Débat : Comment écrire le créole réunionnais ?

L’heure des ’indispensables compromis’

25 octobre 2004

Le récent essai d’Axel Gauvin - “L’écriture du créole réunionnais : Les indispensables compromis” - fait le point sur les avancées faites ces trente dernières années dans l’écriture du créole réunionnais. Il invite au partage de la langue dans toutes ses variations et au débat sur la meilleure façon d’y parvenir, à partir de l’apport fait ces dernières années par le groupe Tangol, auquel l’auteur ajoute quelques propositions personnelles.

"...Les indispensables compromis" est le dernier essai d’Axel Gauvin. Il fait le point sur 30 ans d’avancées pour le créole réunionnais et donne quelques perspectives. Il est précédé d’une préface et d’un “avant-dire” de deux linguistes de l’Université de La Réunion, qui tous deux soulignent l’avancée constituée par la réflexion du romancier réunionnais, pour sortir des affrontements idéologiques et faire progresser la cause du créole.
Ayant brièvement rappelé que "Depuis sa prime jeunesse, le créole réunionnais s’écrit", l’auteur part de la situation présente : "Au CAPES de créoles , quatre graphies sont autorisées : l’étymologique, Lékritir 77, KWZ, et 2001" et pose cette double question "Peut-on continuer très longtemps ainsi ? Si non, comment écrire le créole ?" Il y répond sur un peu plus de cent pages, en commençant par un point sur l’enseignement du créole LCR (langue et culture réunionnaises), encore très embryonnaire, ce qui est une donnée du “paradoxe réunionnais”. Néanmoins les raisons d’écrire le créole ne manquent pas, assure-t-il, en déclinant par avance toute offre de traduction en créole du Code pénal ! "Notre langue créole sont nos pieds et nos jambes" écrit-il ; non seulement ils ne nous interdisent pas de prendre d’autres moyens de locomotions, mais ce sont eux qui nous y donnent accès.

"Convaincre les adultes"

Prenant acte du besoin d’une nécessaire unité "dans ce domaine à fois dérisoire et fondamental qu’est celui de la graphie", il examine ce que devrait être "le système graphique idéal", au travers de caractères dont le premier est d’"être accepté par le plus grand nombre"... au risque d’accepter "les imperfections que comportent toutes les écritures et toutes les orthographes du monde".
La proposition clé de l’introduction, découlant de l’analyse que l’auteur fait de la situation du créole dans le système éducatif, consiste en une invitation à "changer de stratégie". D’abord pour une raison de démocratie : "On ne peut se servir de l’école pour régler un problème qui concerne toute la société réunionnaise" écrit-il. Ensuite, si l’on veut accélérer les choses, il faut selon lui opter pour une stratégie basée "avant tout sur le changement de la représentation que la société des adultes a de la langue". "On doit convaincre les adultes, et non pas penser que l’on pourra user de son autorité, pour, tranquillement, faire passer “sa” graphie par les enfants et les adolescents" ajoute Axel Gauvin, en faisant une comparaison entre les progrès fait dans la représentation de la langue, à l’oral, et ce qu’il est possible d’obtenir à l’écrit. "Une littérature créole écrite de qualité existe et se développe tous les jours. Il faut que cela se sache. Il faut que l’on donne le goût de lire en créole. Pour cela il faut commencer par changer la représentation que les Réunionnais se font de l’écriture du créole".

"Compromis graphiques"

Dans une première partie (chapitres 1 et 2), Axel Gauvin examine les écritures en présence, qu’il rattache à "deux types : étymologique ou à base phonologique", toutes considérées comme "légitimes", ce qui ne signifie pas qu’elles soient toutes équivalentes. C’est à une recherche de cohérence et de vrai partage de la langue qu’invite l’écrivain, dans le rejet des anathèmes. "Le temps des condamnations, anathèmes, excommunications, doit se terminer : d’être fidèle à l’écriture étymologique ne fait de vous ni un traître, ni un aliéné culturel ; et d’être partisan d’une graphie phonologique, ni un fou, ni un sanguinaire". La deuxième partie (chapitres 3 à 5) passe donc au crible les écritures pratiquées jusqu’à celle de 2001 (celle du groupe Tangol) en examinant de très près leurs qualités et leurs inconvénients. À chaque fois, l’auteur s’attache à déceler la part de réalisme contenue dans chaque proposition, les aspects positifs mais aussi leur capacité à régler les problèmes posées par la langue, en particulier, celui des variations.
L’écriture proposée par le groupe Tangol - constitué en 2000 avec pour objectif, entre autres, "l’harmonisation des orthographes" - fait l’objet de la troisième partie (chapitres 6 à 8). Il s’agit d’une graphie "interdialectale" - "aucune variété de créole réunionnais ne pouvant s’imposer d’elle-même" - pensée comme une base commune à laquelle toutes les variétés de créoles (“des bas” et “des hauts” par exemples) peuvent apporter leurs caractères propres. L’auteur fait ensuite des propositions de "compromis graphiques", toujours dictées par la nécessité d’unir le plus grand nombre dans la compréhension de l’écrit. Son "bilan de 2001" souligne les acquis du travail du groupe, les obstacles non levés et quelques "réajustements nécessaires".
Axel Gauvin finit sur des propositions qui ne sont pas celles du groupe -dont il a été le président pendant trois ans- mais les siennes. Par exemple en suggérant que soit admise une "dose d’étymologie" chaque fois que cela permet d’éliminer des homographes (mots écrits pareil, avec des sens différents) ou des faux-amis graphiques. Les propositions vont aussi dans le sens d’un "meilleur découpage de la chaîne écrite et l’utilisation des formes complètes des mots".
La conclusion de ces propositions fait la somme des questions que l’auteur invite à débattre pour aller -aussi vite que possible, sans précipitation- vers une situation où l’écrit permettrait que conforter une langue en recul oral depuis de nombreuses années.
"Sans ces compromis entre habitudes de lecture en français et allure propre des mots créoles réunionnais, entre les différentes variétés de notre créole, entre facilités de lecture et facilités d’écriture, entre phonologie et étymologie, entre notre besoin d’avoir le plus rapidement possible une unité orthographique et la nécessité de laisser actuellement une large marge de manœuvre au scripteur, entre l’idée que chacun de nous se fait de l’écriture du créole et l’acceptabilité par l’ensemble des lecteurs et scripteurs potentiels, sans ces compromis, l’extension de l’écriture et surtout de la lecture du créole réunionnais seront fortement hypothéqués, de même l’enseignement de notre créole, et au bout l’avenir même de la langue".
Ces propositions, empreintes d’un esprit d’ouverture et de tolérance, sont mises dans le public pour être débattues. À suivre...

P. David

Axel Gauvin, L’écriture du créole réunionnais : Les indispensables compromis est paru aux éditions de l’U.D.I.R (15 euros) et peut se trouver dans les librairies comportant un fonds créole et indocéanique.


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