Entretien avec Francisco Ussene Mucanheia, dirigeant du Front de libération du Mozambique

Francisco Ussene Mucanheia : En finir avec la revanche et les rancœurs

6 juillet 2004

Francisco Ussene Mecanheia remplit des fonctions politiques dans la province de Nampula, où il enseigne aussi l’anthropologie à l’Université catholique du Mozambique, Nampula (ville). Il est invité à ce titre à La Réunion, fin 2004, pour un colloque universitaire. Il est aussi directeur de cabinet du Gouverneur de Nampula (province), Abdul Razak, pour les politiques publiques.
À 36 ans, il est l’un des jeunes cadres du FRELIMO - Front de Libération du Mozambique, dont l’actuel secrétaire général est Armando Emilio Guebuza - et évoque ici pour “Témoignages” les profondes blessures laissées dans la société mozambicaine - qui change beaucoup actuellement - par les années de guerre.

Vous êtes de cette génération de Mozambicains dont l’enfance a été meurtrie par la guerre. Comment abordez-vous la situation présente et la reconstruction du pays ?

- La société mozambicaine change beaucoup. Elle est entrée dans un processus de transformations profondes - sociales, économiques et politiques - qui nécessitent des changements de mentalité. À ce processus de transformation mentale participent les organisations politiques, syndicales... les organisations civiles. Le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique) en a pris conscience très tôt, après avoir traversé une guerre dramatique, une guerre d’agression et de déstabilisation appuyée par les anciens coloniaux, qui ont créé la RENAMO (Résistance nationale du Mozambique).
Le premier secrétaire général de la RENAMO et son fondateur, Orlando Cristina, était un Portugais qui travaillait pour la P.I.D.E, la police politique. L’autre figure importante en était Jorge Jardim, Portugais lui aussi, qui avait des intérêts économiques dans le pays. Après dix ans de guerre d’Indépendance, le FRELIMO a battu militairement l’armée portugaise, engagée à ce moment-là dans trois guerres coloniales, au Mozambique, en Angola et en Guinée. C’est ce qui a provoqué le “coup” de 1974 et le renversement de Salazar.
Au Mozambique, il y a eu un premier accord signé à Lusaka (Zambie), le 7 septembre 1974, reconnaissant notre indépendance et un gouvernement de transition.

Et les anciens colons ne l’ont pas accepté...

- Cela a déclenché des velléités de coup d’État de la part des anciens coloniaux, qui prétendaient que les Mozambicains étaient incapables d’assumer la direction du pays. Ils ont créé la RENAMO en 1977, au Zimbabwe - alors dominé par le gouvernement illégal de Ian Smith. Ils ont reçu l’appui direct des services secrets du Zimbabwe, de leur logistique et de “radio Hiena”, mal nommée “la voix de l’Afrique libre”. Son rôle était de dénigrer le gouvernement du Mozambique libéré.

Le FRELIMO a joué un rôle très important dans cette libération. Vous pouvez rappeler l’origine de ce mouvement historique ?

- Dans le Mozambique colonial, les Portugais avaient une présence militaire très forte à Nampula, dont ils avaient fait leur quartier-général. Le FRELIMO a été créé en Tanzanie (Dar-es-Salam), le 25 juin 1962 par le regroupement de trois mouvements : la Mozambican African National Union (M.A.N.U), l’Union démocratique nationale du Mozambique (U.D.E.N.A.M.O) et l’Union nationale du Mozambique indépendant (U.N.A.M.I). Ils avaient tous une vision régionale de l’Indépendance de leur pays. Le rôle premier est revenu à Eduardo Chivambo Mondlane, qui enseignait aux U.S.A (Syracuse) et était aussi un fonctionnaire des Nations-Unies, membre de la Commission des Indépendances. Il a appuyé très fortement la constitution du FRELIMO.

Le désir d’Indépendance affirmé par ce regroupement a d’abord été réprimé par une guerre coloniale classique, de la part des Portugais...

- Puis lorsque les Portugais furent persuadés de ne pas pouvoir venir à bout du FRELIMO militairement, ils ont beaucoup utilisé les pressions psycho-sociales : la désinformation, la propagande, les tentatives d’allumer des conflits ethniques. Ils ont beaucoup “gâté” certains leaders de l’opposition, dans les régions du Mozambique où le FRELIMO était moins implanté. Le Portugal était membre de l’OTAN. Dans le contexte d’un monde partagé en deux blocs qui s’affrontaient dans la guerre froide, le FRELIMO a pris l’option marxiste d’une guerre de libération.

Vous vouliez faire ce rappel historique en préalable à une évocation du présent : pour quelle raison ?

- La référence à l’Histoire est importante parce que l’idéologie des dominants ne correspond jamais à ce que les gens vivent ou ont vécu. Autrefois, par exemple, on a cherché à leur faire croire que la victoire du FRELIMO entraînerait une “soviétisation” du pays. Alors que notre principale préoccupation était de réparer les retards de la politique coloniale portugaise. Il n’y avait que 3% de personnes sachant lire et écrire dans le Mozambique des années 60-70. Nous avons ramené le taux d’analphabétisme, de 97% à 60% dans un premier temps. Aujourd’hui, il tourne autour de 40%, ce qui est encore beaucoup. Alphabétisation, éducation, information : ce sont les éléments les plus importants pour effacer et combattre l’héritage du passé.

Aujourd’hui, sur l’île du Mozambique, le FRELIMO a perdu la présidence de l’île lors des dernières élections municipales. Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Avec Angoche et Nacalá, l’Ilha Moçambique - qui est musulmane à 99% - a vécu lors des dernières élections une expérience qui renvoie aux liens tissés par les Portugais avec certains chefs musulmans. Cette histoire a laissé des traces encore aujourd’hui. Les gens espéraient des changements qui ne sont pas venus. Il y a eu beaucoup de changements déjà, dans l’éducation surtout, mais il reste encore beaucoup à faire. L’Île du Mozambique a un gouvernement autonome. Les dernières élections municipales (nov. 2003) ont été remportées par la RENAMO et la municipalité élit le Président de l’île, qui est aujourd’hui Gulamo Mamudo. L’île a des problèmes généraux qui sont les mêmes que dans le reste du pays : l’éducation et la santé. L’éducation primaire et secondaire y sont assurées. Elle a aussi une école des Arts et Métiers et, en projet, des formations au tourisme. Sa principale préoccupation est un problème d’hygiène et de santé, lié au manque de salles de bain.

Quelles sont selon vous les perspectives d’avenir ?

- Pour l’ensemble du Mozambique, les perspectives sont de mener à bien les transformations du pays, dans la paix, la réconciliation. Aujourd’hui, l’apartheid qui a soutenu chez nous la contre-révolution, a disparu lui aussi. Il est possible d’en finir avec la mentalité de revanche, de rancœur, entretenue encore par la RENAMO. Ses dirigeants cherchent à arriver au pouvoir général pour réaliser cette revanche. Ils ont réussi à tromper les leaders musulmans de l’île mais ce n’est pas une tendance générale dans le pays. Et la désillusion est déjà là, quelques mois après seulement. Je crois très probable que les prochaines élections générales - décembre 2004 - permettent de rattraper le terrain perdu.

Propos recueillis par Pascale David


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