Route de l’esclave avec l’UNESCO

’C’est de l’intérêt national de connaître cette histoire’

21 février 2005

Ali Moussa Iyé, chef de la section Histoire & Culture à l’UNESCO, directeur de la Route de l’esclave, était avant-hier dans notre région. Avant de s’envoler pour Madagascar, il s’entretenait avec notre journal sur l’importance du devoir de mémoire. On doit briser le silence sur l’esclavage.

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La Route de l’esclave va entièrement dans ce sens. "C’est le symbole du mouvement d’idées, de rencontres des cultures et des savoir-faire", indique Ali Moussa Iyé. Les humains doivent mieux connaître cette "première forme de mondialisation". L’esclavage représente sur quatre siècles entre 40 et 60 millions de déportés, africains, mais pas seulement. Il ne faut surtout pas oublier que l’esclavage a concerné les populations d’Amérique, de l’océan Indien, du monde Arabe et de l’Asie. Aujourd’hui, l’UNESCO souhaite mener un travail de fond sur l’interculturalité produite par l’esclavage.
Notre monde créole en est imprégné, et pourtant on ressent un déni constant de cette Histoire jugée trop douloureuse par les descendants directs d’esclaves. La Route de l’esclave servirait à briser le silence qui pèse sur l’esclavage. "Il est inconcevable qu’une tragédie d’une telle ampleur ne soit pas reconnue à sa juste valeur, alors même que l’on commémorait récemment l’holocauste", poursuit le directeur de la Route de l’esclave.
Aujourd’hui, il compte comprendre les causes profondes de l’esclavage et ses différentes formes, en faisant bien attention à se baser sur un corps pluridisciplinaire. On notera avec insistance le travail mené par la chaire de l’UNESCO, tenu à l’Université de La Réunion par l’historien réunionnais Sudel Fuma. Les plus avertis se rappelleront du séminaire “Mémoire orale et esclavage” tenu à La Réunion en 2004. Une première étape dans tout le travail de restitution de cet itinéraire historique ! En tout cas, c’est une des raisons de la visite de ce responsable de l’UNESCO.

Mieux connaître notre histoire

S’il est impératif de briser cette “trop facile” loi du silence qui s’installe autour de cette partie de l’Histoire de l’humanité, il est intéressant de valoriser les interactions culturelles que l’esclavage a générées. On dénigre la part kaf à La Réunion. Pourtant, en s’intéressant de plus près à l’esclave africain, on s’étonnerait de son influence sur le reste du monde. Le Kaf n’était pas seulement une “force de travail”. Sa sagesse, son savoir, ses cultures s’apprécient bien plus qu’avec la musique seule. Il faudrait tout naturellement parler de la médecine, de l’agriculture, et de l’art culinaire aussi.
Tout cela doit être mis à jour, clairement identifié, et restitué à la population mondiale. "C’est de l’intérêt national [NDLR : dans chaque pays concerné par toutes formes d’esclavage] de connaître cette histoire", poursuit Ali Moussa Iyé. On sait aujourd’hui que les esclaves ont largement - et le mot est vraiment faible - contribué à l’enrichissement des pays occidentaux, à l’entrée dans l’industrialisation aussi.
C’est la raison pour laquelle l’UNESCO entend établir de sérieuses études sur la transformation globale que la Traite négrière a apportée. Ali Moussa Iyé ne cache pas la réticence de certains pays, mais notait l’utilité d’une meilleure connaissance de l’esclavage. "Nous voulons contribuer à la compréhension mutuelle, à la paix. Notre objectif n’est sûrement pas de culpabiliser", ajoute-t-il.

Renforcer le programme dans l’océan Indien

Sa visite dans l’océan Indien a permis d’évaluer le programme de la Route de l’esclave, et d’apprécier la pertinence du séminaire “Mémoire orale et esclavage”, organisé - nous vous le disions plus haut - par la chaire de l’UNESCO, sous la houlette de Sudel Fuma. Il profite aussi de cette opportunité pour relancer les contacts avec les différentes institutions. Récemment, il se trouvait à Maurice, où il a pu juger de la complexité de la question du rapport aux ancêtres. Le centre culturel Nelson Mandela traitait de cette problématique en sa présence.
Sudel Fuma, également présent pour cette rencontre, signalait la restitution prochaine du voyage "extraordinaire" à Fort-Dauphin (Madagascar), pour les liens qui l’unissent à notre pays, des liens qui datent depuis le 17ème siècle. Un film de 52 minutes marquera cette restitution.
Par ailleurs, Ali Moussa Iyé souhaite "discuter des possibilités de coopération pour renforcer le programme "Route de l’esclave" dans l’océan Indien. On pourrait parler volontiers de préservation de sites historiques, à savoir lieux d’habitation, de travail, de rébellion et de marronnage. Pour lui, il existe déjà deux manières de s’exécuter.
Il importe que les résultats des recherches en cours intègrent les programmes scolaires. Encore faut-il sensibiliser les enseignants sur la pertinence d’une telle attention scientifique !
La deuxième étape consistera à identifier les lieux de mémoire et les archives écrites et orales, liés à l’esclavage, "pour que le devoir de mémoire soit effectué". Et de poursuivre, "il faut inciter les gouvernements à revaloriser ces lieux et en faire des itinéraires de mémoire". Nous espérons que nos élus réunionnais agiront à bon escient, pour valoriser un patrimoine encore mal connu, mal "apprécié" à sa juste valeur.

Bbj


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