“Éloges de l’analphabétisme”, drôles de conférenciers

La mort d’une langue c’est la mort de tout un peuple

28 avril 2005

Imaginez une conférence intitulée “Éloges de l’analphabétisme”. A priori il n’y a pas de quoi rire. Mais quand les conférenciers sont des comédiens, la conférence glisse vers un théâtre subversif à souhait.

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“Éloges de l’analphabétisme” ; après coup, on se rend compte que le titre de cette conférence est déjà subversif. Il prend dès le départ la défense des cultures orales et sans écriture. Sans écriture ne signifie pas sans intelligence, bien au contraire, la richesse de toutes ses langues en voie de disparition mérite bien des éloges. Les conférenciers dénoncent justement le rouleau compresseur de l’alphabétisation et de l’ethnocentrisme.
Du 11 au 24 avril, les classes primaires de cours moyens de l’île ont accueilli deux conférenciers particuliers. Hanane Belhouari et Romain Lagarde entrent en classe, avec veste et mallette. Le doute sur leur statut de conférencier ne s’immiscera que lentement avant que la vérité n’éclate.
Certains ne décèleront rien jusqu’à la révélation finale. Pourtant les indices se multiplient depuis le début quand le conférencier n’arrive pas à faire fonctionner son poste de cassette audio, en passant par l’emportement poétique de la conférencière, à son t-shirt pistolet, et au coup de boule qu’elle finira par donner au conférencier quand tous deux se disputeront pour conserver la parole...

Dénoncer l’alphabétisation forcenée

Une fois la supercherie découverte, il faut encore revenir sur le contenu. Les spectateurs avertis que nous étions auraient pu croire que les chants des Inuits, ou les extraits de langues aujourd’hui totalement disparues étaient de vulgaires enregistrements faits par les comédiens. En réalité, tout ce qu’ils ont fait écouter aux élèves, de la langue oubykh au rotoka, y compris la manière de compter en wolof, est véridique. Les chiffres aussi. Il y a un milliard d’analphabètes sur la planète, mais ils le sont parce qu’ils n’ont pas accès au droit et à l’éducation, ils en sont privés par manque d’école ou parce qu’ils sont contraints de travailler dès leur plus jeune âge. Les conférenciers questionnent aussi le rapport de l’école à leur environnement et aussi à leur langue maternelle. Un questionnement qui à la grande surprise des comédiens a touché les Réunionnais beaucoup plus que les Métropolitains. Cette conférence est un éloge parce que les peuples analphabètes sont méprisés, les langues dominantes s’acharnent à alphabétiser le monde entier et les autres langues sont massacrées. Et comme le disent les conférenciers : "la mort d’une langue c’est la mort de tout un peuple".

Quatrième récidive

La conférence dérange pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle remet en cause le statut de l’adulte au sein de la classe et son autorité, ensuite parce qu’elle s’attaque au système éducatif qui ne prend pas en compte le contexte des élèves, et plus largement parce qu’elle s’inscrit en faux contre l’idéologie dominante de la suprématie des alphabètes. “Éloges de l’analphabétisme” est une coproduction de la compagnie notoire (Paris), de Bon lieu scène nationale d’Annecy et du Théâtre La Passerelle (Gap). La pièce est de Thierry Bedard qui sévit pour la quatrième fois après une fausse rencontre pédagogique, une fausse conférence et une fausse exposition sur le même thème.

Eiffel


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