Une délégation réunionnaise au Mozambique

Des liens tissés et défaits par l’Histoire...

17 juin 2004

La rencontre culturelle qui attend la délégation réunionnaise sur l’Ile du Mozambique du 24 au 27 juin dans le cadre du second “Festival do Baluarte” promet d’être un moment culturel très intense dans l’établissement de relations d’échanges et de coopération avec ce pays. La Région Réunion, qui a établi les premiers contacts en octobre 2003 et reçu deux mois plus tard une délégation mozambicaine conduite par le vice ministre de la culture, Luis Antonio Covane, a présenté hier le programme et la délégation invitée à représenter notre île - un groupe de quarante personnes comprenant la délégation officielle, conduite par Alain Armand, vice président, et un important déploiement d’artistes et d’acteurs culturels.

Le Festival do Baluarte est organisé par l’association franco-lusophone pour le développement durable (AFLDD) avec la Communauté de l’Ile du Mozambique. C’est un projet d’animations socioculturelles centré sur les arts du nord et de la province de Nampula, à laquelle est rattachée l’Ile du Mozambique.
Le festival a le soutien du gouvernement de la province et des autorités mozambicaines de la culture et du tourisme. Ce projet est associatif et les bénéfices doivent servir à promouvoir le développement de l’Ile et les échanges culturels entre le Mozambique et le monde de la francophonie.
La première édition a eu Mayotte pour invitée d’honneur. Cette année, c’est La Réunion qui est invitée à la fois à se faire connaître et à valoriser les liens historiques - qui sont pour nous des liens du sang - entre les deux pays. Le Mozambique, et tout particulièrement le pays Makoa du Nord, a été aux XVIIIe et XIXe siècles l’un des principaux réservoirs de la traite des Noirs en direction de l’océan Indien et du Brésil, tissant une intimité culturelle entre nos îles et le géant d’Amérique latine - comme entre la capoeira et le moring.

Cette fraternité historique avec le Mozambique a servi de point de départ au spectacle vivant Makwalé, proposé et réalisé par le photographe Karl Kugel, qui s’envole dès aujourd’hui pour le Mozambique avec l’équipe du spectacle vivant, pour assurer une tournée sur le continent avant d’ouvrir le Festival, le 24 au soir (voir programme). Ce spectacle, d’une intensité poétique rare mêlant maloya, chants et poèmes, moring et pratiques sacrées du culte des ancêtres d’origine makoa - ce que signifie “Makwalé” - sera accompagné dans le déroulement du festival d’une importante partie “Kabar”, avec notamment la présence du groupe Bastèr, mais sans Firmin Viry, qui fête au pays, au même moment, ses 50 ans de maloya militant.
La seconde partie du programme réunionnais, déployée dans un espace de 200 mètres carrés, est faite de diaporama et court-métrage, de conférences historiques et de présentation de livres, avec la participation de Raphaël Mitra et Sudel Fuma, de l’association “Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise”. Ils donneront des conférences sur l’Histoire de notre île et Sudel Fuma présentera en particulier son travail sur trois mille noms mozambicains de Réunionnais. Une iconographie riche faite de cartes et de documents variés est déplacée pour l’espace “Histoire”.

Autour d’Alain Armand et Yolande Pausé, membre de la commission “épanouissement humain” (culture, sports, vie associative) étaient réunis hier les membres du groupe de moringèr emmenés par Jean-René Dreinaza, déjà parti au Mozambique en 2002. Debout dans la salle de la Commission permanente, ils ont chanté a capella un chant mozambicain (“Ou pli mama hé !” dédié à une mère).
Quelques instants avant, Nathalie Natiembé avait entonné un morceau de son chant “Zonomatopé”, témoin initiatique de son premier voyage au pays de ses ancêtres. Elle a évoqué hier la découverte du village (Katembé) d’où vient le nom qu’elle porte et le choc culturel qui, lors de son premier séjour là-bas, l’avait laissée non pas sans voix mais sans parole autre que les sons inarticulés (onomatopées) qui lui nouaient la gorge.
Jean-René Dreinaza et Donadieu Thomas, musicien du groupe de Danyèl Waro, ont témoigné eux aussi de la violence du choc reçu par ceux des Réunionnais qui, comme eux, ont pu nouer des liens directs avec ce pays, après l’histoire d’acculturation et d’amnésie qui ont fait la créolisation. Autre membre de la délégation officielle, le swami Pramananda veut retrouver, au cœur de la forteresse Saint-Sébastien - où a lieu le Festival- les vestiges de koïlou témoignant des liens tissés entre l’Inde et le Mozambique dans le trafic des esclaves.
C’est en grande partie pour poser la question de nos liens réciproques, de leur rupture historique et de la volonté actuelle de les renouer par la culture, que s’est constituée cette importante délégation, avec le soutien de la collectivité régionale.

Pascale David


Alain Armand :
Un élan culturel vers nos racines africaines

"Compte-tenu des liens historiques et culturels très forts entre nos deux pays, notre présence dans le Festival témoigne de la volonté des deux parties de voir ces liens se renforcer et se traduire dans un échange pour le présent et l’avenir", a déclaré Alain Armand en présentant la délégation.
Il a ajouté que la concrétisation de ces liens n’est pas seulement "l’affaire d’élus ou de politiques" mais que la Région s’est posée la question "de faire participer à cet élan des artistes, des acteurs culturels et associatifs" a-t-il ajouté.
"J’espère fortement que cela permettra aux uns et aux autres d’alimenter leur création", a poursuivi l’élu en inscrivant le partenariat de la Région dans "la volonté de promouvoir l’Histoire et nos racines... pour mieux nous projeter dans l‘avenir".

P. D.


Kabar maron :
"Un instant de mémoire"

Dans la partie documentaire du Festival, le court-métrage "Un instant de mémoire" (26 minutes) viendra rappeler la lutte du Collectif “Respèk nout mémwar”, constitué entre juin et octobre 2003 pour s’opposer au projet de changement de dénomination de la Plaine des Cafres. Un film réalisé par Sophy Rotbard (galerie Arsenik) retrace la mobilisation culturelle et militante qui a fait enterrer ce déni de mémoire. Il sera présenté dans le Festival.


Au programme...

La plus grande partie du festival va se dérouler dans la forteresse Saint-Sébastien, où étaient parqués autrefois les Africains réduits à l’esclavage et vendus aux marchands de la traite. Certaines manifestations auront lieu dans le musée de Saint-Paul, tandis que de très nombreuses manifestations de rues occuperont les espaces publics de l’île.
Chaque journée du festival commence par l’ouverture des portes de la forteresse. Le 24 juin, celle-ci se fera sur l’exposition “Arts et artisanats du Mozambique” : sculpture makonde, peintures, photos, céramique, verroterie, orfèvrerie, gastronomie, masque de beauté... Après l’inauguration officielle suivie d’un défilé de mode et d’un spectacle de “Tufo” (danse), la soirée inaugurale sera ouverte par Makwalé (La Réunion) et Warila (Mozambique).
Les trois jours suivants verront de nombreux spectacles du Festival de rues : jongleurs, clowns, cracheurs de feu, acrobates et fakirs. Le théâtre et la danse - tufo, maulide, chacacha, mussope, marimba, rumba - seront autant d’occasion de découverte des groupes culturels mozambicains, de la tradition ou d’art contemporain. Cette partie du Festival inclut des compétitions sportives et notamment une régate de voiliers traditionnels clôturant le Festival, le dimanche matin. Le bateau à voile, symbolisant la rencontre des cultures dans l’océan Indien, est cette année l’emblème du Festival do Baluarte.

P. D.


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