Gilles Gauvin : ’Nous proposons de changer de perspective’

14 avril 2005

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Vous avez beaucoup nourri la réflexion du Comité sur le rôle de l’Éducation nationale dans la transmission de la mémoire de l’esclavage et de la traite. Quelles sont les propositions du Comité pour les programmes scolaires ?

- Dans les programmes d’Histoire enseignée outre-mer, un travail d’adaptation des programmes a commencé depuis 2000. La grosse difficulté, en ce qui concerne la France métropolitaine, est d’obtenir que la question soit abordée dans sa globalité et pas seulement pour “illustration” ou à titre d’exemple. La question n’apparaît le plus souvent que de façon dispersée. Nous proposons un changement de perspective dans l’enseignement de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions.
Les programmes du primaire et des lycées ont changé déjà et la question est évoquée. Là où il reste le plus à faire, c’est dans les programmes des collèges, qui sont plus anciens. Le Comité voudrait que les enseignants se rendent compte de l’importance centrale de cette question, le plus souvent traitée de manière aléatoire. Par exemple, sur la question de la prospérité de l’Europe aux XVIIème-XVIIIème siècle, les manuels ne présentent qu’un petit croquis figurant le commerce triangulaire. Ce n’est pas suffisant.

Que pensez-vous pouvoir faire, à court ou à moyen terme, pour emporter l’adhésion des enseignants et des responsables pédagogiques ?

- Nous avons rencontré les inspecteurs généraux d’Histoire pour le primaire, les collèges et les lycées, en leur faisant valoir que les programmes d’Outre-mer ont déjà intégré des adaptations. Des séquences pédagogiques montrent qu’on peut aborder, par exemple, la question de la citoyenneté, dans l’étude de la Révolution française, en y intégrant la connaissance de l’esclavage, qui lui confère une toute autre ampleur.
On espère, pour le premier trimestre de l’année scolaire prochaine, qu’une circulaire de sensibilisation des enseignants sera diffusée. L’intérêt d’une telle circulaire, quand les programmes sont déterminés, est de demander aux enseignants de revoir leurs approches dans le traitement de tel ou tel thème. C’est par exemple ce qui a permis d’introduire dans les programmes une éducation au développement durable. Ce n’est pas la révolution, mais dans l’immédiat, c’est une manière de mettre la machine en route.
Nous avons proposé aux inspecteurs l’élaboration d’un dossier d’accompagnement pédagogique, comportant d’une part un recensement des matériaux déjà existants, pour faciliter la tâche aux enseignants et d’autre part des propositions de séquences, à adapter selon les différents publics.
Enfin, nous proposons, comme cela existe déjà dans d’autres domaines, la présence d’équipes “d’enseignants relais” dans chaque académie : un recensement est à faire quant aux enseignants qui pourraient servir d’appui à la formation continue de leurs collègues sur ces questions.
Les inspecteurs généraux ont donné un accord de principe. Nous devons nous réunir en mai avec des universitaires pour l’élaboration d’un document qui sera proposé à l’Éducation nationale.

La transmission des programmes d’enseignement implique aussi des éditeurs, qui sont des privés. Comment pensez-vous pouvoir les rallier à votre cause ?

- Une rencontre doit avoir lieu avec des éditeurs de manuels scolaires. Leurs équipes sont souvent constituées d’enseignants ou d’inspecteurs. Il n’appartient pas au gouvernement d’intervenir directement pour leur faire changer les programmes. Mais s’il souligne l’intérêt de donner un relief plus important à une question, les responsables éditoriaux seront amenés à en tenir compte.

Propos recueillis par Pascale David


À la “une” du quotidien “Libération”

“Esclavage : la mémoire se libère”

À l’occasion de la présentation au Premier ministre du rapport du Comité pour la mémoire de l’esclavage, le quotidien “Libération” consacre un dossier et fait sa “une” sur “Esclavage : la mémoire se libère”.
À travers ce dossier, le quotidien parisien offre à ses lecteurs un résumé du travail du Comité, ainsi que ces principales propositions, une chronologie des différentes étapes du travail de mémoire en France depuis l’abolition de 1848, un entretien avec Pap Ndiaye, historien à l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste de l’esclavage, et un éditorial dans lequel notre confrère souligne notamment que "faire sa place à l’histoire sordide de l’esclavagisme français, mais aussi à celle du colonialisme qui historiquement en a pris le relais, ce n’est pas regarder stérilement vers le passé et battre sa coulpe par ressassement masochiste". Pour “Libération”, "c’est au contraire s’engager pour l’avenir en prévenant les ressentiments qui ne prospèrent jamais mieux que dans le non-dit, puisque nier un problème n’a jamais aidé à le résoudre".
Un dossier consultable sur le site “Libération.fr” à l’adresse suivante : http://www.liberation.fr


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