La pa partou na sak i fo pou bann mizisyin

Identité et liberté d’expression dans l’océan Indien

10 août 2004

Le plateau de dimanche soir réunissait autour de Johnny Clegg, Danyèl Waro, Lélou Menwar et Lego. Afrique, Réunion, Maurice, Madagascar, des pays qui parlent la même musique, des chanteurs traditionnels qui partagent un seul engagement : faire de la musique et dire ce qu’ils ont à dire.

Trois chanteurs de La Réunion, de Maurice et de Madagascar donnaient une conférence de presse samedi matin au K, à Saint-Leu. La réflexion sur l’identité ne lâche jamais Danyèl Waro. Oubyin sé li i arèt zamé kalkil sa : "Mi yinm kan domoun i tronp dési laparans. Na domoun i di amwin : mi kalkilé ou té kaf akoz ou shant maloya. I pouss amwin éséy konprann La Rénion, konprann mwin-minm kisa mi lé. Kaf i fé maloya ? Mwin lé kaf anndan, domoun i aprési maloya li vyin kaf kan li pran sa an plin kèr".
Chanter n’est rien d’autre pour lui que "dir lo santiman", être vrai. Fuyant les analyses ethniques ou communautaires, il délivre toujours le même message. Pour éviter de se perdre dans tout formatage économique, seule base du monde moderne : "Fo nou fé la fors, nou antour, ésèy défini anou pérsonèlman. La vérité sé lé myinn. Sakinn i kalkil inn afèr par li-minm, sakinn trouv son somin".

"Ras Dimoun"

Lélou Menwar pose lui le problème de l’humanité et des difficultés de communication : "Je suis né humain. Mais je sais où je suis né, comment j’ai vécu. L’idantité morisyin sé ankor tro péti, fo alé pli larz". Le chanteur milite pour une "ras dimoun" qui ferait fi des divisions : "pou nout tout viv dann minm sosiété, toulmoun favorisé paréy, sakinn èk lo minm droi imin, lo droi de vi".
Malheureusement, "larzan i fé division ant kominoté, minm ant frèr". Lélou Ménwar ne chante pas du maloya, mais du saggaï qu’il définit comme "un estil rock, blues, ragga, seggae", une musique métissée à souhait, tendant vers l’universel.
Toute son énergie musicale s’appuie sur une conviction : "Fo pa pansé dormir si larzan". Sé pa la kok ekstérièr ki kont. "Na kék soz dan nout kèr nou doi vréman sanzé. Aujourd’hui on vit avec trop de méfiance sur la Terre. On ne sait pas où est l’ennemi, il est caché partout. Sa sé pa bon".
Lego est un groupe qui a démarré en 1997 et qui depuis a tourné dans pas mal de festivals, à Madagascar, à La Réunion et en Métropole. Le chanteur de Lego était très heureux d’avoir pu rejoindre le Sakifo Musik Festival. Il ne voulait pas parler, ne savait plus quoi dire. Et pour cause, il a été victime d’une prise d’otage, battu et laissé pour mort quelques heures avant de prendre l’avion : "J’ai failli mourir. Grâce à Dieu je suis là. J’ai été laissé pour mort. La musique à Madagascar c’est un danger. Je n’ai pas envie de tourner là-bas à cause de cette violence. J’ai peur. Ma musique est une musique de transe, traditionnelle, sakalava, qui va vers la fusion. Je veux que la musique malgache sorte pour rencontrer les autres pays. Mais chaque fois que je dis quelque chose, il m’arrive du mal".
Les chansons de Lego ne passent plus à la radio. Il déplore que les Malgaches ne s’intéressent pas à leur propre musique : ses spectateurs ne sont pas Malgaches, même à Madagascar. L’industrie musicale y est marquée par des arnaques multiples ne permettant pas, même aux meilleurs musiciens, de vivre.

Musik zésklav ? Fo pa shanté sa !

"J’ai peur qu’à mon retour je sois emprisonné. Je ne sais pas pourquoi. Dès que je sors j’ai des problèmes partout. J’en ai marre de faire de la musique dans mon pays. Il y a trop de jalousie. Moi je ne fais pas de politique. C’est la même chose pour tous les musiciens dans toute l’île. Sans argent, il ne nous reste que la débrouille. Je viens de la brousse, je ne connaissais rien en arrivant à Tananarive. Là-bas je suis victime d’un racisme musical : je fais, dit-on, une musique de sauvage, une musique d’esclave, fo pa shanté sa".
Lego trouve "le public réunionnais plus attentif et plus tolérant". Pour lui, "la musique malgache il faut la transmettre, elle est en train de disparaître totalement. La musique du monde est très appréciée chez les jeunes. La culture malgache est en train de disparaître. Peu de gens connaissent les traditions sakalava. Grâce au Saleg, la musique traditionnelle a encore droit de cité, mais il y a 18 ethnies, et chacune sa culture. Le Saleg, c’est la seule musique connue dans le monde. La seule chose qu’il reste à l’identité malgache c’est sa richesse musicale".
Lego ne comprend pas qu’on dise que la musique réunionnaise ne marche pas : "Chez nous c’est pire que ça. Même Danyèl Waro, à Madagascar les gens connaissent. Au village un garçon chantait une de ces chansons". Lego se produit normalement avec une dizaine de personnes sur scène, mais certains ont eu des problèmes pour obtenir des visas. Tous ses musiciens ont peur pour leur vie. Plusieurs tentatives ont échoué pour faire que le groupe éclate. Pour le chanteur : "Sans musique, il n’y a pas de vie dans ce monde. Je vis dans la musique et dans la nature".
Danyèl Waro réagit : "Lé dramatik antann sa. Sa lé in ot nivo. La Rénion nou lé pa an danzé. Dir mizik tradisionèl sé in mizik sovaz, lontan lété konsidéré koma isi osi. Mé domoun, épi osi bann politik, la fé in gro travay. Maloya té mal vi, somanké na ankor domoun i pans sa, mé dopi zané 70 èk Firmin Viry, la fèt Témoignages la évolié pou réspèk ali kom in muzik".
Lélou Menwar souhaite la mise en place d’une pétition entre artistes, essaie d’imaginer un asile politique, voudrait demander au gouvernement et au ministère de la Culture de protéger cet artiste. Lego a peur de rentrer à Madagascar. Sa situation a été dénoncée par les médias malgaches, mais les articles, explique-t-il, "ça donne de l’excitant au gens". Fallait-il que nous nous taisions, nous aussi ?

Eiffel


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus