Intervention du Président de la Région Réunion Paul Vergès lors de l’Assemblée plénière du 21 avril 2009

La MCUR est un acte de réparation pour les plus humiliés

21 avril 2009

Le 21 avril dernier, les conseillers régionaux ont débattu du projet de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Voici la reproduction de l’intervention de Paul Vergès, président de la Région Réunion, lors de ce débat sur la MCUR.

De tous les retards des équipements réunionnais, le plus grand est le déficit historique que nous subissons et dont nous sommes l’expression quotidienne dans toutes nos attitudes.

Plus de la moitié de l’histoire de cette île, habitée depuis moins de 350 ans, a été marquée par l’esclavage. L’esclavage, cela signifie que des hommes et des femmes ont été considérés comme des non humains et traités comme des bêtes. Pouvons-nous l’ignorer ? Pouvons-nous être dignes de notre histoire si nous ne la connaissons pas ? Cette caractéristique de notre histoire doit peser sur la conscience de tout homme et de toute femme vivant ici.

Dans quelques mois, c’est le 1er novembre et tous les Réunionnais rendront un culte à leurs morts. Or, pendant plusieurs générations, centaines de milliers d’hommes et de femmes ont vécu ici, mais où sont leurs tombes ? Comment pouvons-nous accepter cette absence ? Ne devons-nous pas voir comment réparer ce silence, cet oubli ?

Regardez nos assemblées ! Y a-t-il beaucoup de Noirs ? Où les retrouvez-vous ? Dans les bidonvilles, dans les prisons… parce que 161 ans après l’abolition de l’esclavage, ce sont eux qui payent le prix le plus lourd de cet héritage historique. Pouvons-nous l’oublier ?

Pourquoi les descendants des esclaves et des « engagés », majoritaires dans notre peuplement, sont-ils ainsi maintenus à ce niveau de la société ? Ont-ils la place qu’ils méritent étant donné le travail de leurs ancêtres et les richesses qu’ils ont produites ?

Proclamer l’égalité de toutes les cultures

Ce n’est pas parce que nous avons un statut de département que tout ce poids de l’histoire est effacé. Nous le vivons encore dans notre vocabulaire. Avec les Antilles et la Guyane, c’est un département où on parle encore de « blanc » et de « noir ». Nous sommes dans un département où le critère de la couleur classe les individus, quelle que soit leur promotion sociale par ailleurs. Le rang social et l’origine ethnique inspirent notre vocabulaire. On parle de « gro blan », mais les « ti blan » sont désignés comme « pat zone », « maoul », « litone ». On dit « kaf nana 7 po » parce qu’on pouvait fouetter les esclaves. On parle de « malbar safran », « malbar la trip goni ». On voit là tout le poids de l’histoire, du racisme et de la pauvreté dans notre société. Or, qu’a-t-on fait pour réparer cela ?

Le sens de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise est de montrer qu’on a connu plus de trois siècles de mensonges pendant lesquels on a affirmé la supériorité d’une culture sur les autres, d’un groupe sur les autres. Aujourd’hui, il s’agit de proclamer l’égalité des cultures, de toutes les cultures.

La MCUR est un investissement, un investissement dans les centaines de milliers de têtes des Réunionnaises et des Réunionnais dont les ancêtres ont connu humiliations, violences, crimes mais qui, aujourd’hui, peuvent affirmer qu’ils sont égaux en dignité. C’est la première génération à qui on va inculquer l’égalité des cultures, préalable à l’unité réunionnaise. La MCUR ne rayonnera pas s’il n’y a pas d’unité réunionnaise.

Extirper les racines de l’inégalité

On nous dit que cela coûte cher : moi, je n’évalue pas le prix de trois siècles d’humiliations. Certains admettent que c’est important, mais que « ce n’est pas la priorité ». Or, pour nous, la priorité, c’est ce qu’il y a dans la tête des gens, la priorité c’est la décolonisation des esprits : « nou lé pa plis, nou lé pa moins, respek anou ! ».

Nous n’avons pas connu une révolution culturelle semblable à celle de la Martinique. Il a fallu un Aimé Césaire pour affirmer la fierté d’être ce qu’il est : « Nègre je suis, nègre je resterai » disait-il. De même, en Guadeloupe, on découvre que le fond des récents événements relève d’un problème identitaire. Ce qui s’est exprimé, c’est la protestation véhémente contre toute trace de discrimination. « Ce pays est le nôtre, pas le leur » disent les Guadeloupéens révoltés.

Ici, si on n’extirpe pas les racines de l’inégalité, croyez-vous que les divers groupes vont évoluer dans l’harmonie ? Sur cette route où nous cheminons, si on constate le refus de certains à rendre hommage aux ancêtres humiliés, que peut-il se passer ?

La question du coût est peut-être importante pour certains, mais commencer à ergoter sur le montant de l’investissement n’est pas innocent. Le grand malentendu est là : nous ne pouvons pas accepter de différer plus longtemps la réalisation de ce projet. Il n’est pas possible de le retarder, quitte à prendre notre bâton de pèlerin et aller partout, là où sont les plus humiliés, pour réparer les injustices de l’histoire.

Aller partout dans les bidonvilles

A Saint-Denis, il y a une statue de Mahé de Labourdonnais, sans doute un grand administrateur mais aussi un chasseur de marrons. A Saint-Paul, il y a la maison de Mme Desbassyns et la Chapelle Pointue, mais où sont les maisons des esclaves ? Construire la MCUR n’est pas seulement un acte de construction, c’est essentiellement un acte historique de mémoire, d’hommage à ceux qui ont été exploités, dominés, humiliés.

J’ai toujours affirmé l’urgence de ce projet. Si nous voulons que notre société aille vers son unité et non vers la division et l’explosion, il faut faire vivre dès maintenant cette Maison. Je n’ose pas croire que l’objectif soit politicien et lié aux élections. Si c’est cela, je m’engage à aller partout dans les bidonvilles en disant aux descendants d’esclaves et d’engagés que c’est leur dignité qui est en jeu.

On ne peut jouer avec l’unité de notre société. On peut se demander par quel miracle s’est maintenue une telle volonté d’unité, malgré les violences. Mais l’unité n’est jamais définitivement assurée. Le maintien de ces profondes inégalités est un élément de division, d’explosion. Le remède le plus éclatant consiste à faire de cette MCUR le point de départ de la construction de notre unité par la prise en compte de notre mémoire et de notre histoire. La MCUR est le monument de réparation des injustices subies par le peuple réunionnais.

Je ne dénonce personne, mais je souhaite que ce débat soit au centre des 10 mois à venir. Il n’y a aucune réserve à avoir sur la question de l’hommage à nos ancêtres, de l’affirmation de la dignité de tous et de l’unité. Sur ce plan, nous serons intraitables contre toute réserve et tout retard face à ce devoir de mémoire.

Les atouts de La RéunionMaison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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