Nout mémwar

de Louis-Timagène Houat — 38 —

23 août 2013

Dans cette chronique ’Nout mémwar’, voici la fin du 6ème chapitre (’La jeune blanche’) du texte de Louis-Timagène Houat paru quatre ans avant l’abolition de l’esclavage à La Réunion sous le titre ’Les Marrons’, au sujet des esclaves et des traitements imposés aux marrons dans les colonies françaises. L’auteur raconte comment un groupe d’esclaves marrons malgaches quitte « l’habitation coloniale » réunionnaise « au pied des Salazes » pour se réfugier dans les Hauts. L’un d’eux, ’le Câpre’, échappe à des chiens de chasseurs de marrons puis rencontre dans une grotte « une jeune femme blanche (Marie) tenant dans ses bras un enfant mulâtre » et il est rejoint par « un grand jeune nègre » (Frême), qui lui raconte son parcours d’esclave à Saint-Denis, en particulier au collège où il devient l’ami de la fille du directeur, Marie, qu’il finit par épouser dans une église au Bernica...

Les Hauts de Saint-Paul, où Frême et Marie se sont mariés.
(photo Toniox)

Oh ! c’est que Frême, quoique nègre, était noble, sinon par l’épiderme et la naissance, oui, noble par l’âme : celle qu’il avait servie enfant, sauvée jeune fille, étant devenue pauvre, orpheline, après l’incendie, avait encore trouvé en lui un généreux appui ; et, par un soin, des attentions, un respect, une tendresse, un dévouement à toute épreuve et sans bornes, il avait su mériter sa main, quelque blanche et honorable qu’elle fût.

C’est qu’inaccessible à un préjugé absurde, et ne suivant que la nature et son cœur, Marie, loin d’avoir jamais eu de l’éloignement pour Frême à cause de sa couleur, s’était sentie au contraire attirée à lui, non seulement par une vive reconnaissance, mais encore par tout ce qu’il y a de pur et d’affectif dans ce qu’éprouve irrésistiblement la femme libre et non pervertie pour l’homme de son choix.

Et d’ailleurs, ayant vécu, grandi avec Frême comme avec un frère, n’était-elle pas habituée à sa noire, mais bonne et belle figure ? À cet égard, elle n’aurait pu comprendre les sarcasmes des blancs ; et si elle avait pu comprendre une différence aristocratique de couleur, elle n’y aurait trouvé qu’un critérium en faveur de celle de son nouvel époux, car, sous l’enveloppe ébénée de sa personne, il ne lui avait toujours montré que des qualités dignes d’estime et d’amour.

C’est qu’enfin, malgré toute récalcitrance et notre incrédulité, n’existe-t-il pas un attrait incompréhensible, une force naturelle ou surnaturelle, sorte de fatalité ou de magie divine, s’il en fut jamais, qui porte à leur insu des individus souvent les plus éloignés, à se chercher, à se trouver, et alors même à se plaire, à s’aimer, à s’attacher pour la vie ?

Soumis à l’influence invincible de ce pouvoir attractif, emportés l’un vers l’autre par une sympathie mutuelle, ardente, entraînés donc à s’unir, Frême et Marie avaient voulu que leur union fût aussi sainte aux yeux de l’humanité qu’aux yeux du Créateur ; et, chose assez rare dans les pays à esclaves, ils avaient pu trouver, pour la bénir et la consacrer, un de ces dignes et vrais ministres du Seigneur, lesquels, aux dépens de leur tranquillité, de leur existence, prêchent l’union, la fraternité, la miséricorde ; ministres devant qui s’effacent les préjugés et les distinctions de couleurs et de castes, parce qu’ils ne voient dans tous les hommes que les enfants du Dieu qu’ils servent.

(à suivre)


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