La pièce de théâtre ’Utérus et frigo’

Et si l’on parlait de la femme réunionnaise ?

8 mars 2005

Née en 70 à Bordeaux, Julie Lafarge est le fruit d’un excellent cru. Femme et comédienne passionnée, généreuse, à l’énergie et la bonne humeur transmissibles, elle se jette à l’eau avec sa pièce “Utérus et frigo” qui dresse six portraits de femmes réunionnaises. Un plongeon sans filet qui mérite d’être souligné.

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Après deux ans de Conservatoire à Nantes, Julie a vécu deux années folles avec l’école "Studio Théâtre". Tous les 3 mois, sa promotion présentait un nouveau spectacle classique, aux textes durs, de ceux qui forgent la fibre tragique et apprennent la rigueur de la scène. À un rythme effréné, de festivals en festivals, Julie s’est découvert une passion pour cette vie de troupe.
"C’est par hasard", un aller simple en poche, qu’elle a débarqué à La Réunion voilà 10 ans pour apprendre d’autres choses, expérimenter d’autres formes d’expressions vivantes. De Annie Grondin, en passant par Talipot, du Théâtre Nectar à l’impro, de la troupe Saint-pierroise "Nou larivé" au hip-hop de MLK, en passant par les scolaires : l’insatiable Julie se nourrit de rencontres, de jeux et de créations.
Avide de partage, elle fédère les genres autour de son inspiration. Oui mais voilà, on lui reproche de vouloir être partout à la fois, d’en faire un peu trop. Julie ne doit pas se perdre, trouver et prouver son identité. Il n’en faut pas plus à ce petit ressort de 45 kilos, pour rebondir et d’un coup de baguette magique, "Schlink", créer sa troupe SDF du même nom.

Un système à la Broadway

Avec “Utérus et Frigo”, c’est la première fois qu’elle écrit une pièce de A à Z, qu’elle essaye de se hisser jusqu’à un niveau professionnel, au côté de comédiennes amatrices. Le défi est de taille, mais Julie dit en avoir "un peu marre, pour caricaturer, de ce système de plus en plus de droite qui fonctionne à la Broadway. Où que j’aille au théâtre, je retrouve toujours les mêmes têtes...c’est désespérant."
Même s’il est difficile de trouver un rythme de jeu dans des conditions d’amateur, sans lieu de répétition, de production, cela ne décourage pas la battante. Les filles qui participent à l’aventure “Utérus et frigo” sont assidues et Julie est convaincue qu’après trois mois de représentation, la pièce sera mieux rodée.
Car dès que l’on s’essaye, que l’on se risque dans la cour des “pros”, forcément les critiques ne se font pas attendre : trop décousu, pas assez de mise en scène... "Ok, il y a plein de défauts, mais les critiques des uns sont les compliments des autres", s’encourage Julie qui remet son travail à l’œuvre.
Le plus important reste pour elle de jouer plusieurs fois, d’approcher le public et de trouver une autre façon de l’amener au théâtre. Heureusement que certains producteurs lui ouvrent leurs petites scènes (Canter, Langenier), osent se jeter à l’eau pour le plus grand plaisir du public du qui en redemande.

La femme n’est pas que sexy ou mère

Le public se retrouve dans ces portraits de femmes, qui auraient aussi bien pu se présenter sous la forme de sketchs, reconnaît Julie. La mise en scène est volontairement hachurée, se saccade au rythme des rencontres des six protagonistes lors des répétitions de danse dans l’atelier de Stéphanie, interprétée par Christine Salem, que l’on a plaisir à découvrir en comédienne et plus seulement comme la mimétisante voix de Salem Tradition.
On pénètre dans leur intimité, partage leurs confidences, leurs incertitudes, leurs coups de gueule, retrouve ce sentiment de culpabilité originel, ce rapport à la mère. Julie dit avoir "volontairement survolé les choses, il y aura tellement à dire... j’ai préféré frôler les sujets sans apporter de solutions", et proposer des "bouts de tranche de vie, de sensations, de ressentis féminins."
Comme beaucoup de femmes, Julie en a assez de cette représentation caricaturale, réductrice et souvent rétrograde de la femme, que nous proposent les magazines féminins ou les médias télévisés. La femme est autre chose que la poupée sexy ou la mère au foyer, elle a d’autres aspirations et une autre contenance.
D’ailleurs toutes les comédiennes sont des femmes d’exception, indépendantes et autonomes, créatives et qui n’en restent pas moins des mères pour la plupart. Pour Julie, "la femme réunionnaise n’est pas assez mise en valeur et elle s’impose même parfois des notions assez graves", d’où le sentiment de culpabilité sous-jacent transmis de femmes en femmes, de génération en génération. Une pièce qui sans être féministe parle de la femme, de nos mères, de nos enfants. Pour preuve, un acteur masculin est omniprésent sur scène, le frigo.

Spectacle de rue en mai

Septième personnage de la pièce, elles périclitent toutes autour de lui, pour un bout de gâteau patate, une goulée de dodo, veiller s’il reste un peu de "kari", pour l’ouvrir et le fermer machinalement. Besoin vital de se nourrir, symbolique de la femme aux fourneaux, ou de la femme qui compense ses angoisses par la bouffe... l’on peut le caricaturer ou le laisser à son état de frigo, chacun reste libre de son interprétation. Julie, qui a choisi le titre de sa pièce spontanément, parce qu’elle l’a trouvé drôle, aurait aimé plus de liberté technique pour jouer avec.
Elle voulait un frigo mobile, dodu ... à petits moyens, petits effets, mais à petites idées grandes promesses. S’inspirant du contenu d’“Utérus et frigo”, Julie approfondira les sentiments féminins avec trois comédiens en mai, lors du Tempo Festival, dans un spectacle de rue appelé "Démontaz". Elle espère à la suite de cette expérience finir sur une histoire scénique plus structurée "Démontage" pour, elle n’en démord pas, amener les gens au théâtre, à la découverte en l’occurrence de la femme et des femmes réunionnaises.
Face à une telle détermination, une telle passion, l’on ne peut qu’encourager Julie et les comédiennes qui l’entourent à poursuivre leur travail d’intérêt collectif, et à nous offrir encore un bon moment de détente et de découverte comme dans "Utérus et frigo".

Estéfany


An plis ke sa

o Distribution

Christine Salem, dans le rôle de Stéphanie ; Nadège Ichambre (choriste Salem Tradition) interprète Sylvie, jeune célibataire de 27 ans qui désespère de ne pas être casée à son âge ; Francine Barreau (Théâtre du Songe, Acta, Saltimbanque...) est Annie, fonctionnaire zorey de 50 ans, qui assume très bien son célibat ; Céline Richardson, (retraitée de l’Éducation nationale), interprète Gilberte la doyenne de la bande ; André Véronique (animatrice, impro) joue Mériline, jeune créole stable (maison, enfant, mari, maman) culpabilisée par sa libido de femme enceinte ; Julie Lafarge, incarne Elise, la baba cool fêtarde, "pa la èk sa", qui se contente très bien de son chômage et de la générosité des copines pour vivre. Alex Sorez de MLK assure les intermèdes musicaux et Prisca Zora, les costumes.

o Dates

Le 8 mars à 20 heures aux Avirons, le 12 mars à 20 heures à l’Étang- Salé, le 9 avril à 20 heures à Saint-Pierre et le 15 avril à 20 heures à la salle Canter de l’Université du Moufia.


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