
Mal-do-mèr dann sarèt
28 juin, parLo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Entretien avec l’historien réunionnais Gilles Gauvin
3 décembre 2005
Gilles Gauvin est un Réunionnais, professeur d’Histoire, qui exerce sa profession en France. Il est membre du Comité pour la mémoire de l’esclavage (CPME), présidé par Maryse Condé, aux côtés d’une autre historienne réunionnaise, Françoise Vergès. “Témoignages” a souhaité l’interroger sur différents sujets d’actualité liés à la recherche historique et sur les événements sociaux qui viennent de se dérouler en France. Nous le remercions de nous avoir accordé cette interview, qui est particulièrement intéressante.
Le ministère de l’Éducation nationale vient de publier dans son Bulletin officiel une note de directives sur l’enseignement de l’esclavage dans les établissements scolaires : comment analysez-vous le contenu et la portée de cette décision ?
- La circulaire parue au BO du 10 novembre dernier et relative à “la mémoire de la traite négrière de l’esclavage et de leurs abolitions” est le résultat du travail mené par le CPME à travers sa commission Éducation-Recherche. Nous avons rencontré à plusieurs reprises des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale en histoire-géographie pour le primaire et le secondaire afin de leur présenter nos propositions, à commencer par la nécessité de rappeler par une circulaire l’importance que devrait tenir la question dans l’enseignement. L’objectif était de rappeler à la communauté éducative les entrées déjà imposées par les programmes (cycle 3 du primaire, 4ème, Seconde), de soutenir toutes les actions pédagogiques novatrices sur la question et de proposer de nouvelles pistes pour enrichir cet enseignement.
Nos propositions ont été très bien accueillies par les inspecteurs et ont été très rapidement suivies d’effet. Cette circulaire s’adresse dans un premier temps au “sommet de la pyramide” éducative : les rectrices et recteurs, les inspecteurs d’académie et les directrices et directeurs de l’Éducation nationale, afin de mobiliser leurs services pour répercuter ensuite cela sur les équipes d’enseignants.
Une série de mesures très importantes
Au-delà du simple rappel des points déjà existants dans les programmes (et que le grand public pourra facilement retrouver sur le site Internet du CPME ou dans notre premier rapport publié aux éditions La Découverte), ce texte annonce une série de mesures très importantes : un cadre pour la mise en ligne d’outils pédagogiques ressources, un atelier de travail consacré à la question dans le prochain séminaire des 14-15 décembre intitulé “Comment dire ? Comment faire ? Quelles pratiques pour enseigner des questions sensibles dans une société en évolution ?” et enfin la préparation d’un colloque pluridisciplinaire spécifique. Ce dernier devrait aboutir à une publication pédagogique de référence sur laquelle pourront s’appuyer les équipes enseignantes.
Il est enfin demandé aux académies de mettre en valeur les actions pédagogiques, en particulier dans le cadre du Prix des droits de l’Homme René Cassin. Tout cela ne peut se concevoir également sans un développement parallèle de la recherche scientifique et une sensibilisation accrue dans la formation des nouveaux enseignants. C’est pourquoi le texte rappelle en conclusion aux établissements d’enseignement supérieur l’existence du prix de thèse du CPME.
Donner des outils pédagogiques aux collègues
Le premier des objectifs que nous nous sommes fixé est donc réalisé : donner un cadre institutionnel qui permette d’accorder une place privilégiée à la réflexion sur l’enseignement de l’histoire et de la mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. Maintenant, ce texte ne sera suivi d’effets qu’à travers des actions concrètes. Les enseignants sont déjà sollicités sur de nombreuses problématiques nouvelles (le développement durable par exemple), leur tâches éducatives au sens le plus large sont parfois très lourdes (lutte contre l’illettrisme, problèmes de violences...) et il n’est pas simple au quotidien de se lancer dans des projets pédagogiques novateurs, surtout si on n’a soi-même pas été formé sur cette question.
Il est donc nécessaire de donner des outils pédagogiques aux collègues. C’est dans ce cadre que les inspecteurs généraux d’histoire-géographie de l’académie de Rouen ont accepté de soutenir des actions “pilotes”. Une rubrique spécifique a déjà été créée sur le site Internet de l’académie, des bibliographies universitaires et pédagogiques ainsi que des chronologies ont été mises en lignes. Cela devrait être suivi par la mise en ligne de séquences pédagogiques (comme cela existe pour d’autres thèmes). Comme l’académie dispose d’un partenariat avec les établissements d’Afrique de l’Ouest, des contacts ont été pris pour que des enseignants locaux participent à cet enrichissement pédagogique du site.
Profiter du site de l’académie de Rouen
Plus concrètement, je conduis depuis 2 ans dans mon collège des itinéraires de découverte en 4ème sur l’esclavage à l’île Bourbon et j’incite d’autres enseignants à s’investir (documentaliste, lettres, technologie mais aussi en langues ou encore en EPS sur la Capoeira et le Moringue...). J’essaye également d’impliquer les écoles primaires du secteur et le lycée voisin, et j’espère ainsi pouvoir réaliser une manifestation dans le collège et réunissant tous les participants. L’objectif académique serait d’arriver à créer une équipe relais qui puisse proposer des interventions dans le cadre du plan académique de formation.
C’est à chaque enseignant sensibilisé à la question de s’investir à présent. Ils existent en France métropolitaine, mais ce sont des actions isolées. Cette circulaire leur offre un cadre pour développer ses projets et surtout les partager avec l’ensemble des enseignants.
L’académie de La Réunion pourrait ainsi donner une portée nationale aux très nombreuses actions conduites localement. Il faut faire connaître aux enseignants de l’Hexagone (mais aussi à ceux de l’ensemble de l’Outre-mer) tout ce qui est fait, donner des outils, présenter des séquences pédagogiques... À l’heure d’Internet, c’est quelque chose de tout à fait réalisable. Et il est important que l’on n’oublie pas au niveau national l’esclavage et la traite négrière dans l’océan Indien.
Or concrètement, les quelques outils sur lesquels peuvent s’appuyer actuellement les enseignants concernent dans une très grande majorité la traite atlantique. D’ailleurs si des collègues veulent profiter du site de l’académie de Rouen pour diffuser des activités pédagogiques, qu’ils n’hésitent pas à prendre contact.
Le Comité pour la mémoire de l’esclavage, présidé par l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé et dont vous faites partie, a remis le 12 avril dernier au Premier ministre un rapport avec des propositions pour "faire en sorte que la mémoire partagée de l’esclavage devienne partie intégrante de la mémoire nationale". Ce rapport vient d’être édité pour le grand public. Quelles en sont selon vous les idées force ?
- Ce n’est pas un hasard si le CPME a proposé que le jour de commémoration annuelle en France métropolitaine de l’abolition de l’esclavage s’intitule “Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions”. Il s’agit en effet de renforcer l’unité nationale à travers la reconnaissance pleine et entière par l’État français de son passé colonial et esclavagiste qui fait partie intégrante de l’histoire nationale. Les polémiques les plus récentes autour de “la question noire en France” soulignent l’urgence pour la nation française d’assumer pleinement son passé et d’en tirer des enseignements lui permettant de ne pas sombrer dans les dérives communautaristes.
La France est aujourd’hui riche de populations ultramarines jeunes et dynamiques capables d’apporter énormément à la culture, à la création artistique, à l’économie et à la démocratie. Cette commémoration que nous proposons pour le 10 mai a ainsi pour objectif de célébrer l’énergie créatrice qui existe dans ces sociétés issues de l’esclavagisme.
Plusieurs chantiers
Le premier chantier d’envergure est celui de l’enseignement scolaire lié directement à la recherche universitaire. Il est nécessaire de donner aux enseignants une formation préalable prenant en compte la question, d’offrir des outils pédagogiques permettant rapidement la mise en œuvre d’un enseignement novateur et de mettre en évidence les réalisations à travers des actions de sensibilisation. En amont, le CPME a suggéré la création d’un laboratoire inter-universitaire de recherche comparative ainsi qu’un centre national pour l’histoire et la mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions.
La culture est un autre chantier considérable. Nous avons demandé la mise en œuvre de 3 grands inventaires. Un premier concernant toutes les collections nationales et régionales d’objets relatifs à la traite négrière, l’esclavage et de leurs abolitions. Un deuxième consacré aux archives et un troisième relatif aux lieux, musées et monuments consacrés à ces questions.
Il est important de rappeler que le CPME n’a qu’un pouvoir de proposition. Tout cela ne pourra donc être réalisé que par les administrations concernées. L’ancien Premier ministre avait annoncé l’organisation d’un comité interministériel à cet effet. Nous espérons que cette promesse sera suivie d’effets.
Appliquer la loi du 10 mai 2001
La date du 10 mai a été proposée par votre comité "comme jour de commémoration annuelle en France métropolitaine de l’abolition de l’esclavage". La décision sur ce point ne tarde-t-elle pas à venir ?
- Lorsque le CPME a rendu son rapport, notre proposition de date de commémoration pour la France métropolitaine - justifiée par cette nécessité de construire une mémoire partagée et une histoire commune - a été bien accueillie par les plus hautes autorités de l’État français. On ne peut que regretter que l’annonce de cette décision ne soit toujours par intervenue. La question est trop importante pour qu’elle soit constamment reportée du fait des aléas politiques nationaux. Cette date étant par ailleurs le cœur symbolique de toutes les décisions à suivre, elle est indispensable à leur mise en œuvre. Ainsi, toutes les administrations avec lesquelles nous travaillons (Éducation, Culture) ont montré leur volonté de mettre en œuvre des projets et elles se sont déjà engagées sur cette voie (circulaire du BO, inventaire des sources et des archives par la Direction des Musées de France). Mais l’aboutissement de ces projets reste conditionné par la volonté politique de l’État de mettre enfin en application la loi votée le 10 mai 2001.
Quel regard portez-vous en tant qu’historien et Réunionnais sur les émeutes qui ont secoué un grand nombre de villes en France ces dernières semaines ? Y voyez-vous un lien avec le passé colonial de la France et pensez-vous qu’un travail sur la mémoire historique du peuple français pourrait contribuer à faciliter l’intégration des immigrés des anciennes colonies ?
- L’analyse d’une explosion sociale n’est pas chose simple car les raisons en sont toujours complexes. Le problème de l’intégration économique et sociale de certaines catégories de population, tout particulièrement de celles issues de l’immigration noire africaine et maghrébine des “Trente Glorieuses” est visiblement analysé par nos responsables politiques comme étant le cœur du problème puisque depuis, le chef de l’État insiste sur l’effort qui reste à mener dans le cadre des luttes contre les discriminations liées aux origines ethniques. Les interventions symboliques se sont ainsi multipliées autour de cette question, qu’il s’agisse de la formation, de l’emploi ou même de l’audiovisuel public. Je crois que la reconnaissance officielle par l’État de la date de commémoration voulue par la loi de mai 2001 et la mise en œuvre de toutes les mesures que propose le CPME tiennent ici toute leur justification. Cette annonce est d’autant plus urgente qu’il faudra plusieurs années avant que tous nos projets concernant la recherche scientifique, l’éducation ou la culture commencent à changer les mentalités.
Chômage et racisme
Une des raisons de cette poussée de fièvre est le chômage de masse qui ronge notre société depuis plusieurs décennies. L’inefficacité des politiques liées à ce problème économique a abouti à la mise à l’écart de nombreuses catégories de la population française. Pour les Français d’origine africaine, ce problème est rendu encore plus difficile à vivre du fait des représentations nées de l’histoire de la colonisation et de l’esclavage.
J’ai travaillé pendant 7 ans avec des élèves de 3ème d’insertion et j’ai pu constater concrètement les difficultés supplémentaires que pouvaient avoir mes élèves d’origine africaine. Lorsqu’un patron a une dizaine de candidats pour une place, il va prendre en compte un certain nombre de facteurs “risques” dans son choix et très souvent la couleur de peau ou la provenance de tel ou tel quartier constitue à son point de vue un risque supplémentaire rédhibitoire. Parmi ces petits artisans et petits patrons, j’ai croisé quelques personnes ouvertement racistes, mais pour la majorité c’était un “simple” raisonnement économique : "la clientèle acceptera moins bien un noir qu’un blanc". Vous pouvez leur avancer tous les arguments que vous voudrez, mais le poids des représentations est tel que ces petits employeurs, qui craignent pour la survie de leur entreprise et qui sont déjà réticents à embaucher un jeune pour un CDI, ne veulent pas courir ce qu’ils considèrent comme risque supplémentaire.
Le résultat de l’échec du système scolaire
En tant qu’enseignant en ZEP depuis 11 ans, je considère également que ce à quoi nous avons assisté est aussi le résultat de l’échec du système scolaire. Il faut arrêter de se voiler la face en se référant à des statistiques de réussite aux examens en constante progression. Cet échec est loin de concerner uniquement les jeunes français d’origine africaine, mais il est vécu par ces derniers comme une humiliation supplémentaire.
Des efforts considérables ont été réalisés dans les écoles si on raisonne en termes d’investissements globaux, et la grande majorité des enseignants donnent le meilleur d’eux-mêmes. Mais tous les discours que j’entends de part et d’autre sur l’égalité des chances me laissent sceptique. Où est l’égalité lorsque je constate que plus des trois-quarts de mes élèves sont pour des raisons diverses dans l’incapacité de travailler chez eux ? Or, il n’y a pas moyen de faire autrement que de fournir un effort de travail et d’apprentissage personnel pour réussir scolairement - et cela dès l’école primaire. Les élèves avec lesquels je travaille (et qui en grande majorité ne sont pas d’origine africaine) sont ainsi depuis la maternelle dans une spirale de l’échec où les humiliations s’ajoutent aux humiliations. Peu nombreux sont ceux qui font encore preuve de volonté et d’un quelconque goût pour l’effort. Et cela malgré tous les efforts et les dispositifs déployés.
La solution n’est pas simple, mais j’estime que tant que l’organisation du travail scolaire ne permettra pas à tous les élèves de faire leurs devoirs dans le cadre de l’institution scolaire avec le soutien d’adultes compétents, l’égalité des chances restera du domaine de l’utopie.
L’école ne fait qu’accroître les inégalités
Je le constate aussi tout simplement à travers la scolarité de mes filles qui sont dans une école primaire en ZEP. Ceux dont les parents ne peuvent pas apporter un soutien scolaire ne peuvent pas s’en sortir, à moins qu’il ne s’agisse d’enfants exceptionnels. En dehors de quelques “poches de réussite” ici où là, l’école ne fait à mon avis qu’accroître les inégalités. Dans les conditions actuelles, l’égalité des chances n’existe pas.
Il faudrait également sortir de l’utopie du discours affirmant que tous les esprits sont capables de s’adapter à l’abstraction de l’enseignement général et réussir à changer cette pratique qui consiste, à cause de la rigidité de notre système scolaire, à orienter vers l’enseignement professionnel du fait de l’incapacité à suivre une scolarité dans l’enseignement général. L’école ne permet pas à un jeune de prendre le temps de construire sa réussite scolaire ou de découvrir qu’il a des qualités et des capacités autres que purement intellectuelles.
Que les jeunes aient mis le feu à des écoles est un fait qui n’est pas anodin. L’attitude consumériste des jeunes s’applique aussi au savoir : l’école n’a pas d’intérêt puisque l’école ne donne pas un métier. Le simple goût du savoir pour son épanouissement personnel a disparu. En tous les cas, on ne peut pas dire qu’une République où des jeunes brûlent les écoles... et des enseignants jettent et brûlent les livres (ce sont des scènes qui ont été diffusées sur toutes les télévisions lors des dernières grandes grèves) soit une République dans laquelle l’École demeure un modèle social respecté.
L’échec des politiques urbaines
Il y a aussi dans ces émeutes le résultat de l’échec des politiques urbaines de gauche et de droite jusqu’à aujourd’hui, malgré les sommes considérables investies par l’État. C’est un peu comme pour l’École : dans un cas on a dépensé pour soutenir des territoires, dans l’autre un enseignement de masse, mais on a oublié les individus.
J’habite également au cœur d’une “cité” qui a eu droit à son bus attaqué et brûlé. Et pourtant on ne manque de rien : médiathèque, piscine, patinoire, cinéma, pharmacies et commerces de proximité... Mais une partie des jeunes du quartier semble toujours se complaire dans les incivilités quotidiennes et le refus de tout effort. En dehors de la petite poignée de réels délinquants, je crois que ce qu’il leur manque, en plus d’une cellule familiale solide, ce sont des exemples de promotion individuelle montrant qu’il est possible de réussir par le travail et le respect des règles communes.
Le travail de proximité fait par la police doit aussi à mon avis être repensé. Dans mon quartier, il n’existe pas par exemple ni police municipale, ni police nationale de proximité, et certains espaces publics sont devenus le “territoire” exclusif de groupes de jeunes (parfois de moins de 10 ans) qui ne manquent pas de prendre à parti tous ceux qui y circulent. Un sentiment d’impunité s’est ainsi installé chez ces jeunes et il a pour corollaire un sentiment d’insécurité et de “ras-le-bol” parmi les habitants.
Dès lors, dans une agglomération durement frappée par le chômage, le terrain est propice à tous les discours politiques populistes.
Enfin, il existe une réalité qui ne doit pas être niée si on veut comprendre le problème dans toute sa globalité et lui trouver des solutions. C’est parfois le refus de populations issues de l’immigration africaine de s’intégrer à la collectivité nationale. Pourtant ces jeunes sont nés en France et auraient le plus grand mal à mon avis à vivre dans le pays d’origine de leurs parents. Il faut se garder des explications simplistes (la religion ou la polygamie par exemple), mais en tant qu’enseignant, je ressens ce phénomène au quotidien.
Des travaux de référence
Comment voyez-vous l’œuvre qui s’accomplit depuis quelques années à La Réunion sur les connaissances de notre Histoire, en particulier de la période esclavagiste ? Quelles pistes de travail ou quelles actions concrètes souhaiteriez-vous voir explorées et mises en œuvre afin de porter plus haut les connaissances historiques et la vision historique de la population réunionnaise ?
- Dans le domaine de l’histoire de l’esclavage, le travail fait par Hubert Gerbeau sur La Réunion et sur l’océan Indien est considérable à l’image de sa monumentale thèse d’État en 5 tomes, “L’esclavage et son ombre. L’île Bourbon aux 19ème et 20ème siècles” qui vient d’obtenir le premier prix de thèse du CPME. Ce travail, qui doit être publié en 2006, constituera sans nul doute une référence au niveau national, au sein d’une recherche universitaire essentiellement focalisée sur le monde atlantique.
Localement, Sudel Fuma et Prosper Ève ont également réalisé des travaux de référence. Le travail de Prosper Ève dans l’histoire des mentalités et des lieux de mémoire est en particulier d’une grande richesse. Mon seul regret, en tant que Réunionnais, est qu’on ne soit pas encore arrivé à porter sur le devant de la scène plus de jeunes chercheurs dans ce domaine.
Lorsque j’ai réalisé ma maîtrise sur la première législature de Michel Debré en 1991 à l’Université de Tours, il n’existait quasiment aucun ouvrage universitaire sur la période contemporaine. Je me souviens de mon passage aux Archives départementales, où nul ne savait - pas plus qu’à la préfecture - où étaient les résultats électoraux pour les années 1960... Le registre électoral s’arrêtait à 1946 ! J’avais alors pu travailler sur des cartons dont l’inventaire n’avait pas encore été réalisé. À présent, cet inventaire est disponible. Il aura fallu attendre 2001 pour voir la publication par l’Université de La Réunion de ces petits précis chronologiques nécessaires à tout étudiant qui cherche à se lancer dans la recherche. Au même moment, l’Éducation nationale produisait une circulaire visant à une meilleure adaptation des programmes d’histoire-géographie “à la situation régionale et à un héritage culturel local”. Tout est donc en place pour une politique de recherche universitaire ambitieuse.
Créer un réseau d’entraide
Après avoir mené des recherches dans l’isolement le plus complet, je pense qu’il est important pour l’avenir de créer un réseau d’entraide entre les jeunes chercheurs réunionnais en métropole. C’est pourquoi j’ai trouvé très intéressant le projet de l’association Amarres et je m’y suis joint. Une première réunion m’a ainsi permis de découvrir d’autres Réunionnais compétents dans de très nombreux domaines. J’espère que cette confrontation d’idées, d’approches et de tempéraments différents pourra aboutir à des productions ou à des propositions pouvant contribuer au développement de La Réunion. Concrètement, cette association pourrait donner un excellent support pour une branche de recherche dans le domaine des sciences humaines qui reste à mon avis le point faible de la recherche réunionnaise.
Au moment où je classais le fonds Réunion des archives Michel Debré conservées à la Fondation nationale des Sciences Politiques, je pensais avant tout au service que j’apportais aux futurs chercheurs sur l’histoire réunionnaise. Je regrette depuis ma soutenance en décembre 2002 de ne pas avoir été sollicité par l’université insulaire pour apporter un soutien ou pour aiguiller les jeunes chercheurs venus à Paris pour explorer ce fonds. Je trouve par ailleurs dommage de n’avoir pas pu faire éditer mon travail par des presses scientifiques locales. J’ai découvert également par la presse l’organisation du colloque sur la régionalisation ou celui plus récent sur la 4ème République...
Toutefois, l’Association des amis de l’Université de La Réunion vient de m’inviter pour des conférences sur Michel Debré en février prochain et je l’en remercie. Mon désir en tant que Réunionnais est en effet de partager mes recherches avec d’autres Réunionnais pour impulser des débats et susciter des réflexions nécessaires à la construction de La Réunion de demain.
Chercher de nouvelles clés de lecture
Par ailleurs, ma participation au CPME m’a permis de rencontrer Françoise Vergès et d’échanger avec elle des réflexions sur des problèmes d’ordre épistémologique. Je partage avec elle l’idée qu’il est nécessaire de chercher de nouvelles clés de lecture pour essayer d’entrer au cœur de l’histoire de la population réunionnaise et pour dépasser le stade de l’histoire événementielle et purement descriptive. J’explore le champ des cultures politiques et elle confronte l’histoire insulaire à la grille de lecture du post colonialisme, que je trouve stimulante.
Nos conclusions ne sont pas forcément identiques, mais j’apprécie le fait de pouvoir échanger avec une autre chercheuse pour essayer d’aller encore plus loin, de renouveler une approche, de remettre en cause une conclusion... Ce qui fait progresser la pensée en recherche est en effet la confrontation des approches et des points de vue et non leur uniformité.
Dans cette optique, il est nécessaire que les historiens de La Réunion puissent croiser davantage leurs travaux avec d’autres chercheurs en sciences humaines (linguistes, anthropologues, sociologues...). Il est également important de croiser les réflexions sur la société locale avec les recherches menées ailleurs, en France métropolitaine, mais aussi dans l’océan Indien et dans le monde anglo-saxon. Tout cela est nécessaire pour apprendre aux Réunionnais à dialoguer pour construire l’avenir plutôt que de s’invectiver sur des principes idéologiques qui appartiennent au passé.
Que pensez-vous de la loi du 23 février 2005 affirmant que "les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord la place qu’elle mérite" et que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord" ?
- Nous mesurons là toutes les contradictions de la République française. Cet article 4 de la loi "portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" est plus que surprenant. Les représentants de la nation n’ont pas à déterminer l’aboutissement des recherches universitaires.
Ainsi, l’article 5 du décret instituant le CPME et ses missions indique par exemple que ce dernier "a pour mission (...) de suggérer des programmes de recherches". On ne lui demande pas d’arriver à telle ou telle conclusion.
Cela aurait pu être tout à l’honneur de la République d’affirmer la nécessité de développer la recherche et l’enseignement des questions relatives à l’histoire coloniale française, car elle témoigne de la complexité de l’histoire nationale et donc de la nation française. Mais c’est aux historiens d’en présenter le bilan. Que voudra dire un manuel d’histoire qui écrira sur une page que la France a "apporté la civilisation aux indigènes" et sur l’autre que la France a "commis un crime contre l’humanité en pratiquant l’esclavage et la traite négrière" ?
J’ai à titre individuel, de même que Françoise Vergès, signé la pétition dénonçant cette loi. Les universitaires de La Réunion pourraient sur cette question faire entendre plus distinctement leur voix, car ils sont plus que tout autre universitaire de l’Hexagone les premiers concernés par les questions de la recherche et de l’enseignement de l’histoire coloniale. Les parlementaires locaux ont également à faire entendre leurs voix.
Entretien : Lucien Biedinger
Lo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Le calendrier scolaire élaboré par le Rectorat pour les 3 prochaines années est désormais connu et fait débat. Pour cause, à l’exception de (…)
Sur proposition de Gérard COTELLON, directeur général de l’ARS La Réunion, Patrice LATRON, préfet de La Réunion, a décidé le retour au niveau 2 du (…)
Le Conseil départemental a décerné, le vendredi 27 juin, les prix « Thérèse Baillif » et « Célimène » lors d’une cérémonie organisée dans (…)
Les cours du pétrole ont connu une nette hausse à partir de la deuxième quinzaine du mois de juin, portés par l’extrême tension au Moyen-Orient et (…)
Mé dam zé méssyé, la sossyété,dsi la késtyonn fors néna la fors natirèl, sak wi gingn an néssan épi an grandissan korèktoman. Mwin lé sirésèrtin (…)
Le 16 juin 2025, le Tribunal administratif de Paris a suspendu en référé l’arrêté du 26 février 2025 ordonnant le blocage de 17 sites (…)
Le Président des Etats-Unis, Donald Trump a ordonné le bombardement de trois sites nucléaires en Iran, dans la nuit du 21 juin 2025. Dans une (…)
Les élus de Guadeloupe ont adopté des résolutions « sur la fusion des deux collectivités, sur les compétences et l’autonomie fiscale », le 17 juin (…)
Des manifestants, réunis le 23 juin devant les institutions européennes, ont demandé la suspension de l’accord d’association liant l’UE à Israël. (…)
L’État poursuit son engagement en faveur de la transition énergétique et de la décarbonation de l’électricité à La Réunion. À l’issue d’un appel à (…)
Normalien et énarque, chercheur en philosophie politique, Bruno Guigue est professeur invité à l’Université normale de la Chine du Sud (Canton) et (…)