Conférence de l’Association pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

Le déni d’Afrique

27 septembre 2004

L’association pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (A.M.C.U.R.) a organisé la semaine dernière deux conférences sur les rapports entre héritage africain et réunionnisation. Jeudi soir, à la Maison de l’Inde à Saint-Louis, le swami Prémananda Puri, président de l’A.M.C.U.R., a souligné que ces conférences ’avaient pour but de donner un aperçu de ce qui pourrait être réalisé au sein de la M.C.U.R.’, rappelant au passage que ’ce sont les Africains qui ont accueilli à La Réunion les engagés indiens’.

"Lafrik / Dan mon san Lafrik / Mon péi, mon lémé (...) / Zordi mi vé réparasyon, rokonésans / La tyé mon lidanté". Marie-Georges Oziri déclame d’une voix sourde son poème "Dérasiné". Temps fort de la conférence de l’Association pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise qui exprime bien, peut-être mieux que les nécessaires analyses et thèses, ce "déni d’Afrique" dont ont été victimes les Réunionnaises et les Réunionnais d’origine ethnoculturelle africaine, les "kaf".

Ce "déni d’Afrique" sur lequel Alex Mithra a réfléchi, dans une exploration personnelle démarrée dans les années soixante-dix dans l’exil, puisque dit-il, "personne ne m’a jamais transmis mon africanité". Un déni qui commence avec la non-reconnaissance de la civilisation égyptienne où pourtant les Grecs, les Romains, les Arabes ont puisé les fondements de leurs civilisations respectives. Un déni qui a coupé l’Afrique de son antiquité, lui interdisant de bâtir un corps de sciences humaines. Et qui pèse encore sur les Réunionnais d’origine ethnoculturelle africaine dont certains "ont choisi l’errance identitaire dans la société réunionnaise d’aujourd’hui".
Et selon Alex Mithra, cela ne s’est pas arrangé avec la départementalisation car rapidement, les dirigeants "ont tenté d’éradiquer dans la société toute référence à l’Afrique". La perte du nom par exemple a été, "un déni d’identification africaine quand on connaît l’importance du nom dans la civilisation africaine". Mais pas question "de réduire la question de l’africanité à un débat interne réunionnais, d’autant que la loi Taubira nous introduit dans un débat vieux de plusieurs décennies, celui de la réparation".

Héritage immatériel

Antoinette Bétourné, sociologue d’origine camerounaise à La Réunion depuis plusieurs années, estime qu’il est très difficile "pour le kaf de La Réunion, de se ressourcer car la structure de départ est très disparate : Sénégal ? Bénin ? Zanzibar ?". Mais d’un autre côté, elle souligne que "parler de réunionnisation présente un écueil, celui de la banalisation des identités à travers le métissage, d’où la nécessité de réduire les sphères d’affrontements".
Philippe Bessière, professeur d’Histoire, présentant l’état de ses recherches, met en lumière l’héritage immatériel de l’Afrique. C’est-à-dire, "la part africaine de La Réunion pas toujours visible, qui n’est qu’une facette de ce déni d’Afrique évoqué plus haut. Quand il parle d’héritage africain, l’intervenant ne parle pas d’héritage ethnique". Il faut, dit-il, "envisager une logique métisse ; l’héritage africain que nous recherchons n’est autre que l’africanité du créole".

ll y a entre l’Afrique et La Réunion des aller-retours constants. Et selon Philippe Bessière, "la part africaine à La Réunion est toujours vivante. Elle est la racine de la culture créole et on la retrouve dans le cadre de vie, dans les pratiques sociales et dans la mémoire populaire". Elle est inscrite dans le quartier, même noyé sous le béton, où l’on sait qui est qui, qui fait quoi ; dans la cour lieu de vie des hommes et des enfants. Mais aussi dans l’oralité, dans l’expression corporelle... Philippe Bessière note qu’il s’agit là "d’un domaine à explorer".

Une source d’oralité

D’autres pistes de recherche sont également ouvertes. "Nous aurions beaucoup à gagner à étudier les origines du moringue, du séga, du maloya...". Il indique que "la musicologie est une source d’oralité ininterrompue qui a pu se transmettre notamment à travers les différents services". Les services dans lesquels existe "une pratique de l’hospitalité à travers laquelle on reconnaît l’ancrage africain".
Mais c’est sur le travail de mémoire qu’insiste l’historien. Il souligne que "le conflit entre les mémoires est vif à La Réunion". Il esquisse comment s’est constituée la mémoire collective, "à travers les pti bondyé". Il appelle de ses vœux "l’inscription au classement de l’UNESCO de lieux comme le piton d’Anchain ou la forêt du Tapcal". Il remarque que "le kaf prend sa place dans la mémoire, celle d’un archétype pour toutes les souffrances qu’il a enduré". Enfin, il souligne, qu’"il est de la responsabilité des intellectuels, des chercheurs de permettre une expression culturelle pour sortir de ce malaise (celui créé par le déni d’Afrique - NDLR) qui ne saurait rester sans conséquences".

L. M.


An plis ke sa...

Unité et diversité
Les deux conférences de la semaine dernière concluaient un cycle où furent examinés les rapports entre héritages indien, comorien, chinois... et réunionnisation. Cependant, une conférence dont la date reste à fixer, aura pour thème "Unité et diversité" et fera la synthèse des conférences de ce cycle.

Une organisation militante
L’organisation de ces deux conférences doit beaucoup aux associations Rasine Kaf et Espace Afrique. Mais aussi, pour celle de jeudi dernier, à la Maison de l’Inde. Elle a accueilli les participants en musique et a offert un repas convivial à la fin de la conférence. L’occasion de poursuivre le débat autour d’une cuisine végétarienne de qualité.

Retransmise sur Radyo Pikan
Raphaël Mithra a présidé avec beaucoup de maîtrise la conférence de Saint-Louis qui était retransmise sur Radyo Pikan. Une manière efficace d’élargir le public et de sensibiliser plus largement la population sur la nécessité de débattre de questions qui sont loin d’être épuisées. Il s’agit, comme l’a souligné Philippe Bessière, de "chercher des potentialités dans le passé pour reprendre possession de soi".

Parler une langue vernaculaire
Originaire du Cameroun où se côtoient près de 250 langues, Antoinette Bétourné raconte qu’enfant, elle jouait avec les enfants de son voisin qui parlaient une autre langue vernaculaire (qui ne se parle qu’à l’intérieur d’une communauté) que la sienne ; ils échangeaient donc en... français. Et à ce propos elle a souligné qu’il "n’a jamais été une limite éducationnelle que de parler une langue vernaculaire".

Performance artistique
Un film vidéo signé Sophy Rotbard a été projeté. Il retraçait la performance artistique organisée par Rasine kaf et Art Sénik le 18 septembre dernier, date anniversaire (triste !) de l’enregistrement du code noir à La Réunion. Nous y reviendrons dans une prochaine édition.


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