Ilha Moçambique

La ville engloutie par la terre

5 juillet 2004

L’écrivain mozambicain Mia Couto, dans un de ses romans*, décrit un des personnages comme « englouti par le sol ». À l’Île Mozambique, c’est presque tout le peuple de la “ville mékouti” qui vit englouti par le sol, dans d’anciennes carrières. Étrange et bouleversant symbole de l’enfouissement d’une culture, d’un peuple et de son Histoire ?

En face de la maison de Camões (voir “Témoignages” de jeudi dernier), dans la même petite rue étroite, une lourde porte de bois ouvre sur une ancienne demeure de maîtres d’esclaves, aujourd’hui habitée par la famille de Pedro Alfonso, professeur d’anglais à l’Escola segundaria. Les Africains résidents de la ville de pierre ne sont pas si nombreux. La plupart viennent y travailler le jour - petits marchands ambulants ou artisans - et la désertent la nuit, comme pour fuir les ombres d’une histoire douloureuse dont l’écho leur serait renvoyé par les pierres. Au rez de chaussée, l’ancienne prison des esclaves a gardé d’épais barreaux de fer. Elle donne sur une cour où les malheureux étaient de temps en temps sortis, le temps d’une promenade forcée. Le temps aussi de laisser les acheteurs potentiels, juchés sur une terrasse en surplomb de la porte, sélectionner la “marchandise”. Il faut marcher encore, le long de rues poussiéreuses et parfois étroites, parfois bordées d’arbres, jusqu’à atteindre le marché, puis la place de l’hôpital qui marque la frontière invisible avec l’Île engloutie.
La ville industrieuse, la ville des pêcheurs, des petits artisans, des danseuses de tufo et des capoeiristes s’étend au-delà, vers le Sud. Les Îliens s’activent à une multitude de petits métiers : vendeurs de gasolena ou de gasolero, que les rares motorisés achètent en bonbonnes, couturiers, réparateurs de bicyclette, gardiens d’édifices religieux, chrétiens ou musulmans - les seuls bâtiments en bon état - vendeurs de poissons ou des autres produits issus de la pêche...
En dépassant la grande mosquée, vers le Sud, un grand hangar désaffecté, en ruine comme tout le reste, fait office de salle de “cinéma”, une salle bondée d’où fusent des rires en cascade. Tout au fond, en guise d’écran, une télévision équipée d’un lecteur VHS offre sur la lucarne les dernières “nouveautés” en vidéo.
Une longue artère centrale traverse l’île Nord-Sud. Vers la pointe Sud, sur une sorte de terrain vague ceint d’un mur élevé dont les pans les plus accessibles, parce que délabrés, servent de gradins, des rencontres culturelles animent l’activité principale du lieu. Elle ne se devine pas facilement, tant les installations ressemblent peu à ce qu’on pourrait s’attendre à y trouver : c’est la radio locale ! Une radio à ciel ouvert munie d’un simple poteau électrique d’où pendent les fils qui alimentent l’unique micro aux mains de l’animateur. Les émissions se font toutes en direct et à studio ouvert.
Un unique canal sert à l’évacuation des eaux. C’est loin de pouvoir garantir une salubrité suffisante et, dans les culs de basses-fosses qui désignent les carrières d’autrefois, l’eau de pluie non évacuée est un redoutable foyer de paludisme. Les enfants meurent beaucoup, les adultes aussi, dont l’espérance de vie au Mozambique dépasse à peine 38 ans.
Dans l’Île, la première cause de fragilité de la Santé publique tient aux conditions d’hygiène. Si le personnage de Mia Couto puise sa force du sol qui l’engloutit, les habitants de la “ville mékouti” - qui sont aux trois quart des réfugiés de guerre - s’épuisent dans l’étrange et curieuse intimité qu’ils ont avec leur sous-sol. Arrivés pour la plupart parce qu’ils fuyaient les combats, ils ont construit leurs paillottes au fil des mois, des années, dans les excavations laissées par la fouille des pierres qui ont servi à édifier la ville coloniale.
Ainsi, l’Île garde de son histoire coloniale deux visages qui semblent se faire face dans l’indifférence : tandis que la ville au Nord s’élance vers le ciel, celle du Sud est engloutie par la terre... Étrange et pathétique symbole de l’enfouissement d’une culture, d’un peuple et de son histoire ?

Pascale David

dans La Véranda au frangipanier (1996).


Nos excuses

Ce texte est la suite de celui paru jeudi dernier. Nous prions nos lecteurs de bien vouloir excuser ce désordre dans la parution.


Décès

Mme Micheline Logoras, ses fils, Jean-Luc, Georges-Marie, Jean-Yves, Rose-Merry, Flore-Eugénie et les petits-enfants ont la douleur de vous faire part du décès de leur fils et frère.

Patrick Logoras

Survenu le 1er juillet à l’âge de 41 ans à La Possession

Remerciements aux familles : Logoras, Flavigny, Maucourant, Colomines, Langlet, Orus, Tilin, Sevagamy, Maunier, Aipar, Alexis Carrel Thomas, Béatrix, Renambatz, Saïdoux, Lambrech, les amis et connaissances pour leurs aides, leur présence et leur soutien lors de son décès.


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