Vers une date commémorative commune ?

L’unité des mémoires marque le pas

10 mai 2008

En concédant aux associations d’Ultramarins de la diaspora le 23 mai comme date « de la commémoration du passé douloureux de leurs aïeux », la circulaire du Premier ministre en date du 2 mai 2008, sous couvert de « tenter de clore la polémique », fragilise la démarche engagée par le Comité pour la mémoire de l’esclavage (CPME) vers une commémoration enfin unifiée d’un passé commun douloureux.

De quelles avancées vers la célébration d’une mémoire partagée de l’Histoire de l’esclavage et de la traite ce 10 mai 2008 va-t-il être porteur ? Le décret du 2 mai dernier est-il une concession à un recul sur la voie de la prise de conscience commune ou va-t-il au contraire l’accentuer, au risque - paradoxal - d’une division des mémoires qu’il faut espérer momentanée et conjoncturelle ?
Que signifie, en effet, la reconnaissance d’une deuxième date commémorative - le 23 mai - sur le sol hexagonal ?
Dans l’acception la plus immédiate, c’est la reconnaissance du 23 mai 1998, quand les actions menées par un Collectif d’associations d’Ultramarins vivant en France ont abouti cette année-là à une manifestation d’une ampleur encore jamais vue, célébrant « la mémoire et l’héritage de l’esclavage ». Un an plus tôt, les députés réunionnais Huguette Bello et Elie Hoarau avaient déposé à l’Assemblée nationale - qui ne l’a pas enregistré tout de suite - un projet de loi proclamant « crimes contre l’humanité » l’esclavage et la traite négrière. Ce projet aboutira quelques années plus tard au travers du projet repris et formulé par la députée guyanaise Taubira-Delannon, avec le vote du 10 mai 2001.
Lorsque fut institué - par le décret du 5 janvier 2004 - le CPME, installé en avril de la même année sous la présidence de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, le premier rapport rendu au Premier Ministre en 2005 a formulé plusieurs propositions « de nature à faire en sorte que la mémoire partagée de l’esclavage devienne partie intégrante de la mémoire nationale ». Les premiers actes du CPME ont été très largement tournés vers cette affirmation de la nécessité d’une « mémoire partagée », comme « acte symbolique fort » réaffirmant devant la communauté nationale l’esprit de la loi promulguée le 21 mai 2001 qui, en reconnaissant enfin la traite et l’esclavage comme « crime contre l’humanité », associe la République au devoir de mémoire et à la recherche des formes de réparation les plus appropriées.
L’enjeu politique et sociétal, lié au vote de cette loi et à ce qui l’accompagne, est de favoriser sur le territoire national la prise de conscience d’une responsabilité collective de ce que les gouvernants ont fait, au nom de la France et des Français, de 1695 (adoption du 1er Code Noir, adapté en 1723 à La Réunion) à 1848. Rien ne justifie que des pans entiers de cette histoire de la France soient occultés des mémoires et absents des programmes scolaires ou des manifestations culturelles sur le sol hexagonal même.
A partir de l’installation du CPME, l’essentiel des énergies a convergé vers la recherche d’une date commune . Il s’agit là d’un fait majeur, aux plans politique et sociétal, devant lequel doit s’effacer toutes les recherches en paternité - toujours dérisoires lorsqu’il s’agit de se mettre d’accord sur une date constitutive d’une démarche collective unitaire .
Toutefois, les débats internes au CPME ont montré la difficulté que ses membres ont éprouvé pour dégager une date admise par tous.
Ce n’est pas l’heure, ici, de refaire ce débat (voir par ailleurs l’extrait du rapport CPME 2005 qui s’y rapporte).
Ce qu’il faut noter - à regret -, c’est que la reconnaissance d’une seconde date qui, de fait, distingue et isole les Ultramarins de l’Hexagone du reste de la communauté nationale, pour laquelle la date du 10 mai reste la référence, cette “reconnaissance” ne va pas dans le bon sens. Elle ravive un débat qui s’était avéré difficile à mener et à clore, elle fragilise, de fait, l’action du CPME et elle sème des germes de division alors même que le processus d’une prise de conscience nationale de ces phénomènes est à peine naissant.
C’est une preuve de plus qu’à vouloir satisfaire tout le monde - ou du moins à le proclamer -, ce gouvernement morcelle à l’infini les forces vives, comme s’il suffisait ensuite de procéder par “addition des isolats”. Les additions font des conglomérats, pas une unité mémorielle nationale.
Cette unité n’est pas l’uniformisation des mémoires. Il y aura toujours un versant de la mémoire collective spécifique à l’organisation de la traite et de l’esclavage depuis la France , et d’autres versants qui rappelleront et exprimeront le vécu de ce système dans les différents territoires.
C’est pourquoi il n’est pas absurde d’avoir une date commémorative de ces faits pour chaque territoire. Chaque date territoriale est constitutive de l’histoire de ces territoires, en lien avec l’Histoire nationale et, dans le cas d’espèce, avec le vote de la loi du 27 avril 1848. L’important est ensuite de donner un sens à cette diversité territoriale, en rassemblant les différentes commémorations dans un même acte.
C’est ce qu’a fait le CPME en proposant la date du 10 mai. Force est de constater, trois ans plus tard, qu’il faudra encore beaucoup d’efforts pour mettre tout le monde sur la voie de l’acceptation d’une commémoration partagée par tous.

P. David

10 mai

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Messages

  • L’unité des mémoires oui ...rien d’autre !
    J’ai été un des Réunionnais à avoir signé l’appel pour cette grande manifestation le 23 mai 1998 . Je suis heureux qu’aujourd’hui ce gouvernement nous donne raison : nous les domiens.
    Mais comment ne pas réagir lorsque le Président du Collectif DOM-TOM dans son dernier communiqué interpelle le CRAN :" de vouloir se substituer aux ANTILLAIS" et lorsqu’il écrit toujours à l’encontre du CRAN :"ne pas se tromper de combat et de respecter la mémoire de nos ancêtres Antillais."
    Comment peut-on oublier les autres esclaves ! Comment peut-on oublier les ancêtres esclaves Réunionnais ! Est-ce une tentative de récupération ou tout simplement ...
    Le 10 mai et le 23 mai nous serons présents pour ne pas oublier les ancêtres Antillais, Réunionnais et tous les autres.
    Unité des mémoires oblige plus que jamais !

    Voir en ligne : unité de mémoire oblige..

  • Il faut cesser les polémiques stupides basées sur l’ignorance de ce qui se passe pour les autres crimes contre l’humanité. Si l’on observe ce qui existe pour la Shoah, il y a plusieurs dates commémoratives :
    - le 27 janvier (date de la libération des camps de concentration)
    - le 19 avril (date retenue dans la communauté juive du monde entier en souvenir du soulèvement du ghetto de Varsovie)
    - le dernier dimanche d’avril en mémoire des déportés et des morts dans le camps nazi
    - Yom Ha Shoah (date fixée selon le calendrier hébraïque, connue d’ores et déjà, ce sera pour 2008 les 1er et 2 mai) avec la lecture des noms. C’est « La » cérémonie du Souvenir.
    - 16, 17 juillet (en souvenir de la rafle du Vel d’Hiv). La date de la cérémonie officielle est fixée par
    l’Etat. Il s’agit du dimanche le plus proche de ces 2 dates (avant ou après) : ce sera le 20 juillet 2008

    À qui cela pose problème ?
    Qui est fragilisé ?

    Il me semble qu’ici les choses sont claires :
    - le 10 pour célébrer les abolitionnistes (c’est l’intitulé du décret). Il faut arrêter la mauvaise foi
    - le 23 mai en mémoire des victimes de l’esclavage

    Ou est le problème ? Ce qui est certain, c’est que c’est que la notion de mémoire partagée qui est absurde. Le béarnais n’a aucune mémoire de l’esclavage. Tout comme le Réunionnais ne porte pas la mémoire de la Shoah. Et c’est bien normal. cela ne l’empêche pas de venir "en masse" aux manifestations en mémoire de la Shoah.

    En tout cas avec une telle circulaire, la mémoire de nos parents nous est confié. C’est la meilleure choses qui pouvait lui arrivé. Elle est en bonne main.
    Si le comité pour la mémoire de l’esclavage n’avait pas adopté le 10 mai sans aucune discussion (sur le 10 mai) préalable,et ce, contre l’avis d’une très large majorité d’associations et d"élus, il n’en serait pas la.
    Mauvais travail, précipitation et incompétence mènent un jour ou l’autre à l’échec


Témoignages - 80e année


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