Prof de kréol : parkoman ?

Frédéric Célestin réconcilié et libéré

22 octobre 2004

Il est passé par la diglossie et a frôlé la schizoglossie, et l’explique mieux que personne. Le jeune professeur de créole, major dans sa promotion de CAPES langue et culture régionale, raconte ses efforts et sa satisfaction de connaître un bilinguisme harmonieux : ’Le créole est devenu scientifique’.

Il est des questions qu’on ne pose pas à un professeur de créole. On ne lui demande pas par exemple, si le créole est une langue. Surtout lorsqu’il est major de licence et major à la dernière édition du CAPES langue et culture régionale. On peut pourtant le questionner sur sa démarche et sur son parcours. Frédéric Célestin explique ses doutes et ses efforts.

“Témoignages” : Pourquoi vous êtes-vous orienté vers le CAPES langue et culture régionale ?

- Frédéric Célestin : C’est avant tout une vocation pour l’enseignement : depuis le lycée je voulais devenir prof de Lettres. J’ai suivi le cursus universitaire classique : DEUG et licence de lettres modernes. En licence j’ai eu un blocage. Alors que la littérature française me passionnait, j’ai eu un rejet dû à une prise de conscience de la littérature réunionnaise. Moin la pri konsians la litératir rénionèz i existé. Et j’ai reproché aux enseignants à l’université de ne pas prendre en compte cette littérature-là.

La littérature réunionnaise est pourtant étudiée à la faculté des lettres...


- Justement. Si je n’avais pas étudié “L’Aimé” d’Axel Gauvin en 2ème année de DEUG, je ne me serais peut être pas ouvert de moi-même à la littérature réunionnaise.

Certains professeurs vous ont donc éveillé à cette réalité ?

- Non. Ce n’était qu’un appel à l’existence, une prise de contact. L’éveil s’est fait de manière autonome, en quittant les études de lettres pour lire la littérature réunionnaise. J’étais pris dans une diglossie où j’avais un rejet de la langue et de la civilisation dominante au profit de la découverte du créole.

Qu’est-ce que la diglossie ?

- C’est un terme qui désigne une situation où deux langues s’opposent, l’une est valorisée et l’autre dépréciée. Chaque langue est employée dans des domaines respectifs.

Sorti de l’université, quel chemin avez-vous emprunté, ou tracé ?

- Celui d’un engagement dans une association culturelle autour de l’écrit et de la littérature réunionnaise. La prise de conscience fut claire et nette, au point de frôler la schizoglossie.

Qu’est-ce que la schizoglossie ?

- C’est une diglossie amplifiée pathologique. Les deux langues sont en conflit total et pathologique au sein d’une même personne. Alors que la diglossie est plus inconsciente et plus automatique.

Quelles actions avez-vous menées au sein de cette association ?

- On m’a très vite confié la tâche de directeur de publication d’une revue littéraire. (NDLR Nout Lang). C’était ma principale activité. Entre autres projets, j’ai organisé des manifestations culturelles, des expositions permanentes, j’ai fait un travail de recherche bibliographique, mis en place une édition de livres pour la jeunesse. J’ai participé à la mise en place d’un écomusée, j’ai animé des émissions radio... J’ai aussi fait plusieurs interventions culturelles en collège et en lycée.

Et puis est venue la Licence LCR. Répondait-elle à une attente pour vous ?

- Plus qu’une attente c’était un espoir, le seul. Je n’ai pu me réconcilier avec la licence de lettres, encore moins avec une licence de sciences de l’éducation que j’ai tentée deux fois, en vain.
Pourtant, le CAPES de créole était en place et je ne pouvais y accéder sans licence. Nouveau blocage. Et puis la licence créole arrive en 2002. Je n’ai pas hésité une seconde, la réconciliation avec l’université pouvait enfin se faire.

Que vous a apporté cette licence ?

- La confiance en moi d’abord. Et puis des connaissances autres que le militantisme et l’engagement idéologique. Le créole était devenu scientifique, c’était ce que je cherchais. L’objectivité faisait place à la subjectivité. La diglossie était en voie de résolution : enfin mes deux langues étaient sur le même pied d’égalité. Le bilinguisme harmonieux se préfigurait seulement puisque de nombreux cours étaient en français. Durant cette année, j’ai pu acquérir de nombreux outils ainsi que le comportement adéquat vis-à-vis des gens qui ne comprennent pas notre action et qui n’ont pas les moyens de comprendre ce qu’on fait. C’est dû à l’histoire de La Réunion, qui est lourde de passé : esclavage, colonie, département... des mutations très rapides.

Enfin vous avez passé le CAPES ?

- La libération. C’était une réconciliation inespérée. Tout d’abord avec ma vocation première : celle d’enseigner, ensuite celle d’enseigner le français, enfin cela m’a permis de faire fructifier tous les efforts dans le monde associatif pour enseigner la langue et la culture régionale.

Vous sentez-vous démuni lorsque vous enseignez le créole ?

- Il est clair que nous n’avons pas tous les outils que nous pouvons avoir dans les autres matières : manuels et surtout expériences d’autres enseignants. Mais ceci ne sous-entend pas que nous sommes mal encadrés, bien au contraire, l’encadrement que nous avons est de qualité.

Et l’entourage ? Le soutien de vos proches a-t-il été important ?

- Oui, surtout dans mon ancien monde professionnel. Il a été capital, notamment en termes financiers. L’entourage affectif a été important comme dans toute situation de concours, avec ce souci de faire aussi comprendre et partager mes choix et ma démarche avec ceux qui m’entourent.

Où enseignez-vous aujourd’hui ?

- Mon stage en responsabilité a lieu au lycée Bois-Joly-Potiers au Tampon avec une classe de seconde en créole et première STT en français, car le CAPES est ambivalent, il nous permet d’enseigner les deux langues et on se doit d’être compétent dans l’une comme dans l’autre.

Quelles sont les réactions de vos élèves à la “découverte” de cette matière ?

- Tout d’abord la surprise car ils ne s’imaginaient pas qu’ils auraient pu “apprendre” des choses sur la langue (grammaire et lexique), sur la littérature (du 18ème à aujourd’hui) et sur la civilisation : musique, jeux, histoire, géographie... Et pourtant ils ont beaucoup de choses à apprendre.

Cette interview aurait-elle dû être menée en créole ?

- Je peux toujours vous la traduire.

Propos recueillis par Eiffel


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Messages

  • Bonjour,
    Je viens de lire cet article au titre d’une expression on ne peut pas plus existentielle ; merveilleuse démarche que celle de cette personne Frédéric CELESTIN de s’être engagé dans cet acte de conjuguer culture et écriture. Je ne sais pas si j’ai pû lire à leur juste valeur les messages latents de ce témoignage, mais ce que j’ai retenu c’est la liberté conquise d’une personne par l’écriture et son désir de dire ses pensées, sa culture et d’exister. Toutes mes félicitations, en espérant que Frédéric CELESTIN aura écho de la reconnaissance qui lui est faite à 12 000 km de notre merveilleuse île jamais oubliée. Alexandra CELESTIN