île a échafaudées à la rencontre des fils d’Afrique, de l’Inde, de Chine et de l’Occident.

(à suivre)

Khal Torabully

(1) Dans le même numéro de Week-End, Kishore Taucoory, du groupe Bhojpuri Boys soutient que "Ma musique est une musique des îles, parce qu’elle est conçue ici. Je ne peux pas faire autrement, mo enn zilwa, mo enn kreol", donnant aux gamaat le rythme du séga. Tacooory précise : "Mo Morisyen, mo pa sorti Bihar, mo pa Indien, mo lamizik bizin
reflet kouler Moris".


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