Journée internationale de la langue et de la culture créole

La langue créole réunionnaise témoignage vivant de la résistance à l’assimilation culturelle et politique

28 octobre 2020, par Manuel Marchal

La langue créole réunionnaise est une création propre à la classe la plus exploitée du pays, qui devint la langue maternelle des Réunionnais, quelle que soit leur origine sociale. Son vocabulaire traduit l’origine plurielle du peuplement de notre île, et rappelle que nous sommes les héritiers d’immigrés venus de Madagascar, de France, d’Afrique australe, d’Inde et de Chine. Le créole va donc à l’encontre d’une politique d’assimilation qui voudrait limiter l’horizon des Réunionnais à un lointain pays européen, la France appelée Métropole dans le français parlé à La Réunion. Cela explique pourquoi il fut violemment combattu. Son dynamisme aujourd’hui est une victoire de sa résistance, le créole est en effet la langue la plus parlée chez les jeunes Réunionnais, et elle est un facteur d’intégration pour les jeunes immigrés.

Depuis 1983, la Journée internationale de la langue et de la culture créole met à l’honneur la langue maternelle des Réunionnais. Le créole réunionnais a permis à des immigrés venus de Madagascar, de France, d’Afrique australe, d’Inde et de Chine de parler une langue propre à leur pays d’adoption.
Située à 200 kilomètres de Maurice et à moins de 1000 kilomètres de Madagascar, La Réunion est devenue un département français en 1946. Il s’agissait de mettre fin au plus tôt à la misère provoquée par le système colonial qui avait fait de La Réunion un des pays les plus pauvres du monde, avec un taux de mortalité infantile record. Mais Paris a refusé d’appliquer la loi, encouragé par la classe dominante de La Réunion. Les communistes étaient alors en tête de la bataille pour l’application pleine et entière de la loi abolissant le statut colonial, qui prévoyait l’égalité avec la France depuis le 1er janvier 1947. Le pouvoir répondit par l’abolition de fait du suffrage universel à La Réunion, remplacé par la désignation des élus par le pouvoir et ses complices locaux. Devant l’incapacité de la France à respecter la loi d’égalité que ses députés avaient voté à l’unanimité en 1946, les communistes ont alors proposé que les Réunionnais prennent leur responsabilité en se libérant du joug colonial, et ont créé un outil pour ce but : le Parti communiste réunionnais.

Facteur d’unité réunionnaise combattu par Paris

En réponse, le pouvoir parisien accentua la répression en organisant l’expulsion des élus communistes des institutions, l’exil de fonctionnaires aux idées progressistes, l’emprisonnement et les violences pour des motifs politiques, et en propulsant Michel Debré député de La Réunion en 1963, en charge d’impulser une politique d’intégration à la France. Ce ministre partisan de l’Algérie française avait alors été incapable de se faire réélire dans sa circonscription en France.
Cette politique visait à réécrire l’histoire de La Réunion, faisant croire que ces premiers habitants étaient uniquement des Français ! Il fallait alors détruire tout ce qui pouvait montrer les mensonges de l’idéologie coloniale, le créole en faisait partie.
Ce pouvoir avait bien compris que pour asseoir sa domination, il était essentiel que les Réunionnais aient des difficultés à exprimer leurs revendications. C’est ainsi que le créole, facteur d’unification réunionnaise, fut combattu avec une grande violence, alors que le français, compris par une minorité, était imposé partout. Hyppolite Foucques, alors vice-recteur de La Réunion, déclara qu’il fallait « fusiller le créole ». Tout comme le maloya et la célébration du 20 décembre, le créole était vu comme un obstacle au système mis en place par Paris à La Réunion.
Le français parlé à La Réunion reste encore imprégné de cette bataille idéologique. C’est ainsi qu’à La Réunion, dans la langue française, la France n’est pas désignée par son nom mais par le mot « Métropole ». En effet, il ne viendrait à l’idée à personne vivant en France d’appeler son pays « Métropole » et de se qualifier de « Métropolitain » plutôt que de « Français ». Or, l’usage d’un tel terme renvoie au rapport colonial, avec une Métropole qui domine des Colonies, ce qui ne place pas les habitants des deux pays concernés sur le même pied d’égalité.
Ceci traduit une victoire idéologique des partisans de l’intégration de La Réunion à la France.

Le créole rappelle d’où nous venons

Par contre, en créole, la France est la France. Ceci est rappelé par des expressions telles que « Goyave de France ». Si le colonisateur pouvait influencer sur la forme de la langue française parlée à La Réunion, c’était beaucoup plus difficile pour le créole.
Le créole porte donc en lui-même cet esprit de résistance à l’assimilation. Son vocabulaire rappelle les origines plurielles du peuplement de La Réunion. Sa diffusion s’est faite en dehors des canaux officiels. Le créole était la langue des exploités, qui ont réussi à trouver un moyen de faire communiquer des immigrés originaires de plusieurs continents. Cette langue a ensuite été adoptée par la classe qui dominait La Réunion avant l’abolition du statut colonial. Et elle a su résister au monopole du français en tant que langue d’enseignement et d’acquisition de la connaissance dans le système éducatif.
Le créole a réussi à survivre à toutes ces épreuves. Il est entré dans le système éducatif en étant considéré comme une langue étrangère et pas une langue d’enseignement, ce qui donne une idée de la progression qu’il reste à accomplir. Il s’exprime dans l’espace public mais est encore loin d’avoir la place qu’il occupe chez nos voisins créolophones à Maurice ou aux Seychelles, où les interventions des responsables politiques se font généralement en créole dans les médias. Le créole est également la langue la plus parlée par les jeunes à La Réunion, ce qui est très encourageant pour l’avenir.

M.M.

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Messages

  • Connaître, mieux, maîtriser une langue, vernaculaire ou ancienne, voire même morte, c’est toujours très bien, c’est associé à une culture, une époque, à l’Histoire. Ceci étant, je pense que c’est à la fois aussi un piège, je m’explique. Si des personnes utilisent couramment une langue locale, appelée aussi patois, souvent en voie de disparition ailleurs, ok, mais si c’est aussi la seule langue employée, cela renferme les possibilités de s’en sortir. Prenons l’exemple du créole, réunionnais, mauricien ou antillais, voire aussi les langues kanaks, le corse... Si un locuteur veut chercher puis trouver un emploi, durable, soit, le top, un CDD transformé en CDI qui protège et permet enfin de faire des projets de vie, le graal en somme, on imagine facilement alors que le patron, ou le DRH ne pourra accepter la candidature. Ce sera mission impossible pour un candidat. Sur l’île de la Réunion, et bien sur en France métropolitaine. Il faut leur expliquer.
    Sur leur CV puis LM qui l’accompagne, écrire langue parlée ; créole, c’est un plus et un moins si le français n’est pas maîtrisé aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Concernant le créole, bien peu de personnes, jeunes compris ne savent pas l’écrire, de plus, des polémiques perdurent quand à l’orthographe admise, proposée. Imaginer un(e) employé(e) s’exprimant en France métropolitaine en créole dans un restaurant, une banque, une administration, la tête du client ! . Cela ne sera pas apprécié car non compris, tout simplement, à moins bien sur que le hasard fait que le client soit lui-même d’origine réunionnaise, cela fera plaisir, rire, ok.
    La mondialisation, qui loin de là, n’a pas tout de bon, encourage le développement de l’anglais, il ne faut pas l’oublier et là encore expliquer que c’est un plus si on le maîtrise, le créole, moins, c’est sur, à l’extérieur de l’île, ne trouvez-vous pas ? Arthur qui tousse en créole et en français quand il roule en vélo pour dépasser les autos qui fument, encombrent et crachent leurs micro particules toxiques cancérigène, les fumées des diésels qui sont largement majoritaires, pouah !

  • Je ne suis qu’un analyste, et me défends de toute opinion personnelle
    Je rapporte seulement j’ai entendu dire « Le créole, on connaît, inutile de nous le mettre à l’école. L’école est là pour nous apprendre le français dont nous avons besoin »


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