
Mal-do-mèr dann sarèt
28 juin, parLo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Notre Histoire : “La question des ancêtres chez les esclaves de Bourbon” - 2 -
11 janvier 2005
Suite de la communication faite par l’historien réunionnais Prosper Ève lors de l’inauguration de la salle “Rwa Kaf” au Bocage. L’historien évoque pour nous les difficultés qu’avaient les esclaves venus des pays de l’océan Indien à célébrer leur ancêtres sur l’île Bourbon, comme le réclamait la tradition de leur pays d’origine.
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Les esclaves débarqués à Bourbon se rendent compte dès leur arrivée qu’ils sont dans une impasse. Ils ne peuvent rendre hommage à leurs ancêtres.
Quand ils analysent le fonctionnement de cette société, ils voient bien ses spécificités. Celle-ci a besoin de producteurs, c’est-à-dire d’adultes en mesure de travailler, elle n’a que faire des improductifs tels que les enfants et les vieillards. Elle ne conçoit pas non plus les hommes comme des géniteurs, puisque le maître peut augmenter son potentiel esclave par immigration et non par croît génésique, par introduction massive de femmes pubères, capables de procréer. Un caractère domine dans toutes les formes d’esclavages : l’incapacité sociale de l’esclave à se reproduire socialement, c’est-à-dire l’incapacité juridique d’être parent. L’esclavage n’est pas le prolongement de la parenté, c’est l’antithèse de la parenté. Comme elle ne prévoit pas de laisser les enfants grandir auprès de leurs parents et autorise la vente des enfants pubères, dans la réalité parfois beaucoup plus tôt, comme elle ne garantit pas les rapports de filiation, le culte aux ancêtres est bien problématique.
Ces esclaves qui ont été désocialisés (arrachés à leur société d’origine, d’abord prisonniers, capturés ou captifs, leur condition définitive d’esclave ne se manifeste que lors de leur insertion dans la société d’accueil), décivilisés (par le lien univoque qu’ils entretiennent avec le maître), dépersonnalisés (puisque vendus comme du bétail), désexualisés (car les hommes comme les femmes sont appréciés en tant que travailleurs et travailleuses, c’est-à-dire pour leurs aptitudes professionnelles, la femme peut remplacer l’homme, y compris dans les tâches les plus dures ; l’esclavage ne sacralise pas la femme, elle n’est pas recrutée pour procréer, si elle s’accouple, elle n’est pas mariée, si elle engendre, sa progéniture revient au maître, elle peut lui être arrachée à tout moment, quand elle vieillit, aucun droit, ni lien reconnu ne lui permet d’espérer que ses enfants subviendront à ses besoins), réidentifiés (leur maître leur attribue un nouveau nom dès leur arrivée sur l’habitation), réifiés (car assimilés à une chose), sont susceptibles d’être voués à une exploitation immodérée parce que non tempérée par le souci de préserver leurs capacités physiques et sociales de reproduction. Ils sont désormais sans famille, sans tombeau familial, sans espoir de repartir. L’idée de mourir en terre étrangère sans respect du rituel funéraire leur est insupportable.
En janvier 1773, Évariste de Parny confie à son ami Bertin que les Malgaches ne peuvent oublier leur patrie natale et qu’ils compensent le manque et le vide en se réfugiant dans la méditation, le rêve : "Leur patrie est à deux cent lieues d’ici ; ils s’imaginent cependant entendre le chant des coqs et reconnaître la fumée des pipes de leurs camarade".
Il est évident qu’en se remémorant la terre perdue, le village perdu, ces hommes vendus à Bourbon, le plus souvent après avoir terminé leur initiation, pensent d’abord aux parents vivants qu’ils ont laissés et à leurs défunts.
Les Européens qui n’ont aucune considération pour les Africains et les Malgaches soutiennent alors que Bourbon est une terre bénite pour ces esclaves, ils n’hésitent pas à dire que ceux-ci auraient dû être fiers de se retrouver en tant qu’esclaves à Bourbon, puisque après avoir été faits prisonniers de guerre, ils étaient tous voués à la mort. Pour ces dominants, Bourbon passe pour une terre de rédemption pour les esclaves. Ces derniers doivent être évidemment reconnaissants envers ceux qui les exploitent en tant qu’esclave, puisqu’ils leur doivent la vie.
Grâce aux traitants et aux maîtres, ils sont encore vivants. En suivant cette logique, le sort que les maîtres réservent aux esclaves n’est jamais critiquable, puisqu’il reste toujours meilleur que celui que ces rescapés de la mort auraient connu s’ils étaient restés dans leur pays d’origine. Théodore Pavie développe cette théorie en 1844 dans “Une chasse aux nègres marrons”, alors que le système craquelle et que de plus en plus de voix s’élèvent en Europe pour réclamer sa disparition. "Les noirs qu’on amenait de la côte d’Afrique devaient se trouver trop heureux d’être apportés dans notre île, d’ailleurs, c’étaient le plus souvent des prisonniers de guerre, destinés à être dévorés par le vainqueur. Ceux de Madagascar devaient s’attendre à être tués à coups de sagaie, puisque telle est leur coutume de se débarrasser des captifs qu’ils ne peuvent pas vendre. Ne valait-il pas mieux planter des cannes et cueillir la graine de café ? Eh bien ! Il était très difficile de leur faire entendre cela".
En fait, le processus de recrutement des esclaves est très complexe. D’abord, si certains sont des prisonniers de guerre, ils sont souvent des victimes de querelles tribales attisées par les Européens dont profite le système esclavagiste. Dans la “Chanson Madécasse V”, Évariste de Parny met en garde les Malgaches contre les Blancs : "Ils parlèrent d’obéissance et d’esclavage : plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible ; mais malgré la foudre qu’ils vomissaient et qui écrasait les armées entières ; ils furent tous exterminés. Méfiez-vous des Blancs ! Nous avons vu de nouveaux tyrans, plus forts et plus nombreux planter leur pavillon sur le rivage : le ciel a combattu pour nous ; il a fait tomber sur eux les pluies, les tempêtes et les vents empoisonnés. Ils ne sont plus, et nous vivons, et nous vivons libres. Méfiez-vous des Blancs, habitants du rivage".
Ensuite, tous ne sont pas des prisonniers de guerre. Ceux qui ont bien été vendus par leurs propres parents sont dans une position très fâcheuse ; ils ont de bonnes raisons d’être désespérés, car le retour est pour eux impensable et personne ne peut tirer fortune de son malheur. Évariste de Parny évoque la pénible situation de cette catégorie d’esclave vendu par les siens par appât du gain dans la “Chanson Madécasse IX” :
"Une mère traînait sur le rivage sa fille unique, pour la vendre aux Blancs.
Ma mère ! Ton sein m’a portée, je suis le premier fruit de tes amours : qu’ai-je fait pour mériter l’esclavage ? J’ai soulagé ta vieillesse ; pour toi j’ai fait la guerre aux poissons du fleuve ; je t’ai garantie de la froidure ; je t’ai portée durant la chaleur sous des ombrages parfumés, je veillais sur ton sommeil, et j’écartais de ton visage les insectes importuns. Ô ma mère, que deviendras-tu sans moi ? L’argent que tu vas recevoir ne te donnera pas une autre fille, tu périras dans la misère, et ma plus grande douleur sera de ne pouvoir te secourir. Ô ma mère ! Ne vends point ta fille unique.
Prières infructueuses ! Elle fut vendue chargée de fers, conduite sur le vaisseau et elle quitta pour jamais la chère et douce patrie".
Si Théodore Pavie retient la thèse du bonheur des esclaves en terre bourbonnaise, il est le premier à prouver - sciemment ou inconsciemment - que ceux qui raisonnent ainsi se trompent. Ceci est particulièrement vrai, quand il souligne que le regret de la terre natale, l’attachement des ancêtres sont la cause de troubles psychologiques profonds.
"Il y en avait qui à peine débarqués, couraient droit à la montagne ; mais au bout de quelques jours, on les trouvait, mourant de faim, blottis sous des buissons comme des lièvres, ou bien ils se laissaient acculer au bord d’un précipice, d’où ils ne pouvaient vous échapper qu’en se jetant, la tête la première au fond du ravin. D’autres restaient accroupis au pied d’un arbre, les yeux tournés vers la mer, et refusaient toute nourriture, ne répondant en rien aux menaces, insensibles aux coups ; peu à peu, on les voyait s’affaisser, un tremblement fiévreux frappait leurs genoux l’un contre l’autre, et ils mouraient, en regrettant un pays où il ne leur était plus permis de vivre. Quelle désolation de voir des hommes robustes, des femmes dans la fleur de l’âge s’éteindre là, comme des arbres frappés par le soleil, sans avoir rapporté un sou au maître qui les avait payés si cher". Théodore Pavie affirme que parmi les esclaves malgaches, certains savent communiquer avec les ancêtres. "Nos avons des esclaves de Madagascar qui entretiennent des relations suivies avec les gens de l’autre monde, et ces apparitions, si elles se renouvellent souvent, sont cause que le chagrin s’empare d’eux, la maladie du pays les prend, ils meurent avec l’espoir de retourner près de ceux qui les appellent. Enfin, ils croient aussi qu’un mort recommence quelquefois à vivre sous la forme d’un animal, d’une plante".
Il confirme surtout que l’esclave malgache à une sacro-sainte horreur de mourir loin de la Grande Terre. "Quinola était Malgache, continua Maurice (...) et les gens de Madagascar n’aiment pas à mourir hors de leur pays ; mourir pour eux, c’est une grande affaire qu’ils ne peuvent pas conduire à leur gré hors de chez eux. Dés qu’un malade a fermé les yeux, ses parents entourent la case et tirent des coups de fusils depuis le soir jusqu’au matin pour éloigner les mauvais génies qui voudraient enlever son corps : le lendemain, on revêt le cadavre de ses plus beaux vêtements, on l’enferme dans un cercueil tout comme un chrétien, et on va l’enterrer hors du village. S’il est riche, on le conduit en grande pompe auprès de ses aïeux qui l’attendent dans un tombeau particulier, rangés dans les bières d’un bois précieux ; s’il n’appartient pas à une famille distinguée, on construit une case sur le lieu même de sa sépulture, et, devant cette case, on suspend à une perche les cornes des bœufs qui ont été immolés pendant sa maladie pour obtenir sa guérison et à l’occasion même de sa mort. Ils prétendent que le défunt peut prendre la forme d’un mauvais génie, apparaître à ceux qui l’ont connu et leur parler en songe.
Je ne sais pas au juste, déclare finalement Maurice, si Quinola était un sorcier, comme le disaient les esclaves de son pays. Mais, il avait juré de ne pas mourir dans l’île".
Le vieil esclave marron Quinola lui-même répète à deux jeunes son désir de gagner une place auprès de ses ancêtres : "Je suis venu de Madagascar à ici en trois jours !... À trois jours de cette prison, de ces “bois d’om”, nous ne pouvons sortir, de cette petite île où nous n’avons pas une nuit de paix, à trois jours d’ici, la grande île avec nos familles ! Pour vous, une femme et des enfants, pour moi, une place auprès de mes ancêtres, qui étaient riches et vénérés".
(à suivre)
Prosper Ève
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