Créolisations india-océanes : tout n’a pas été dit

Commencer à se parler et à parler au monde

14 septembre 2005

Un livre à deux auteurs n’est pas forcément un jeu de question-réponse, ou de partage des chapitres, il peut être, comme c’est le cas avec l’essai de Françoise Vergès et de Carpanin Marimoutou, une réflexion commune, un texte né d’un couple.

Un portrait croisé révèle qu’en fait les deux auteurs ne font qu’un. Lorsque nous demandons à Françoise Vergès de présenter Carpanin Marimoutou, elle nous répond : "Carpanin est une personne avec laquelle je peux vraiment travailler ensemble, concrètement. C’est très difficile de pouvoir travailler avec quelqu’un, c’est très rare. Nous avons vraiment écrit à quatre mains. On ne peut pas dire que cette phrase est de moi ou de lui, parce que nous avons fini les phrases l’un, l’autre. On se disait, il faut qu’on parle de ça, et on le formulait ensemble à chaque fois."
À la même question, Carpanin Marimoutou répond : "c’est une grande intellectuelle d’origine réunionnaise qui connaît très bien le monde artistique, qui est habituée à travailler sur la rencontre entre artistes et chercheurs, qui est capable de croiser l’expérience réunionnaise avec d’autres dans le temps et dans l’espace et de voir les particularités et les points communs. C’est aussi une très grande amie."

Passer à l’étape suivante

“Amarres” : pour le titre de cet ouvrage, les auteurs soulignent la profonde polysémie de ce mot en créole réunionnais : "lien, attache, envoûtement, ensorcellement, être amoureux, être captivé, être en relation, se soucier (amar lë ker), ce qui excite les sens (i amar la boush) et bien d’autres choses encore..." Mais il y a aussi pour nous le sens de "a marre" : marre de voir un fonds d’idées d’un autre âge avoir encore cours en ce qui concerne l’appréciation qu’on peut porter sur le Réunionnais et sur le phénomène de créolisation.
Ce manifeste programmatique tourne une page, celle écrite depuis ces dernières décennies sur la réappropriation et l’affirmation de nous-mêmes : il y a des savoirs qui sont acquis, des choses dont nous ne doutons plus sur nous-même : oui notre langue est une langue, notre société pluri-culturelle est pluri-culturelle et le métissage n’est pas un produit fini, mais une dynamique, un mouvement qui ne s’est jamais arrêté et ne s’arrêtera jamais. Comme nous savons que nous sommes, rien ne peut nous empêcher d’exister et donc de prendre part aux débats qui animent l’humanité.
C’est ce qu’affirme Françoise Vergès : "tout ne vient pas de l’extérieur, il faut sortir de cette position d’attente." Les deux amis ont voulu "partir de l’ouverture réunionnaise aux mondes, car l’expérience réunionnaise a toujours été niée, marginalisée, il faut se ré-intéresser à cette pluralité lui redonner sa place." Pour Carpanin Marimoutou, cette voix pose La Réunion "non pas en quémandeuse, mais comme entité riche et complexe, moderne sur les questions de citoyenneté, de diversité culturelle de lutte contre les inégalités, du rapport à l’héritage, de la filiation à nos ancêtres. Nous pouvons participer d’égal à égal aux discussions."

Redonner du désir pour le débat intellectuel

Ce livre est une proposition de débats, le plus bel espoir des auteurs et de souhaiter : "une constante dynamique de rencontres, de débats, de conflits, de réactions... Nous avons tendance à faire comme si tout était figé, immobile, comme si les années 70 avait tout épuisé, il faut de nouvelles pistes, de nouvelles orientations. Quelles sont les voies (voix) réunionnaises par rapport au(x) monde(s) et aux débats qui l’agitent. Il est important maintenant de réussir ce tournant culturel, d’essayer d’avoir un espace de débat critique, partager le désir d’avoir envie de discuter, voilà ce qui nous manque. Pour tout le monde, le mot intellectuel est devenu péjoratif. Il faut redonner du désir pour le débat intellectuel, il n’y a pas de honte à être intellectuel."
En conclusion, Carpanin Marimoutou ne dit pas plus vrai quand il déclare que : "Il n’y a pas d’un côté l’artiste qui dit, le politique qui fait et le chercheur qui pense. Les trois mondes s’articulent, nous devons déconstruire l’opposition figée à La Réunion où l’artiste se considère amuseur. Entrons dans une démarche de recherche, de reconnaissance participons à une pensée dans le monde." Et cette absence de cloisonnement est illustrée tout au long du livre par la parole en exergue de nos fonnkèzèr et les données économiques, politiques, sociales qui nourrissent la réflexion.

Eiffel


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