
Festival interrégional de poésie
Lang détaké, kér démayé
25 novembre 2005

Combat fondamental de l’identité. Combat pour la langue matérielle. Le débat qui a eu lieu au Conseil régional est une pierre supplémentaire pour la langue créole, la langue réunionnaise. C’est le mot de clôture de Radjah Veloupoulé. Le thème était “La langue créole et la création poétique”, la modératrice Evelyne Pouzalgues ; rapide tour de table de l’océan Indien.
o Dev Virahsawmy
On ne peut créer que dans sa langue maternelle
"Écrire en mauricien n’est pas pour moi un acte gratuit, c’est un acte politique. Selon mon expérience, on ne peut atteindre un niveau raisonnable de litteracy sans passer par la langue première, la langue maternelle qui est celle de 80% des Mauriciens. La litteracy c’est l’habileté, la compétence créatrice de la lecture et de l’écriture dans une langue, cela va au-delà de la simple rédaction d’un document de la vie de tous les jours. Même cette litteracy fonctionnelle qui consiste à lire et comprendre les journaux, écrire des lettres officielles, remplir un formulaire, lire un mode d’emploi, n’est maîtrisée que par 20% de la population mauricienne. Techniquement parlant, l’Île Maurice n’a pas réussi à produire une nation possédant cette simple maîtrise."
"J’essaie de convaincre les autorités qu’il faut commencer par la langue natale et œuvrer dans le sens d’un bilinguisme réel avec deux langues : la langue natale plus la langue étrangère, et je ne vais pas me faire des amis, en optant pour l’anglais, puis pour les autres langues.
La poésie fortifie la langue
L’acte d’écriture en créole mauricien, c’est donner à mon pays cet outil qui permet de jouir des fruits de la civilisation moderne. La poésie n’est pas un luxe, elle est vitale de plusieurs points de vues. La poésie peut muscler une langue, la rendre efficiente et efficace : faire face au besoin quotidien. Shakespeare, Dante, Villon, Rabelais l’ont fait avant nous. Je mets en pratique ce que mes gourous ont fait. La poésie par le travail que nous faisons sur la langue, permet de standardiser. La poésie permet de fortifier la langue, de dire des choses que la langue n’a jamais dite avant, comme un ciseleur prend le diamant brut pour en faire un bijou. À part le sentiment, le divertissement, la chansonnade, c’est ça la poésie. Il s’agit de donner à ses locuteurs cette possibilité de se dire. Nous constituons un supralecte littéraire qui deviendrait outil de création, il s’agit de créer un artefact qu’on appelle langue standard."
Écrire et écrire
Dev Virahsawmy : "Il y a une différence entre écrire dans une langue (writing) et créer dans une langue (creative writing), j’écris l’anglais ou le français, mais je ne sais pas créer, je n’ai pas la capacité de jouer avec cette langue pour la forcer de jouer avec elle. Et ne me demandez pas d’aimer ma belle-mère plus que ma mère." (...) "La responsabilité des poètes est d’étudier les œuvres d’ailleurs aussi, la poésie n’a pas de frontière, c’est l’âme des humains, le souffle."
o Patrice Treuthardt
"Porter une parole qui m’appartient"
"Quand j’arrive pour écrire la poésie, je veux porter une parole qui m’appartient. La langue créole était interdite. La porter était un acte politique fort dont beaucoup ont payé le prix de leur audace, de leur rébellion, de leur révolution. Certains ne sont plus là. Cette parole interdite je suis parti aussi la chercher chez Firmin Viry, gardien du temple d’une culture soutenue par la langue créole. La langue française n’avait pas besoin de moi. J’allais défendre ma langue, me dire, dire au pays ce que ce pays m’apporte. J’ai découvert la culture de la nuit, chercher dans les champs de canne, et près de personnes comme Boris, Axel... auprès de nos leaders poétiques et leaders politiques."
Combat pour le livre
"Cette langue me donnait la possibilité de créer, parce que je la maîtrisais mieux. Ziskakan, avec Alain, portaient la parole interdite et le combat pour le livre, donner une littérature à la langue créole, écrire, l’équiper. Il a fallu à la découverte d’une graphie, sous les arbres de la vieille université, en 77, légiférer, fixer, garder, mieux travailler avec elle. C’est une écriture qui m’a boosté, qui colle avec ce que je voulais rendre. C’est pourquoi j’ai fait du K le symbole de la puissance de création. Ce n’est pas pour rien que mon premier livre s’appelle Kozman Maloya. Il y a deux raisons : premier poème, première prière. Je dis toujours un texte avec un instrument emblématique, le kayanm. Je suis un poète footballeur, satisfaction de créer, mais ou souffre ou transpire. J’ai choisi le kabar, l’animation, pour faire circuler notre parole dans un acte ludique, essentiel, eux ils ont pris une autre voix et ce sont des techniciens, des scientifiques.
o Axel Gauvin
La poésie est la langue
La création poétique en créole est plus ancienne que les poètes. Chaque peuple est un grand poète et possède sa créativité poétique. Il n’y a qu’à observer les sirandanes, non seulement leur sens mais leur métrique : Néna lo sièl na poin zétoil / Néna la mer na poin poison (koko), bien sûr c’est une métaphore mais c’est toute une construction mélodique. Écoutez les gens parler, écoutez cette chanson, c’est une mine de poésie. Firmin Viry est tout ce qu’il est mais c’est un très grand poète. Il dit tout avec le minimum de mots. Regardez chez Danyèl Waro, toutes les techniques poétiques ils les maîtrisent, toutes les figures de style.
Intraduisible
Et c’est intraduisible : Kér konyé. Dans konyé on reconnaît cogné, battu, mais il y a aussi crépu comme les cheveux, c’est toute la souffrance de l’esclavage, toute l’identité. Il faut qu’on lise toute cette poésie avec des yeux nouveaux, qu’on l’écoute avec des oreilles nouvelles.
o Reubens Lespoir
Moin na in puisans ékri an kréol
(Nous tentons de reproduire ici une traduction spontanée du poète seychellois en créole réunionnais.)
Poézi moyen libèr mon santiman mon likèr, mon lam
Poézi in dialog ant moi ék silans
Zen séséloi kréol, mon san dan mon lavèn an kréol, lémosion dan mon léspri an kréol.
Moin na in responsabilité, kréol vivan, ékzisté, néna la fors
Moin la anvi rann omaz bann dimoun batayé pou done kréol in lidantité
Réspé pou bann zansét. Ekri kréol in manièr tonm pli pré, pli patriotik.
Mon santiman moin na in puisans ékri an kréol.
La priér an séséloi, rienk résité, récital, na pas o feeling lo kèr. Kan Père Grégoire la fé la més an kréol, domoun suiv ali paréy Zézi Kri. An kréol pou domoun lé pli adapté.
Sours anglé, sours fransé tro vast, mi boir dan la sours kréol, plis moin boir, plis moin soif, plis moins soif, na ankor pou boir. Mi rod bann bizou kréol.
o Nassuf Djailani
Comment "désaliéner mon île aliénée" ?
"C’est en étant ici que je me rends compte que la langue mahoraise, la langue malgache sont devenus des créoles à Mayotte face au français. Et c’est en venant ici que je me rends compte de cela. C’est très intéressant. Je suis en admiration face au combat mené pour l’identité culturelle créole. Nous sommes sommés de mener ce combat-là. Comme je l’ai dit dans mon poème tout à l’heure, je veux désaliéner mon île aliénée. Le Mahorais est asphyxié par la culture française. Comment on fait pour mener ce combat ? Je suis dans un espace engagé dans une négation de soi-même, en quête de francité.
Réponse de Dev Virahsawmy : "Maurice présente un avantage, dans les années 40 le mouvement indépendantiste a amorcé une recherche de l’identité, le travail continue. À La Réunion, il y a la départementalisation à l’intérieur de laquelle ils opèrent pour éviter l’aliénation. Il n’y a pas de recette. Maintenez des liens étroits avec les amis de l’UDIR car il s’agit pour vous aussi de rester dans le cadre républicain et de forger dune identité nouvelle dans le centre."
Firmin Viry : "Avan té koz poézi, politik, kiltir, dann in kour kamouflé, nou la fé in konba pou nir prosh pré d’nou. Labolision 1848, la sanz létikèt, le contenu lé le minm."
"Lo 19 déc 1998, la lézion donèr té pou la kiltir in pép. La port lé rouvèr, nou sé in rénioné, poukoué nou la pér ? Alé rod in linterprét pou li."
o Élie Rajaonarison
Témoin privilégié
"Ce soir est un moment fort car je suis témoin de ce débat depuis plus de 20 ans. À l’époque le débat était houleux, ce qui m’a fait écrire Nerf contre nerf, vers contre vers". C’était dur. Pour moi aujourd’hui être là, c’est comme un miracle. Vous vous êtes battus, écartelés pour en arriver là. C’est fort : arriver à cette sérénité dans le débat, mais une sérénité intense, qui n’enlève pas le passionnel. On est dans cette salle et c’est très symbolique. Je ne suis pas d’ici, mais je suis aussi d’ici. Merci d’avoir mener ce combat. Pour la langue, c’est un combat infini. Je vous souhaite une réussite dans ce combat pour l’identité, certains parlent de réflexe, mais il s’agit d’exister.
Eiffel
Retrouvez les poèmes de tous ces poètes de l’océan indien dans le recueil “Iles Rebelles” aux éditions UDIR.
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Témoignages - 80e année


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