“Architruc” à Maurice, avant l’Afrique et l’Europe

En jeu : un théâtre de l’océan Indien

14 février 2005

À l’invitation du Centre culturel Charles-Baudelaire, “Architruc”, coproduction du Centre dramatique de l’océan Indien et de Téat la Kour, s’est produite toute la semaine dernière à Maurice, en ouverture de sa tournée en océan Indien et en Afrique de l’Est, passant par Seychelles, Madagascar, Comores, Ouganda, Burundi, Djibouti, Éthiopie, Zambie, Mozambique et Namibie. Avant l’Europe...

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Le spectacle théâtral “Architruc” est né en novembre à La Réunion avec pour objectif une tournée dans les différents pays de l’océan Indien. Le projet s’est concrétisé et a offert au public une pièce originale en français, mais aussi en créole.
Le but principal de cette création selon Ahmed Madani, directeur du Centre dramatique de l’océan Indien, est "d’attirer un public un peu plus important en faisant jouer une pièce classique par des acteurs très populaires dans leur île, de faire passer du théâtre “intellectuel” auprès d’un public “populaire”". C’est ainsi que la Mauricienne Myselaine Soobraydoo, le Réunionnais Éric Isana et le Malgache Roméo Andriamandresy Hasivelo ont été amenés à partager les planches.

"Food for thought"

Le Centre dramatique de l’océan Indien est en résidence à l’Ile Maurice depuis le 24 janvier jusqu’à demain, où la troupe s’envolera pour une représentation aux Seychelles. La pièce de Robert Pinget a été recréée en créole mauricien, le texte a été traduit par Barlen Pyamootoo, suite à une commande du Centre culturel Charles-Baudelaire. Huit représentations d’Architruc ont été organisées, quatre au Théâtre de Vacoas et quatre au Théâtre de Port-Louis, un magnifique théâtre à l’italienne, le plus ancien de l’Hémisphère Sud, construit en 1822.
Le théâtre à Maurice n’est pas subventionné comme à La Réunion, le théâtre de Port-Louis n’a aucune subvention pour la création de pièces. Cette résidence a été rendue possible grâce au partenariat entre la compagnie Komiko, l’agence Immedia, l’Alliance française de Maurice, le Centre culturel Charles-Baudelaire, le Ministère des Arts et de la Culture et le Ministère de l’Éducation mauricien et la Ville de Port-Louis.
Plusieurs rencontres avec les élèves des lycées venant assister aux représentations scolaires ont eu lieu et les comédiens ont beaucoup apprécié l’enthousiasme de ce jeune public.
Cette résidence ambitionne aussi des projets de développement d’actions théâtrale en milieu scolaire. Jean-Philippe Gabilloux, directeur de l’Alliance française et du Centre culturel Charles-Baudelaire, fait de la diversité théâtrale un fil conducteur de son action placée sous le signe de l’échange. Il se félicite de voir chez les jeunes un réel intérêt pour “Architruc”.
Pour Rama Poonoosamy de l’agence Immedia, "c’est une magnifique pièce, food for thought" que l’on pourrait traduire en français par “nourriture de l’esprit” et en créole par “manzé pou lo kèr”. La couverture médiatique d’”Architruc” est impressionnante et pour la première soirée, 150 personnes sont venues assister à la prestation.

Soutenir le théâtre mauricien

Mais bien que tout le monde soit au courant par les médias, l’ensemble des représentations n’a pas fait salle comble. Ce qui n’est pas le but en soi. Si pour l’agence Immedia, "voir des sièges vides alors qu’il y a du talent sur scène crève le cœur", pour le Centre dramatique de l’océan Indien, "nous sommes là pour provoquer, interpeller, déranger, donner envie de voir autre chose. Nous ne sommes pas là pour remplir les salles mais pour faire vivre une idée".
Ahmed Madani développe : "Le théâtre est très important pour la vie citoyenne. Nous voulons soutenir les compagnies mauriciennes qui ont de grandes difficultés à s’exprimer. Les dispositions du gouvernement mauricien ne sont pas du tout les mêmes qu’à La Réunion. Nous recevons une demande forte de développer des échanges avec le Centre dramatique en termes de formation, d’aide logistique et technique".
Il compare la situation du théâtre à Maurice avec celle de La Réunion du début des années 1980 : "Les compagnies sont sans moyens, les acteurs travaillent dans la journée et répètent le soir. Il faut arriver à avoir des acteurs mauriciens professionnels pour développer le théâtre et conquérir le public mauricien, pour l’ouvrir au théâtre. Il n’y a pas vraiment d’écriture dramatique, mis à part ces compagnies amateurs, et il en faut pour passer ailleurs, pour sortir de l’IIe Maurice. C’est pourquoi nous voulons aider les romanciers à écrire des textes pour le théâtre afin de produire réellement un spectacle à l’Ile Maurice".
Ayant rencontré la communauté des acteurs mauriciens, il y a pourtant trouvé "un théâtre vivace, fort, et des metteurs en scène qui se battent". Le lieu même de la résidence, le Théâtre de Port-Louis, l’a ébloui par sa magnificence, ce qui lui fait d’autant plus regretter qu’il n’y ait pas de grande vie théâtrale, ni d’équipe qui l’anime tout au long de l’année.
En parlant d’année théâtrale, le Théâtre du Grand-Marché a présenté la saison qui commence depuis Maurice, un programme sur lequel nous reviendrons dans une prochaine édition.

Eiffel


Réactions des acteurs

"L’art n’a pas de frontières"

o Myselaine Soobraydoo : "c’est la première fois que je joue ce genre de rôle contemporain, classique. Je suis très contente de pouvoir aller vers cela, de connaître un autre registre, d’être une comédienne tout terrain. J’ai suivi cette formation pour ma troupe, pour mon pays et c’était aussi une grande satisfaction de jouer à La Réunion, d’être reconnue comme comédienne. Ce sont de grands pas pour le futur de Komiko".

o Éric Isana. Fondateur de Téat la Kour, il a travaillé aussi bien avec Talipot, Vollard, les Improductibles mais "Maurice, c’est la première fois, je ne m’attendais pas à ce coup de foudre médiatique. Je m’attendais à plus de public, mais jouer pour 10, 100 ou 1.000 personnes ne change rien pour moi. Il s’agit de faire passer une émotion vers l’humain. J’ai été très gâté par les critiques, j’ai encore beaucoup à apprendre. Je suis fier d’être le premier Réunionnais à jouer en mauricien".
Et il a tellement bien joué, qu’un poète mauricien, Stephan Hart de Keating, trompé par son jeu, pensait qu’il était réellement de Maurice. Éric a aimé ce "glissement de langue" et trouve "merveilleux d’entrer dans un pays et de communiquer dans la langue du pays". Il veut ensuite "continuer le travail avec Myselaine, aller encore à la rencontre des talents mauriciens. L’avenir nous dira si nous irons loin ensemble, il faut garder la foi".

o Roméo Andriamandresy Hasivelo, connu mondialement sous le nom de Légo, estime que cette expérience démontre que "l’art n’a pas de frontières". Aujourd’hui il sent bien l’évolution qu’il a parcourue de musicien à acteur : "J’ai appris beaucoup dans cette formation. C’est un grand trophée pour moi que ce travail sur les langues, les techniques théâtrales, c’était un rêve d’enfant de devenir acteur". Un rêve devenu réalité.


Vers un théâtre indocéanique
Le Centre dramatique, en collaboration avec le Centre culturel Charles-Baudelaire, organise du 21 au 26 février un stage de formation d’acteurs dirigé par Jean-Louis Martinelli, directeur du Centre dramatique national de Nanterre Amandiers. Avec une douzaine de comédiens mauriciens, il développera un travail d’acteurs à partir de textes proposés par Barlen Pyamootoo.
Pour la prochaine création de la compagnie Komiko, seule compagnie professionnelle de l’Ile Maurice, un accompagnement artistique et technique sera mis en place avec l’intervention de Joan Mompart, acteur et metteur en scène suisse.
Dans le cadre de la manifestation “L’œil du Cyclone” en décembre à La Réunion, une commande de texte dramatique sera passée à Barlen Pyamootoo. La pièce sera présentée en lecture scénique au Théâtre du Grand-Marché.
Plusieurs cessions de formation et des ateliers de recherches seront mis en place d’ici 2007 en vue de constituer une équipe artistique mauricienne qui pourrait s’orienter vers une professionnalisation. Le premier objectif serait la réalisation d’un spectacle d’envergure internationale dont la diffusion se ferait à Maurice, à La Réunion, dans l’océan Indien puis en tournée européenne.

Le Centre dramatique et Maurice, Mayotte, Madagascar
Du côté de Mayotte. Thierry Bédard, metteur en scène français et Alain Martial Kamal, auteur et metteur en scène mahorais, initieront un travail de création à Mayotte en août 2005 avec le soutien du Centre dramatique et de la Scène nationale d’Annecy.
C’est du 25 avril au 29 mai 2005 à Madagascar que se tiendra le second volet du chantier international d’acteurs : l’improbable vérité du monde. Le premier chantier proposé à 18 artistes de l’océan Indien et de Suisse avait eu lieu en juin 2004 à La Réunion. Ce chantier est "un laboratoire pour croiser les visions du monde entre artistes du Sud et artistes du Nord. C’est une formation atypique qui procède davantage de l’échange, du partage et de l’écoute que de l’apprentissage d’une technique particulière de jeu théâtral".


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