Tévelave en fête ce week-end

En hommage à Marcel Leguen

5 mai 2006

Les fêtes du Tévelave, qui se dérouleront les 6, 7 et 8 mai prochains, seront marquées par un événement dont il nous plaît de souligner l’importance : la dénomination de l’école du village. Celle-ci portera le nom de Marcel Leguen, un enseignant de cet établissement dans les années 50 et 60. Notre ami Eugène Rousse nous raconte qui fut cet homme qui a marqué notre histoire.

À la demande des habitants du Tévelave, un écart des Avirons, le maire de la commune, Michel Dennemont, a œuvré pour que l’école du quartier porte désormais le nom de Marcel Leguen.
La cérémonie de dénomination aura lieu ce samedi 6 mai en présence de Paulette Leguen (l’épouse de Marcel) venue tout exprès de sa Bretagne natale pour un bref séjour à La Réunion qu’elle a dû quitter le 11 juillet 1963 en compagnie de son mari (décédé à l’âge de 74 ans le 15 octobre 1998) et de ses fils. Tous aussi malheureux les uns que les autres de quitter une île à laquelle ils étaient très attachés.
Le baptême de l’école rénovée où le couple Leguen a enseigné de 1954 à 1963 nous fournit l’occasion de rappeler ce qu’a été la “pédagogie du Tévelave”, dont Marcel Leguen a été à la fois le “théoricien” et le “maître d’œuvre”. C’est aussi pour nous l’occasion d’évoquer des faits dont on a du mal à imaginer aujourd’hui qu’ils aient pu se produire à La Réunion, il y a seulement un demi-siècle.

Une école très différente

”L’École nouvelle” que Marcel Leguen fonde au Tévelave en 1954 est très différente de l’école traditionnelle. Alors que dans cette dernière, le maître "présente d’autorité le savoir à ses élèves", le maître de l’école nouvelle "compte davantage sur l’exploitation des besoins et des intérêts de l’enfant et sur sa capacité d’acquérir en grande partie de lui-même les éléments de sa culture". Apprendre à apprendre tel est le rôle de l’école nouvelle.
Convaincu par ailleurs que le créole est une langue, une langue parlée par la quasi-totalité des élèves, le directeur de l’École nouvelle du Tévelave estime que le seul moyen de permettre à l’enfant de penser, de s’exprimer et par voie de conséquence de s’épanouir, c’est de l’autoriser à recourir à sa langue maternelle, notamment dans les textes libres. La maîtrise du français passant nécessairement selon Marcel Leguen, par une valorisation du créole qui, comme toutes les langues régionales de France métropolitaine, fait partie d’un patrimoine qui doit être défendu et enrichi.

“La Moque”

Ayant fait également le pénible constat que l’élève réunionnais quitte l’école en ignorant tout de l’histoire de son île, de sa flore et de sa faune, Marcel Leguen estime que c’est dans la société réunionnaise et dans le milieu réunionnais que la pédagogie doit trouver ses racines et puiser ses ressources. Ce qui nécessite évidemment de la part de l’enseignant un énorme travail de documentation et de recherche et la réalisation de fiches d’observation autocorrectives permettant à chaque élève de travailler à son rythme.
Afin de véhiculer les pratiques pédagogiques de l’école nouvelle du Tévelave, son directeur fonde le journal scolaire “La Moque”, du nom d’une source des hauts des Avirons dont le faible débit ne permet de remplir en une journée qu’une moque (petit récipient métallique, appelé plus communément boîte de conserve).

Pas d’école égalitaire dans une société inégalitaire

Mais Marcel Leguen a parfaitement conscience que la révolution pédagogique dont il est l’initiateur ne peut, à elle seule, suffire à l’édification d’une école égalitaire. Il faut au préalable, estime-t-il, non pas que disparaissent, mais au moins que s’atténuent les très graves inégalités sociales qui subsistent à La Réunion, plus de dix ans après le vote de la loi du 19 mars 1946 érigeant La Réunion en département français.
Aussi, au cours des débats qu’il anime un peu partout dans l’île, Marcel Leguen tient-il à mettre l’accent sur l’extrême dénuement de la majorité des élèves dont la plupart souffrent de malnutrition, de parasitoses, de paludisme et n’ont pas les moyens de se vêtir et de se loger correctement. À cela s’ajoute pour le plus grand nombre, un enseignement dispensé dans de très mauvaises conditions matérielles et pédagogiques par du personnel n’ayant bien souvent ni qualification, ni formation.
Un tel constat conduit le directeur d’école du Tévelave à militer au sein de diverses organisations, dont le Syndicat national des instituteurs (SNI), la Fédération des œuvres laïques (FOL), l’Office central de la coopération à l’école (OCCE), le Centre d’information et de recherches pédagogiques (CIRP), association fondée à La Réunion le 18 octobre 1956 par l’inspecteur de l’Éducation nationale Roger Überschlag ; un fonctionnaire alsacien dont la compétence, le dévouement et le dynamisme ne lui vaudront pas que des amis, comme nous le verrons plus loin.

Changer la société et l’école

Dans toutes ces associations, le concours de Marcel Leguen est très apprécié. Au SNI - où il devient rapidement un ami de Raymond Mondon, de Gervais Barret, d’Ary Payet, d’Arzule Guichard et de tant d’autres qui combattent sur plusieurs fronts en vue de changer la société et l’école - il accepte un siège au Conseil syndical en dépit des multiples responsabilités qu’il doit assumer ailleurs.
Au CIRP, où il abat un travail considérable, il ne peut refuser l’offre qui lui est faite le 24 juillet 1958 de diriger l’école expérimentale du 23ème km de la Plaine des Cafres ; une école qui a pour vocation de devenir "un instrument de recherches et de découvertes susceptibles de... montrer qu’en matière de pédagogie, l’information n’est jamais achevée et que la recherche est toujours payante", selon le mot du vice-recteur Cormary.
Dans les locaux de l’école Edgar Avril où l’instituteur breton et ses adjoints s’installent le 9 septembre 1958, ils ne tarderont pas à être victimes de la haine et de la violence orchestrées par le maire du Tampon, Paul Badré.
Laissons Marcel Leguen rapporter lui-même ce qui s’est passé dans son école du 23ème km les 21 et 28 septembre 1958 :

"Après la fermeture de l’École expérimentale"

"Il est difficile d’écrire sur l’affaire de la Plaine des Cafres qui est essentiellement politique, quand on s’est fait une règle dans ce bulletin de ne se préoccuper que de l’information et de la recherche pédagogiques. Nous pensons cependant que nos amis réunionnais de l’École moderne française, qui attendaient beaucoup de l’École Freinet de la Plaine des Cafres, ont droit à quelques explications sur la fermeture prématurée de cette école.
Quels sont les faits ? Début septembre, s’ouvrait à la Plaine des Cafres, sous l’appellation officielle d’École expérimentale, une École Freinet dont la direction m’était confiée. Je m’entourais des collaborateurs suivants : Lucile Payet, Paulette Le Guen, Roger Serveaux et Arzule Guichard, tous ayant l’expérience des techniques Freinet.
Le 21 septembre, à l’occasion d’une réunion publique -
Nous sommes alors en campagne électorale - illégalement tenue dans la cour de l’école, une grossière machination était montée par un certain groupe politique contre l’École Freinet et son directeur. Cette machination trouvait son aboutissement logique, inévitable, prévisible et prévu par nous, le 28 septembre, jour du référendum, où j’étais assommé devant l’école. Je garderai de cet “incident”, une main droite infirme... Mon départ et celui de Paulette ne devaient pas suffire à calmer la haine de nos adversaires qui comprirent fort bien qu’une École Freinet pouvait continuer à fonctionner avec Guichard et qui, dès lors, s’acharnèrent sur lui.
Pourquoi cette haine et pourquoi cette violence ?
L’École moderne française, dont nous sommes, groupe des Éducateurs d’opinions fort diverses et ne peut pas, ne veut pas être un mouvement politique. Mais nous ne croyons pas non plus à la pédagogie pure. Y croire d’ailleurs ne serait pas seulement une naïveté, ce serait une escroquerie. Comment parler en effet de progrès pédagogique si certaines conditions ne sont pas remplies, car le problème n’est pas seulement pédagogique, il est aussi politique et social : logements sains, alimentation correcte, salaires normaux, écoles suffisantes et effectifs convenables.
C’est pourquoi le Mouvement de l’École moderne française se range tout naturellement du côté des organismes qui, par leurs revendications et leur action, luttent pour que soient enfin réalisées, à La Réunion comme ailleurs, les conditions sociales et politiques indispensables à une véritable éducation populaire. Que nous rencontrions alors l’hostilité, voire dans le cas de la Plaine des Cafres la haine de certains groupements politiques, voilà qui, je pense, n’est pas pour surprendre...
Un problème reste posé : est-il encore possible aux instituteurs de La Réunion, en cette année 1958, de décider du choix de leurs méthodes ? S’il fallait répondre négativement, ce serait, n’est-ce pas, très grave et très triste"

(Rapport de Marcel Leguen extrait du bulletin du CIRP de novembre 1958).

Eugène Rousse

(à suivre)


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