Discours de Frédéric Mitterrand à l’occasion de la Fête de la Musique 2010

Hommage du ministre de la Culture au Maloya et à la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

5 juillet 2010

Le 21 juin dernier, lors de la célébration de la Fête de la Musique par le ministre de la Culture, c’est le Maloya qui a été à l’honneur lors d’une cérémonie organisée à Paris, aux côtés du Cantu in paghella. À cette occasion, Frédéric Mitterrand a salué le travail de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise pour obtenir l’inscription du Maloya au Patrimoine mondial de l’humanité, et cela en présence d’Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), et de Chérif Khazanadar, parrain de la MCUR et président de l’Assemblée générale de la Convention de l’UNESCO relative à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Voici le texte de ce discours, avec des inter-titres de ’Témoignages.

« Madame la directrice générale de l’UNESCO, Chère Irina Bokova,
Madame la Ministre, Chère Marie-Luce Penchard,
Monsieur le Président de l’Assemblée générale des Etats parties à la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Cher Chérif Khaznadar,
Madame la Ministre, Madame l’Ambassadeur de France auprès de l’UNESCO, Chère Catherine Colonna,
Monsieur le Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Corse, Cher Paul Giacobbi,
Monsieur le Directeur général des Patrimoines, Philippe Belaval,
Monsieur le Directeur général de la Création artistique, Georges-François Hirsch,
Chère Christine Salem, Cher Petru Guelfucci,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Au moment de lancer cette cérémonie en l’honneur du Maloya et du Cantu in paghella, deux célèbres citations me viennent à l’esprit. « Exegi monumentum aere perennius », la fameuse phrase d’Horace qui dit à propos de sa poésie : « J’ai construit un monument plus pérenne, plus durable que l’airain ». Et puis l’adage, « Scripta manent, verba volant » : « Les écrits restent, les paroles volent ». Je crois que, quelque part dans l’interstice entre ces deux célèbres maximes, se situe la grande sagesse de l’UNESCO d’avoir, depuis 7 ans, décidé de remédier à une anomalie en matière de patrimoine mondial. Cette anomalie, ce manque en tout cas, c’était bien, vous le savez, notre tendance à tous de considérer qu’il n’y avait de valable que ce qui était dans l’espace, que ce qui était tangible et concret, et qu’il n’y avait de « durable », comme dit Horace, que ce qui était monumental. Nous avions, au fond, une vision plus « monumentale » que « patrimoniale » de la culture. Petit à petit, nous avons mieux tenu compte de cette évidence que le patrimoine, ce n’est pas seulement le grandiose, ce qui physiquement en impose, ce qui « pèse et qui pose », comme le dit Verlaine. Mais c’est souvent quelque chose de plus subtil, de plus intime, d’apparemment plus fugace, plus éphémère. Ce ne sont pas seulement des monuments, mais aussi des écrits qui restent, des paroles qui volent, des rythmes qui essaiment, et qui, pourtant, ont leur durée propre et leur solidité particulière et qui constituent les linéaments de l’architecture humaniste d’une humanité réconciliée. Et c’est ainsi également que, de plus en plus, nous avons ouvert notre notion de patrimoine à des expressions culturelles cristallisées dans des régions a priori moins en vue, mais qui appartiennent de plein droit à l’héritage de toute l’humanité et dont la transmission est un enjeu pour tous. Et dans ce domaine il faut remarquer que l’UNESCO s’est placé en pointe et s’est même montré pionnier.

Patrimoines élus et sauvés

Peu à peu, nous avons remarqué que notre fascination légitime pour les splendeurs architecturales et leur « front audacieux » pour reprendre la belle expression de Du Bellay (dont nous fêtons le 450ème anniversaire de la disparition), nous avait fait oublier de nombreuses manifestations de la créativité humaine, parfois les plus secrètes ou les plus discrètement
inscrites dans nos consciences et dans nos vies. Voici 7 ans que, grâce à la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, une traduction juridique et officielle a été donnée à nos alarmes de voir lentement s’effacer cette mémoire collective qui fait notre richesse humaine et notre diversité. Nous sommes allés parfois pour ainsi dire jusqu’au chevet de formes d’art traitées avec une condescendance injuste, afin de leur redonner leurs lettres de noblesse, et dans l’espoir surtout de les encourager ainsi à se perpétuer et même à prospérer.
Cette convention fondatrice connaît un succès phénoménal et croissant, sur tous les continents et dans toutes les aires culturelles, où elle répond à une attente. De trente qu’ils étaient il y a quatre ans au moment de la première assemblée, les Etats parties sont maintenant plus de cent vingt, qui seront rassemblés demain à l’UNESCO, pour l’ouverture de la troisième Assemblée générale de la Convention, sous la présidence de M. Chérif Khaznadar, que je salue.
Depuis plusieurs décennies, la France apporte une attention toute particulière aux patrimoines immatériels : dès 1980, avec la création de la mission du patrimoine ethnologique, mais également par son soutien aux métiers d’art et en particulier aux maîtres d’art, détenteurs de savoir-faire immémoriaux.
C’est dire le plaisir et la fierté que nous avons éprouvés, chère Irina Bokova, à voir reconnues par l’UNESCO pas moins de quatre de nos patrimoines restés, malgré nos efforts, trop longtemps aux marges d’une culture quelque peu officielle et qui finit parfois par tout occulter sur son passage.
Parmi ces quatre pratiques, nous avons souhaité en mettre aujourd’hui deux tout particulièrement à l’honneur à l’occasion de cette 29ème Fête de la musique, et par là rendre aussi hommage à votre choix de ces patrimoines, que vous avez, en quelque sorte, élus et sauvés, en les mettant en lumière. Et je suis heureux que nous les célébrions non seulement en amis, mais aussi en voisins, puisque Paris a la chance d’accueillir le siège de cette grande organisation internationale dévouée aux grands enjeux de la Culture et de l’Éducation.

Le Maloya incarne l’esprit d’un peuple

Grâce à vous, le Maloya — inscrit sur la « liste représentative » — et le Cantu in paghella — inscrit sur la « liste de sauvegarde » — , sont l’objet d’un intérêt véritablement planétaire. Pour être nés chacun sur une île de nos territoires, ils ne seront jamais frappés quelque esprit d’insularité que ce soit, mais, au contraire, continueront de dessiner avec d’autres cultures des archipels, riches de partages insoupçonnés. Cette reconnaissance a été possible grâce au travail de fond effectué tant par la Maison des Civilisations et de l’Unité réunionnaise que par la Collectivité territoriale de Corse, dont je salue le président (Paul Giacobbi), ainsi que par l’association Cantu in paghella.
Pour donner voix aujourd’hui à ces patrimoines, il nous fallait bien sûr faire appel aux artistes qui en avaient assuré la plus forte et la plus brillante « défense et illustration », et qui en étaient les porte-parole par excellence auprès des publics. C’est ainsi que nous avons demandé à l’incomparable Christine Salem, l’une des rares voix féminines du Maloya, qui sait l’art subtil de conjuguer les diverses traditions africaines et celles de l’Océan Indien, de nous faire partager l’énergie si communicative de cette expression artistique.
Le Maloya, qui constitue véritablement l’âme de La Réunion, incarne l’esprit d’un peuple qui exalte sa liberté contre toute forme d’oppression et de servitude, et qui exulte par une fête irrésistible des rythmes, des chants et de la danse. Nous aurons le bonheur de l’entendre tout à l’heure, entourée de ses fidèles compagnons de route. Quant au Cantu in paghella, il ne pouvait être plus magnifiquement déployé que par le grand Petru Guelfucci, accompagné de ses complices Maï Pesce et Philippe Rocchi au sein du groupe Voce di corsica. Tous trois, ils sont dépositaires depuis leur enfance de cette exceptionnelle tradition à la fois profane et religieuse, dont la sauvegarde est aujourd’hui si essentielle. Ils nous feront entendre les longs et profonds échos de ces polyphonies corses qui emplissent, en se répondant, les vastes espaces des montagnes et des vallées, un peu comme les tours génoises qui entourent l’Île de Beauté et s’envoyaient autrefois des messages de lumière, un peu à l’instar, dans les “Phares” de Baudelaire, de « cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge »… Alors, je remercie chaleureusement chacune et chacun de ces artistes exemplaires d’avoir accepté de nous faire découvrir ou redécouvrir ces patrimoines exceptionnels qui sont aussi un peu à l’image d’un monde à plusieurs voix, d’un monde du partage de l’enthousiasme et de la joie, à travers le dialogue des cultures.
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite une très belle Fête de la musique ! »

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