Des élèves se souviennent des esclaves, de leur combat pour la liberté, et des abolitionnistes

11 mai 2007

Sur les planches de l’auditorium du Conservatoire National de Région, des élèves lisaient hier matin le parcours d’hommes et de femmes déterminés à abolir la traite négrière et l’esclavage de par le monde. Une initiative du Conseil Régional, de la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR) et du Rectorat pour valoriser la mémoire et la transmettre à la nouvelle génération. La connaissance de son histoire est primordiale pour sillonner sereinement à travers la vie. Bien souvent, notre histoire a été déniée. Ouvrir ses pages est nourrissant. Elle apporte réflexions, et nous voyons combien la prise de la liberté par les esclaves a été jalonnée d’obstacles. Des Blancs comme des Noirs ont participé avec force à cette libération, et les honorer en ce 10 mai semble la moindre des choses.

Jean-Fabrice Nativel


Yvon Virapin (Conseiller régional)

... met l’accent « sur le caractère national » de cette commémoration. L’esclavage, « crime contre l’humanité », compose l’histoire de France. Il demande « à approfondir l’histoire de l’esclavage » pour « un devoir de mémoire à l’adresse des nouvelles générations ».

Sudel Fuma (Directeur de la Chaire de l’UNESCO à l’Université de La Réunion)...

... était absent. C’est Carpanin Marimoutou qui a délivré son message. « A La Réunion, nous connaissons tous la date du 20 décembre qui commémore l’abolition de l’esclavage dans notre île. Depuis le 15 janvier 2004, la traite des Noirs, l’esclavage et son abolition ont désormais leur journée en France, il s’agit du 10 mai. Chaque 10 mais est l’occasion depuis 2 ans - date de l’adoption au Sénat - de lutter contre l’oubli et le silence concernant un pan entier de l’histoire. L’UNESCO ne peut que saluer cette initiative d’autant plus qu’elle œuvre depuis plus de 60 ans pour diffuser le savoir et construire la paix dans l’esprit des hommes. Sur notre île, la Chaire de l’UNESCO, basée à l’Université, est une des représentantes de l’UNESCO. Elle travaille sur des axes, des problématiques en prise avec les grands enjeux contemporains ». Il souhaite « qu’à travers cette commémoration solennelle, l’histoire de notre île soit reconnue, acceptée, assumée, et plus encore, que nous en soyons fiers. C’est dans ce sens qu’ont été fixé les objectifs de la Chaire... c’est dans ce sens qu’elle œuvre à travers ces actions, et plus particulièrement celles de la route des l’Esclaves dans l’Océan Indien : l’inauguration des stèles mémoire et jardin endémique à Fort Dauphin (Madagascar), à Saint-Paul (La Réunion) et au Mozambique le 23 août de cette année, la participation à l’inventaire des lieux de mémoires liés à l’esclavage dans l’Océan Indien ». Il insiste : « L’esclavage et la traite sont pour l’humanité une tache indélébile, nous espérons que cette journée vous permettra de mieux connaître et comprendre un pan entier de l’histoire de notre île. Car l’histoire effroyable de l’esclavage, de ce long cortège de souffrances et de destins brisés, est née aussi une grande Culture que La Réunion représente si bien par son modèle d’interculturalité ».
Carpanin Marimoutou, pour la Maison de la Civilisation et de l’Unité Réunionnaise, revient sur les étapes de « la loi du 21 mai 2001 reconnaissant la traite négrière et l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité », a prévu l’instauration d’une journée de commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage. Le 5 janvier 2004, le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage a été institué par décret pour 5 ans et installé le 8 avril 2004 par Brigitte Girardin, alors Ministre de l’Outre-mer. Les missions du Comité sont les suivantes : Proposer au 1er Ministre la date de commémoration annuelle, en France métropolitaine, de l’abolition de l’esclavage, après avoir procédé à la consultation la plus large. C’est la date du 10 mai qui a été retenue, après un large débat, parmi plusieurs dates possibles.
Le 4 février, premier décret d’abolition de l’esclavage.
Le 27 avril, décret de l’abolition de l’esclavage en 1848.
Le 23 août, début de l’insurrection de Saint-Domingue et jour de commémoration internationale annuelle de la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage décrétées par l’ONU et l’UNESCO.
Le 23 mai, rappel de la date d’une manifestation en 1998 à Paris rassemblant des dizaines de milliers de Guadeloupéens, de Martiniquais, de Guyanais, de Réunionnais et d’Africains.
Le 10 mai, date du vote à l’unanimité par l’Assemblée nationale de la loi instituant l’esclavage comme crime contre l’humanité. La date du 10 mai a été choisie en raison de sa portée citoyenne et universelle - la notion de crime contre l’humanité - qui permet d’extraire cette commémoration de dimension iniquement ultramarine. Il souligne ce point : « Le 22 décembre 1998, les trois députés communistes de La Réunion déposent à leur tour une proposition de loi dont l’article unique reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité ». L’adoption de la notion de crime contre l’humanité est justifiée de cette façon : « L’horreur et l’ampleur des crimes commis lors de la Seconde Guerre Mondiale ont donné la naissance de crime contre l’humanité, qui fut consacrée en droit à l’occasion du procès de Nuremberg. La déportation massive, la réduction en esclavage et le traitement inhumain d’hommes et de femmes à raison de leur race, de leur croyance philosophique, religieuse ou politique constituent, au sens du droit international public, un crime contre l’humanité et déclaré comme tel imprescriptible (...), l’intérêt de cette loi est de faire prendre conscience que la question de la traite et de l’esclavage ne concerne pas seulement les ultramarins ; elle concerne toute la nation ; ce n’est pas seulement l’histoire de l’Outre-mer, c’est celle de la France toute entière, et au-delà, celle de l’humanité ». Il décrit la situation de ces êtres humains « arrachés à leurs terres, à leurs cultures et à leurs familles. 12 à 13 millions d’Africains ont été embarqués à bord des navires négriers européens, toutes destinations confondues, entre le 16ème et le 19ème siècle. Devenus esclaves, exploités, fouettés et torturés, privés de sépulture, on leur a enlevé le statut d’êtres humains. 15% des captifs sont morts sur les bateaux négriers. Le nombre de victimes en Afrique du faite de la traite, est estimé à 4 à 5 fois le nombre d’hommes embarqués ». « Parmi ces femmes et ces hommes, de véritables combattants ont résisté ; tels les marrons qui ont créé des républiques marronnes dans les pays où on voulait les réduire à la servitude, mais aussi les nombreux esclaves, des révoltes constantes qui ont pris parfois la forme de véritables insurrections. Insurrections anti-esclavagistes, on compte entre 4 et 15 insurrections par décennie », explique-t-il. « La lutte pour l’abolition de l’esclavage est avant tout une lutte pour la reconnaissance de la liberté de tous les êtres humains et pour leur égalité de droits partout dans le monde, sans distinctions de cultures, de religions ou de modes de vie. Cette lutte a été à l’origine de tous les combats menés contre le colonialisme ou les dominations impérialistes, contre les discriminations fondées sur la couleur de la peau, le sexe, la situation sociale, le lieu de naissance ou les pratiques religieuses (...). A La Réunion où les ancêtres des habitants ont été tous des étrangers et des immigrés, une culture commune a su se construire à partir de la rencontre parfois violente de 6 mondes sur le même territoire, dans la lutte contre le racisme colonial, les exclusions et les discriminations et dans l’approfondissement ininterrompu du partage des mémoires et de l’interculturalité pour tendre vers l’intraculturalité ». Voilà sur quoi il termine.

Loi n°2001-434 du 21 mai 2001...

... tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité. Article 2 : « Les programmes scolaires et les programmes en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, au Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l’esclavage sera encouragée et favorisée ».


En mémoire

Tour à tour, les élèves ont lu le nom d’une personne qui s’est retroussée les manches pour l’abolition de l’esclavage.

• Etats-Unis, Sancousy, 18ème siècle. Esclave indien de la tribu des Natchez de Louisiane, en 1727, il décide de s’enfuir. Il rencontre une dizaine d’esclaves marrons et construit avec eux une communauté libre.
• Guadeloupe, la Mulâtresse Solitude, 1772-1802. Cette esclave qui avait rejoint une communauté marronne, a connu la première abolition de 1794. Lorsqu’en 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage en Guadeloupe, elle combat aux côtés de Louis Delgrès pour la liberté. Survivante de la bataille du 8 mai 1802, elle sera exécutée par pendaison le 19 novembre.
• La Réunion, Anchaing, 18ème siècle. Esclave marron de La Réunion, il a donné son nom à l’un des sommets de l’île. Avec sa compagne Héva, il serait resté 20 ans caché dans les montagnes.
• La Réunion, Héva, 18ème siècle. Compagne du chef marron Anchaing, Héva est connue comme la première femme à lutter pour la liberté et contre les humiliations de l’esclavage.
• La Réunion, Cimendef, 18ème siècle. Esclave marron en fuite, le nom qu’il s’est donné signifie “non esclave” à partir des mots malgaches tsi (non) et andevo (esclave). Il a organisé le marronnage à l’intérieur de l’île et a fondé une communauté de marrons.
• La Réunion, Furcy, 19ème siècle. En 1817, il assigne son maître en justice en contestant juridiquement son statut d’esclave. En effet, il découvre que sa mère avait été affranchie avant son décès et que selon la loi, il est né libre. Le jeune homme décide donc de recourir à la justice et gagne sa liberté après 23 ans de lutte judiciaire.
• Réunion, Elie, 19ème siècle. Elie a été à la tête d’un soulèvement de près de 200 esclaves en novembre1811 à Saint-Leu.
• Réunion, Célimène, 1806-1864. Elle est la première poétesse créole de La Réunion. Cette “libre” noire a compensé son manque d’instruction par une remarquable verve. Son œuvre amorce le changement des mentalités à compter de l’abolition de l’esclavage.
• Cuba, Carlotta, ?-1843. Carlotta est une grande figure de la rébellion de l’usine à sucre Triunvirato, à Cuba, qui a eu des répercussions internationales. Cet acte a eu pour effet d’encourager les esclaves à se rebeller contre l’esclavage de Cuba.
• Maurice, Ratsitatane, ?-1822. Prince malgache, il est arrêté et déporté à la suite d’une trahison. Il s’évade de prison et prend la tête d’une révolte contre les esclavagistes. Il menace de mettre le feu à Port-Louis. En 1822, il est condamné à mort et exécuté.
• Maurice, Antigone, 19ème siècle. Elle a été arrêtée en 1823 dans un camp de marrons. Antigone, dite Marie, a joué un rôle important dans la communauté : c’est elle qui choisissait où et quand attaquer les grandes habitations coloniales pour subvenir à leurs besoins.
• Réunion, Mafate, 18ème siècle. Chef d’une communauté d’esclaves marrons, il trouve refuge dans une caverne à l’intérieur de l’île et donne son au Cirque.

Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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