Radioscopie d’un nouveau métier

La médiation culturelle... kosa i lé ?

27 juillet 2007

Que va-t-on voir quand on va au Musée ? Comment les visiteurs sont-ils conduits vers les contenus, les collections ? Qu’est-ce qui attire l’œil des enfants, répond aux curiosités des adultes ? Chaque public a ses attentes propres. Le métier qui y répond s’appelle la “médiation culturelle”. Au sens large, c’est celui qu’exerce Marina Martinez à Anamnesia. Depuis cinq mois, cette jeune femme a plongé dans le chaudron réunionnais, en quête de tout ce qui peut contribuer à rendre lisibles les richesses culturelles de l’île, notre patrimoine - matériel ou immatériel.

Marina Martinez a la trentaine dévorée de curiosité. Arrivée depuis moins de 6 mois dans l’île, elle va partout, ne se déplace qu’en bus et attrape au passage tous les signes dont elle peut faire son miel pour la mission qui lui a été confiée : préparer l’installation dans l’Océan Indien d’une société de Strasbourg spécialisée dans la “médiation et la communication culturelle”. A Strasbourg, ils sont 7 et ont développé depuis 3 ans 3 départements d’activité qui leur ont permis d’intervenir dans la réalisation de plusieurs scénographies multimédia, comme par exemple au Parlement européen, ou de bornes animées didactiques comme pour la serre tropicale de Hanovre.
Frédéric Rose, Franco-tahitien, à l’origine de la société, a répondu à des appels d’offre pour des conceptions multimédia en muséographie, et de mois en mois, au fil d’un travail approfondi, la jeune société a pu oser chaque fois un peu plus. Pour le centre Georges Pompidou et son exposition “dAdA”, Anamnesia s’est lancée dans un jeu interactif sur la base du “cadavre exquis”. Elle est intervenue pour le Musée du verre de Dordives et a proposé au Muséum d’Histoire naturelle d’Aix-en-Provence, pour son exposition “Paysage cézannien”, une installation interactive “immersive” invitant le visiteur à se promener virtuellement (par vidéo projection) dans les paysages de la montagne Sainte Victoire, déconstruits puis recomposés “à la manière des tableaux cézanniens”.
De bornes interactives en conception de contenus pour la Maison de la Montagne à Chambéry jusqu’à l’étude graphique faite pour la “Galerie des dinosaures”, une exposition permanente de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, l’équipe d’Anamnesia s’est attachée à proposer des outils et des langages différents, allant jusqu’à proposer un dispositif de consultation parent-enfant, simultanée et interactive.
« La technologie, le multimédia permettent de mettre les contenus à la portée de tout le monde. Notre métier consiste à répondre aux attentes de toutes les sortes de publics : scolaires, handicapés, touristes et donc aussi étrangers... », explique Marina Martinez dont le métier de concepteur scénariste, à Anamnesia, la fait travailler sur les contenus.
Quelquefois, il s’agit de guider les visiteurs au milieu de collections. Quelquefois, il n’y a pas de collection, et le patrimoine est essentiellement immatériel, comme dans le travail fait pour l’Institut culturel basque, qui a voulu présenter une exposition itinérante sur la culture basque. « A partir d’un patrimoine immatériel, fait de contes, poèmes... de toutes les productions de l’oralité et de l’audiovisuel, nous avons tout axé sur le multimédia », poursuit la jeune femme en décrivant le dispositif “immersif” conçu pour le sas d’entrée... « Une structure courbe, arrondie, avec des images fixes ou vidéos, interagissant avec des dalles tactiles. Le visiteur, en se déplaçant dans le sas, active des projections (images et son) ».
Depuis qu’elle est dans l’île, Marina Martinez travaille à définir ce que peuvent être les attentes des publics. « Nous n’allons pas utiliser ce que nous avons fait en France pour le transférer ici », assure-t-elle. Elle rencontre bien sûr des conservateurs, et cherche aussi à aller au-devant des gens, pour étudier la façon dont ils “occupent” leurs lieux... et ce qu’ils en disent.
« En termes de muséographie, quelque chose m’a interpellé ici. En France, on se dit “C’est dimanche, et si on allait au musée ?...” Ici, on entend : “Il se passe quelque chose au musée dimanche, on y va !”. La population réunionnaise est très active dans sa réponse à l’événementiel culturel. Il n’y a qu’à voir le succès de la Nuit des Musées ou des Journées du patrimoine. C’est en tout cas le genre d’élément que nous prenons en compte : il faut que la culture soit une fête, un événement, pour fédérer la participation des gens ».
Elle a été sensible aussi aux réponses faites lors des enquêtes publiques : pour le Parc National des Hauts, par exemple. « Ce n’est pas un exemple type de Musée, mais nous pouvons travailler aussi sur des signalétiques ou des contenus multimédias, sur ce type de projet », ajoute Marina Martinez.
En règle générale, Anamnesia répond à des appels d’offre de marchés publics, mais il existe aussi des “musées de site” promus par des industriels, et l’équipe de Strasbourg en sait quelque chose puisqu’elle a travaillé avec une grande famille de brasseurs alsaciens, qui voulait mettre en valeur un patrimoine pluriséculaire et restituer aux travailleurs la chaîne des savoir-faire construite dans le temps. Anamnesia a également réalisé un parcours multimédia (8 bornes interactives) restituant l’évolution des techniques brassicoles depuis l’Antiquité, pour le Musée européen de la Bière, installé à Stenay, dans une ancienne brasserie de 1.500 m2.

P. David


Entretien avec Frédéric Rose, gérant d’Anamnesia

« Notre présence dans l’Océan Indien est pour nous un vrai pari »

Anamnesia, la société que vous avez créée il y a 3 ans, est installée depuis 5 mois à La Réunion. Pourquoi l’Océan Indien ?


- Je suis originaire de Polynésie ; toute ma famille côté paternel est tahitienne, “pure souche” sur plusieurs générations ; j’ai grandi là-bas en partie ; mes parents y vivent encore et j’ai un lien très fort avec l’Outre-mer. Alors, pourquoi l’Océan Indien ? Parce qu’il y a de grands projets muséographiques qui vont s’y développer dans l’avenir - la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, le musée de l’Eau, le Parc du Colorado... De plus, La Réunion entretient des relations assez fines avec des pays comme l’Inde, la Chine et s’inscrit dans un environnement économique important avec l’Afrique du Sud.
Pour Anamnesia, cela s’inscrit dans une dynamique globale de développement à l’international, dans lequel on intègre aussi la création d’une agence aux Etats-Unis à moyen/long terme, qui nous permettra de rayonner sur la zone des Amériques, Caraïbes...
Le dernier argument enfin, et de poids, est que La Réunion a su développer ses compétences via des écoles comme l’I.L.O.I ou la création de sociétés pour la conception-réalisation du multimédia, audiovisuel, dessins animés, etc... Donc, il y a un vrai potentiel de ressources et de partenariat avec les compétences présentes sur l’île.
Anamnesia peut fédérer les compétences spécialisées sur des marchés spécifiques à la muséographie et ouvrir ainsi de nouvelles perspectives aux compétences locales... Nous pensons pouvoir les amener à se positionner sur des projets culturels pointus.

Avez-vous aussi des projets au-delà de La Réunion ?

- Nous avons des contacts à Maurice, où les financements sont différents. Anamnesia est investie auprès de l’Agence Mondiale de Solidarité Numérique afin de développer des projets de soutien aux actions culturelles dans les pays du Sud, notamment l’Afrique. Notre antenne réunionnaise s’inscrit évidemment dans cette démarche d’ouverture internationale, mais aussi avec une volonté de proposer les solutions les mieux adaptées aux attentes des institutions, d’une part, mais aussi des populations et des publics en matière de médiation culturelle.

Vous avez une approche de ce rayonnement international qui est originale. Est-ce que vous pouvez l’exposer dans ses grandes lignes ?

- L’Agence de solidarité numérique doit permettre aux pays du Sud d’intégrer les nouvelles technologies. Nous faisons de l’accompagnement, du conseil, dans un cadre “humanitaire” : cela peut consister à fournir des connaissances qu’ils n’ont pas pu développer, ou apporter les expertises dans notre domaine spécifique. Madagascar fait partie de ce type d’actions que nous pourrions développer depuis La Réunion. Nos activités sont ainsi fondées sur une solide connaissance des structures en place, des ambitions visées par les porteurs de projets et, bien entendu, des attentes des visiteurs et des populations locales en termes de culture. Nous nous efforçons d’analyser l’ensemble de ces données pour que notre travail s’inscrive en toute cohérence dans ces perspectives. En “médiateurs”, nous assurons l’interface entre les institutions porteuses des projets et les publics auxquels le message culturel est destiné.

Vous pouvez donner un exemple de ce type d’action ?


- Pour le moment, avec les responsables du secteur “culture”, nous sommes en phase d’analyse des projets qui nécessiteraient notre soutien. Nous serons alors amenés à intervenir dans la médiation culturelle, la valorisation patrimoniale et aussi dans la sensibilisation à l’Education. Et pour en revenir à Madagascar, ils ont des programmes qui sont autant de cadres dans lesquels nous pouvons apporter de nouvelles possibilités de médiation ou de communication. L’Agence numérique a fait un programme pour promouvoir sur Internet des artistes du Bénin : c’est le genre d’action pour laquelle nous pouvons envoyer quelqu’un, participer à la création de sites Internet par exemple. Le site de l’Agence mondiale de solidarité numérique est www.dsa-asn.org

À La Réunion, il y a des compétences comme vous l’avez relevé, mais aussi une problématique de l’emploi particulièrement difficile. Comment l’abordez-vous ?


- Nous allons chercher à répondre aux marchés publics - faire en sorte d’apporter des réponses pertinentes aux projets - et si nos démarches aboutissent et nous permettent de développer l’antenne Anamnesia Réunion, nous envisageons de faire travailler des personnes d’ici. Nous espérons pouvoir manager des professionnels locaux qui ne connaissent pas forcément cette branche précise de la médiation culturelle et faire du transfert de compétences.
Aujourd’hui, Marina Martinez d’Anamnesia Réunion travaille sur l’approche culturelle et scénaristique pour comprendre et mieux déterminer les spécificités de la, ou plutôt des cultures réunionnaises où le créole semble être un élément fédérateur des nombreuses orientations qui composent cette forte unité réunionnaise. Comprendre comment s’est formée cette identité culturelle singulière est important pour nous qui sommes amenés à réfléchir aux solutions de médiation culturelle les mieux adaptées. Ainsi, la narration et les pratiques d’échanges, qu’elles soient orales ou visuelles, propres à La Réunion, nous devons les intégrer pour mieux cibler nos publics et leur permettre de s’approprier les outils de médiation que nous allons créer.

Pour nous, c’est un vrai pari ; j’y crois beaucoup... Quand je vois le dynamisme culturel qui anime La Réunion, je me sens concerné et je sais qu’Anamnesia pourra s’épanouir à développer des moyens de médiation culturelle pertinents pour une population locale aussi soucieuse de ses richesses patrimoniales.

Propos recueillis par P. David

Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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