Rencontre avec un rakontër zistoir : Abass Mulla

Du trésor des livres au trésor oral

28 juillet 2005

Il est des passionnés comme Abass Mulla qu’il faut tirer de l’ombre. Bibliothécaire à la Maison de la Communication François Mitterrand, il a participé la semaine dernière au stage de rakontër zistoir organisé par l’Union pour la Défense de l’Identité réunionnaise au Conseil de la Culture de l’Éducation et de l’Environnement. Une vingtaine de personnes a participé à ce stage (voir “Témoignages” du Lundi 25 juillet.)

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Depuis bientôt quatre ans, Abass Mulla, bibliothécaire, participe à animer l’espace conte de la médiathèque avec des zistoir en français comme en créole. Créole qu’il aime définir comme sa première langue indiquant même qu’il ne se sent pas la même personne quand il use le Français. Bilingue sans complexe et même plus puisqu’il pratique l’Anglais, l’Espagnol un peu d’Hindi et un peu d’Arabe. Nous avons voulu savoir si dans sa famille le conte était déjà présent. "Ma grand-mère qui a 95 ans cette année a le don de conteuse, elle n’a jamais eu d’autres public que ses enfants et petits-enfants. Elle a une mémoire phénoménale et les réflexes du conteur", nous répond-t-il en évoquant avec plaisir un soir de veillé à Cialos où toute sa famille était réunie autour d’elle, assise sur son pliant.

Riche de plusieurs cultures

Il avait alors 17 ans, mais c’est aujourd’hui, à la quarantaine, qu’il se rend compte de cette richesse : "J’ai la grande chance de porter plusieurs cultures : créole, française, zarab et indienne. Ma grand-mère contait aussi bien le Petit Chaperon Rouge que Ti fi noir ti fi blan ou les histoires de Zokriss, imbécile heureux qui s’en sort grâce à sa naïveté, ou les histoires indiennes, religieuse et morale comme l’histoire de la vie des prophètes (Kassassoul Ambiya), ou fantastiques avec les aventures des Djinns. Ces histoires, elle les tient de ses propres parents et grands-parents." Aujourd’hui qu’il décode davantage ces zistoir, il distingue celles qui ont un but moral, de celles liées à l’éducation d’hygiène corporelle, au respect de la vie.
Le stage lui a permis de poursuivre cet apprentissage, en compagnie de Sully Andoche, de Daniel honoré, d’Anny Grondin et d’un conteur Ivoirien Obin Mansei. Ce qu’il a le plus apprécié c’est d’y avoir trouvé "une grande fraternité avec tous les participants, un même amour de l’île, la même envie de faire en sorte que les Réunionnais se sentent bien dans cette âme créole." Parmi la vingtaine de stagiaires, il y avait "une grande diversité des cultures, mais tous avaient en commun une façon réunionnaise de vivre et de voir le monde."

Littérature populaire orale

Certains comme lui travaillent dans les médiathèques, d’autres sont des travailleurs sociaux, d’autres encore sont à la recherche d’un emploi et il y avait aussi un guide péï. Tous les jours du 18 au 22 juillet, ils ont partagé leur journée de 9 heures à 16 heures 30. Le stage a été introduit par une réflexion sur ce qu’est le conte, sur les personnages les plus connus. Outre les riches interventions de ceux que nous avons cités plus haut, il a aussi beaucoup apprécié celle de Sham’s qui apportait une dimension théâtrale. Abass Mulla invente aussi ses propres contes, mais convient-il "un vrai conte n’a pas d’auteur, il est issu de la littérature populaire orale, il est dans l’inconscient collectif d’un peuple. Si le conte a une fonction pour l’inconscient de l’enfant, il travaille également l’identité d’un peuple. Maintenant, on concède que des gens écrivent des contes à partir de ses éléments de base." Et c’est ce qu’il a fait en confrontant Ti-Jean à Granmèr Kal dans une de ses histoires.

"Passer une passion"

L’expérience lui a apporté énormément : "le stage m’a conforté dans cet état d’esprit de passer une passion. Le discours intellectuel passe par-dessus la tête de plein de gens. Le conte est le meilleur moyen de sensibiliser le Réunionnais à sa culture, qu’il soit sans mépris de lui-même, sans ignorance." Il garde un souvenir amer du primaire et du collège où "certains professeurs dénigraient notre culture. Ils disaient que nous mangions des herbes, que nous étions mal habillés, que nous n’avions pas de finesse... alors que c’était un art de vivre adapté à notre environnement." Pour autant il n’en garde ni haine, ni désir de revanche, ce qu’il souhaite aujourd’hui c’est que chacun puisse trouver son épanouissement.
Son métier lui a permis de se rendre réellement compte de la richesse des contes : "Les bibliothécaires ont remis le conte au goût du jour, lui ont redonné sa place. Les bibliothécaires de jeunesse, partout en France, ont participé à la renaissance du conte."
Optimiste de nature, il est content de voir que "la musique réunionnaise s’est réinstallée, les livres en langue créole se multiplient, le théâtre commence à percer." Il défend que "le conte est le support le plus facile, le conteur n’a pas besoin de connaître son texte par cœur, il brode à partir d’un squelette, d’une structure avec des points clefs, il n’a besoin ni de décor, ni d’objets. Il n’a pas besoin de mouvement excessif, il faut juste savoir maintenir le rythme."
Ce qu’Abass Mulla a trouvé de plus formateur lors du stage c’est "le respect de la personnalité de chacun, la simplicité, le côté humain, la naissance de liens amicaux, la façon de raconter en créole, dans les différentes façons de causer créole. Toutes les sensibilités ont été respectées." Il y a aussi le côté plus technique : "cela nous a permis une remise en question de nos pratiques de conteurs. Mi bougé pas assez. La invit amoin fér plis souvan lo brui la mèr, lo van, tousala..." Désinhibé, il a pu douloureusement travailler à exprimer les émotions à des moments précis plutôt que de dire mécaniquement.

TIC, Conte et tourisme

Deviendrait-il conteur professionnel ? "Il faut une vocation, une passion réelle. Moi je suis aussi mordu d’informatique et de multimédia, de livres... je ne veux pas choisir." Conter est en tout cas une activité éreintante, "il faut un temps de recueillement avant le conte pour rassembler toutes les énergies, et après le conte on est souvent vidé physiquement et mentalement."
Intarissable, il souligne encore que "Le conte structure l’enfant, mais aussi l’adulte. Le conte est très utile aux personnes mal dans zot po, sat i san azot inférieur, sat i dénig azot zot minm par rapor in kiltir sipérièr." Et lance un conseil avisé : "le conte peut servir le développement du tourisme. En randonnée, quand on arrive de bonne heure dans les gîtes, après le repas pris très tôt, s’il y avait des conteurs c’est le moment idéal pour passer la culture. Sur le plan culturel ce serait un vrai plus, ça créerait des emplois et les touristes recevraient nos trésors légendaires dont ils sont très demandeurs."

Eiffel


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