350ème anniversaire de la naissance du peuple réunionnais

Inauguration d’une stèle à Saint-Denis en hommage à Géréon et Jasmin, décapités après la révolte des esclaves en 1811

6 avril 2013

Jeudi soir à l’ancien Hôtel de Ville de Saint-Denis, l’historien Sudel Fuma a tenu une conférence-débat sur la décapitation de Géréon et Jasmin dans cette commune le 10 avril 1812, suite à la révolte de nos ancêtres esclaves dans la région de Saint-Leu avec Élie et ses ami(e)s en novembre 1811. Le thème de cette conférence avec le directeur de la Chaire UNESCO à l’Université de La Réunion et coordonnateur du Comité pour le 350ème anniversaire du peuple réunionnais était : ’Une histoire qui sort de l’ombre’.
À cette occasion, l’inauguration d’une statue au Barachois (derrière l’ancienne piscine) en hommage à Géréon et Jasmin a été annoncée par la Mairie de Saint-Denis, représentée par l’adjoint au maire délégué à la Culture, René-Louis Pestel. L’inauguration de ce monument, réalisé par le célèbre sculpteur portois Henri Maillot, aura lieu le mercredi 10 avril à 10 heures. Nous publions ci-après un texte de Sudel Fuma au sujet de ce « mémorial pour les résistants à l’esclavage ». Les intertitres sont de ’Témoignages’.

Sudel Fuma, professeur des universités, coordonnateur du Comité pour le 350ème anniversaire de la naissance du peuple réunionnais.

Le 10 avril 1812, deux esclaves, Géréon et Jasmin, étaient exécutés sur le front de mer de Saint-Denis pour avoir participé à la plus grande révolte d’esclaves de notre Histoire. 13 autres exécutions furent réalisées dans le même mois de Pâques 1812, marquant pour longtemps la mémoire réunionnaise…

Le 10 avril 2012, soit 200 ans jour pour jour, sur ce même front, le maire de Saint-Denis, Gilbert Annette, prenait l’engagement de réaliser un mémorial pour que le sacrifice de ces résistants ne sombre pas dans l’oubli… Bien resituer ces événements dramatiques dans le temps est essentiel pour comprendre cette page d’histoire.

Non-application de l’abolition de l’esclavage en 1794

L’insurrection de Saint-Leu, événement hors du commun dans l’histoire de l’esclavage à La Réunion et dans l’océan Indien, se développe dans un contexte politique particulier et déstabilisant pour les gros propriétaires d’esclaves.

En effet, depuis la Révolution française de 1789 et la première tentative d’abolition de l’esclavage en 1794 — qui échoue dans les colonies françaises de l’océan Indien, mais devient réalité à Saint-Domingue et en Guadeloupe après des soulèvements des Noirs —, les maîtres de l’île Bourbon, devenue l’Île Bonaparte pendant la période impériale (1804-1815), craignent des événements sanglants provoqués par des révoltes d’esclaves.

Les autorités coloniales avaient réussi à empêcher l’application du décret du 16 pluviôse an II (2 février 1794), qui prononce l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises sous la pression des esclaves de Saint-Domingue et de leurs représentants.

Toutefois, l’application du décret, effectif en Guadeloupe et à Saint-Domingue, ne concerne pas l’Île Bourbon et l’Île de France, du fait de l’opposition des colons esclavagistes. Et les esclaves ne se sont pas soulevés pour réclamer l’application du décret…

Le gouverneur Farquhar rassure les maîtres

En 1810, l’Île de France, qui devient l’Île Mauritius, et l’Île Bonaparte, qui redevient l’Île Bourbon, tombent aux mains des Anglais, sans véritable opposition des populations locales et surtout des gros propriétaires esclavagistes qui espèrent la reprise des affaires économiques et un accord avec les Anglais sur la question de l’esclavage.

L’abolition de la traite en 1807 dans les colonies anglaises, décidée par le gouvernement de Sa Majesté, inquiète toutefois les propriétaires d’esclaves, faisant régner un climat d’insécurité et de peur. La nomination du gouverneur anglais Farquhar, pour diriger l’administration les deux nouvelles colonies anglaises en 1810 — l’Île Maurice et l’Île Bourbon — rassure les colons des deux îles.

En effet, ce gouverneur britannique, très pragmatique et diplomate, franc-maçon retrouvant des frères parmi l’élite créole, préfère le soutien des notables esclavagistes que l’application d’une loi britannique d’émancipation qui ne pouvait se faire que par la contrainte et par la violence des armes. C’est dans un tel contexte qu’éclate la plus grande révolte de l’histoire de l’esclavage à Bourbon.

Élie, le forgeron de la liberté

400 à 500 esclaves participent à cette action. Leurs principaux chefs sont Élie et Gilles, tous deux des Noirs créoles, c’est-à-dire nés dans l’île. Il y a également des esclaves qui refusent de s’engager dans la bataille par peur de représailles ou par manque de courage.

Le premier responsable des révoltés, le forgeron Élie, appartient au propriétaire Célestin Hibon, qui a la particularité de compter sur son habitation 17 futurs accusés, dont 3 seront exécutés.

Les participants à la révolte sont à l’image de toute la population esclave de la colonie (Créoles, Cafres, Malgaches et Indiens). Ils agissent finalement au nom de tous ceux qui n’ont pas osé combattre pour leur liberté.

Les esclaves trahis par Figaro

L’esclave Figaro, qui a connaissance du projet d’insurrection avant que se déroule l’action entre le 5 et 8 novembre, décide de dénoncer les comploteurs.

Il monnaye ses renseignements en avertissant le commissaire civil de Saint-Louis, qui prévient les autorités britanniques et les habitants des Hauts de Saint-Leu et leur demande de mettre en place des patrouilles pour interdire les rassemblements d’esclaves…

Figaro obtient en outre la protection des autorités de la Colonie.

Farquhar n’hésite pas à le récompenser pour sa délation en lui accordant une pension à vie et une concession à Saint-Joseph.

Un lourd bilan

Le bilan de la révolte est lourd : plus de 150 esclaves sont tués, selon Hubert Gerbeau. Il y aurait 22 morts et 30 blessés, selon les chiffres officiels, dont 2 propriétaires d’esclaves.

Le procès qui suit la révolte se déroule dans l’église paroissiale de Saint-Denis (devenue cathédrale au milieu du 19ème siècle) et se termine par la condamnation à mort de 25 personnes, puis 8 grâces du Roi George III. Finalement, 2 des condamnés mourront dans la prison de Saint-Denis et 15 seront décapités en public dans les quatre micro-régions du pays : 2 à Saint-Denis, 4 à Saint-Paul, 5 à Saint-Leu, 2 à Saint-Pierre et 2 à Saint-Benoît.

Commémorations de la révolte

Le délibéré judiciaire retrouvé fin 2010 à Londres permet de comprendre les raisons de cette révolte et d’analyser ses conséquences. Le rôle déterminant d’Élie comme meneur principal est affirmé par le procureur général. Les esclaves agissent pour obtenir leur émancipation et la fin du système de l’esclavage.

Depuis 1998, une association, le Comité Élie, qui s’est créée à Saint-Leu, mène des actions pour faire reconnaître l’histoire de cette révolte. Et tous les ans, des associations commémorent à Saint-Leu le souvenir des esclaves qui se sont soulevés avant même l’abolition de 1848 pour revendiquer le droit à la liberté.

En 2009, la Chaire UNESCO de l’Université de La Réunion, dans le cadre de son programme de la Route de l’Esclave dans l’océan Indien, apporte son soutien aux actions menées par le Comité Élie. Elle est à l’origine, à la fin de l’année 2010, de la création du K.L.É. (Kolèktif Lané Élie), qui a regroupé 35 associations culturelles de toute l’île, pour soutenir toutes les actions mises en place par les collectivités locales dans le cadre du bicentenaire de l’insurrection de Saint-Leu.

Préparer l’avenir

La commune de Saint-Denis est la première qui s’est prononcée favorablement le 20 décembre 2010 pour une célébration officielle de cet événement, qui marque l’histoire de La Réunion, mais aussi de la ville puisque les 145 esclaves incarcérés (chiffre énorme pour l’époque) l’ont été dans la prison de Saint-Denis (rue du Conseil, aujourd’hui rue Juliette Dodu) et que le procès s’est déroulé dans l’église paroissiale de la ville, réquisitionnée par le gouvernement britannique pour que la Justice coloniale exerce sa fonction répressive.

Les esclaves Géréon et Jasmin seront les premières victimes de la répression le 10 avril 1812, où ils seront exécutés sur le front de mer. Avant eux, en 1730, les 25 et 27 février, un complot d’esclaves avait donné lieu à des exécutions dans cette même ville de Saint-Denis.

En rendant hommage à ces résistants réunionnais, on honore aussi tous ceux qui sont morts pour défendre la cause de la liberté et de la dignité. Mais surtout, on rappelle au présent l’importance des valeurs universelles afin de préparer l’avenir.

Le monument inauguré mercredi prochain à 10 heures au Barachois à Saint-Denis en hommage à Géréon et Jasmin.

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