Résidence de sculpture céramique à “Art Sud” - Saint-Joseph

Cet homme-là vous ferait fondre...

30 décembre 2004

Le sculpteur Jean-Claude Jolet est pendant trois mois l’hôte du centre de céramique “Art Sud”, à Saint-Joseph, à l’invitation de Claude Berlie-Caillat dont c’est la septième résidence depuis 1996-97. Ce devrait être la dernière avant travaux si les partenaires municipaux donnent le coup de pouce promis il y a quatre ans à la rénovation du centre : première étape d’un grand espoir pour l’essor des arts du feu ?...

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L’atelier du céramiste Claude Berlie-Caillat s’est empli, le temps d’une résidence d’artiste, de sable noir de rivière et de matières aux formes étranges rassemblées par Jean-Claude Jolet, sculpteur de la Rivière Saint-Louis, pour ses expériences sur les mélanges et les fusions de matières.
Cet homme-là vous ferait fondre, si vous n’y prêtez attention... Dans un caisson en bois, la forme qu’il veut donner à sa sculpture est préfigurée par du polystyrène* enfoui dans le sable, traversé d’une “cheminée” par laquelle est coulé de l’aluminium fondu. À 658°C.
Sous l’effet de l’aluminium en fusion, le polystyrène - par sublimation - s’évanouit "sans laisser de trace", explique Jean-Claude Jolet, au centre de céramique “Art Sud”, à Saint-Joseph. "Cela permet de fondre à chaque fois une pièce unique, dans un moule en sable lui aussi renouvelé".

"Comme si la pièce s’était façonnée elle-même"

Parfaitement empirique, emprunté au savoir-faire des fondeurs de casseroles et de marmites de Madagascar et de La Réunion, le procédé ne manque pas d’ingéniosité. Il réalise la synthèse des techniques en usage dans la grosse industrie - où les matériaux sont différents - et de l’empirisme des artisans de la région. "Au final, on ne sent pas de trace de fabrication, comme si la pièce était sortie de terre ou s’était façonnée elle-même".
Ou l’art consommé d’effacer toute trace de la main de l’homme. Les pièces finies ont la forme du polystyrène évanoui, dans l’assemblage imaginé par l’artiste - soit sculpté, soit emprunté aux “services rendus” par la matière sublimée, dans sa vie antérieure -, et une apparence “minérale” laissée par le grain du sable, moule éphémère toujours recommencé. À l’inverse des moules des fondeurs, pièces de plâtre assemblées pour durer.

Plutôt que de chercher à améliorer les procédés de la fonderie, Jean-Claude Jolet prend un malin plaisir à les tordre au contraire. "Je trouve plus intéressant de me servir des défauts que des qualités de la fonderie", ajoute-t-il. Un artisan du Bâtiment de Vincendo est à même de livrer des montagnes de déchets d’aluminium, qui trouvent dans les sculptures fusionnées de Jean-Claude Jolet un recyclage original... Et paraît-il très désagréables à l’odeur, à cause de la peinture. Mais ce ne sont là que des essais très limités dans le temps.

Quinze ans dans l’aéronautique

Ses connaissances sur l’aluminium, l’artiste riviérois les doit en partie aux quinze années passées dans l’aéronautique, en France. Une vie antérieure vouée à des gestes techniques d’une grande précision et à l’apprentissage de la matière.
Seul hic : il n’avait pas le droit de fondre les avions ! D’où son retour à La Réunion, où il se lance dans une recherche sur la matière et ses composants, les rapports entre fluide et solide, le passage de l’un à l’autre et les différents alliages de matières.
Cette résidence est en somme une rencontre entre “fondeurs”, dans laquelle Jean-Claude Jolet pratique les procédés de la fonderie pour en dégrader, à sa fantaisie, les qualités tandis que Claude Berlie-Caillat réalise en parallèle des fusions de matériaux améliorant ses propres recherches sur la fusion du verre et du basalte, augmentés de nouveaux matériaux.

Verre/basalte : "Peut-être le début d’un produit nouveau"

La “rencontre” proprement dite est prévue pour la fin février, dans une performance nocturne qui verra la réalisation d’une pièce monumentale commune faisant la synthèse des acquis.
Claude Berlie-Caillat a repris le procédé de fusion verre/basalte dans la fabrication de “boîtes de vie”, sorte de caissons plats dans lesquels, à plus de 1.200°, le basalte émaillé en fondant se vitrifie et se transforme en une sorte de colle.
Dans une deuxième étape, bouclée par une deuxième cuisson à plus de 900°, il incorpore aux caissons divers éléments. "Cela va être assez fouillé dans les questions de translation de fluide et de solide", commente le céramiste en déplaçant quelques-uns de ses caissons préparés. Une troisième cuisson est nécessaire, à plus de 600° pour liquéfier l’aluminium qui servira à la “soudure” avec les autres éléments. "Ce n’est que de la récupération, mais c’est peut-être aussi le début d’un produit nouveau, si nous arrivons à maîtriser les questions de dilatation", poursuit-il, au milieu de ses fours et des matériaux accumulés.
Autour d’eux s’active silencieusement un autre témoin, Valérie Koch, la caméra bien calée à l’épaule gauche, micro dans la main droite : elle prépare l’un des deux films qui seront présentés à la prochaine sélection du Festival international de la céramique de Montpellier.
Le public quant à lui est convié à la performance de fin de résidence, dans deux mois. D’ici là, tout aura été étudié - et testé - pour permettre dans l’espace de la cour une circulation des visiteurs, agis par les animations des deux artistes-chimistes et voleurs de feu.

P. David

* Polystyrène : matière thermoplastique obtenue par une réaction chimique d’agglomération de molécules de faible masse (polymérisation) du styrène, un hydrocarbure benzénique (C8H8). Le polystyrène sert notamment à fabriquer des emballages pour objets fragiles.



Dernière résidence avant travaux ?

Le lieu d’accueil d’“Art Sud”, sous un air de relatif délabrement et dans le dépouillement qui caractérise souvent les grandes œuvres à leur début, respire la passion de l’art et de la recherche mêlées.
L’endroit ne paie pas de mine : à l’entrée de Saint-Joseph, au bout d’un chemin caillouteux, un vieux bâtiment des années 70 déclaré "insalubre" par le précédent maire, soupçonné d’être plus préoccupé de freiner l’activité de l’association que de sécurité.
Toujours est-il que le maire a été “réformé” par les électeurs tandis que le bâtiment est toujours là, attendant que la nouvelle équipe municipale, apparemment plus sensible au travail du céramiste, ait à cœur de doter la ville d’un centre des arts du feu. Claude Berlie-Caillat le rêve comme un des points de départ d’une nouvelle filière, qui intégrerait aussi les essais portois autour de la porcelaine chinoise.
Promises à la création d’un Centre régional des arts du feu, ses activités plastiques trouveraient leur complément dans une recherche d’innovation technologique adossée à des industriels intéressés par les procédés testés. Les contacts sont pris. Les études et dossiers techniques sont en cours. Mais les œuvres des hommes et de leurs administrations n’ont ni la vitesse de progression, ni l’art fusionnel du feu...

P. D.


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