Le départ de “La Boudeuse”

18 janvier 2007

« C’est un fameux trois-mâts chargé de lingots... ». La célèbre chanson d’Hugues Aufray a été chantée en l’honneur de l’équipage de “La Boudeuse”, dans le Port Ouest, hier après-midi. Les tambours portois, également présents, ont mené une sarabande endiablée. Il faut aussi citer le groupe Maloya de Nicol M’couzon.
Au-delà des activités musicales, Raymond Lauret, dans son discours, s’est félicité de cette fabuleuse aventure de 6 semaines d’escale technique des marins du trois-mâts. Puis, le célèbre journaliste radio Jacques Pradel est venu témoigner de vive voix son soutien à cette aventure. Le capitaine, Patrice Franceschi, a remercié chaleureusement les Réunionnais pour leur accueil. Selon ses propres mots, c’est la meilleure escale qu’il ait faite jusque-là. Puis, il a donné l’ordre de hisser le pavillon réunionnais. Ensuite, les cadeaux donnés par la Région Réunion au bateau ont été embarqués afin que, dans les ports français où “La Boudeuse” va faire escale, les gens puissent déguster des produits et notamment le Rhum Savanna.
Nous rappelons qu’une Réunionnaise embarque pour les 5 derniers mois d’expédition (voir encadré). En outre, 2 jeunes Portois sont également du voyage et ce, jusqu’à Madagascar. On signalera également que Gérard d’Aboville embarque pour les 5 jours de navigation qui séparent La Réunion de la Grande Île. Quant à Gérard Chaliand, le fameux auteur de géopolitique qui devait écrire un second ouvrage sur les aventures de “La Boudeuse”, il a dû renoncer au voyage pour des raisons de santé.
Alors, il y a eu le départ. Le début a pu un peu décevoir. En effet, le bateau à voile est parti à moteur ! Cependant, c’est maintenant une obligation, dans les ports français, de débuter une telle manœuvre de cette façon. C’est une fois après avoir accompli 1 miles marin qu’il a largué les voiles. Ce spectacle était de toute beauté, exhumant d’un passé lointain un savoir-faire séculaire.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer », disait le poète, et il avait tout dit.


Interview de Mme Gilda Tinlot, Réunionnaise et cuisinière de “La Boudeuse”

Un rêve devenu réalité

Pourquoi avez-vous été choisie pour devenir membre de l’équipage au cours des 5 mois d’expédition qui viennent ?

- J’étais marin, j’ai beaucoup navigué. Avec mon mari aujourd’hui décédé, on a construit un bateau de A à Z, un trisphère 40 (soit un bateau dériveur de 13 mètres). On a fait un tour de l’océan Indien en passant par Madagascar, la Namibie, la Tanzanie, l’Inde, les Chagos et retour à La Réunion. Il a duré 2 ans. C’est pourquoi, ce périple de 6 mois ne me fait pas peur. En plus, j’accepte les 3 mois de bénévolat avant d’être payée pour le reste du séjour.

Quelles sont les qualités que l’on attend de vous ?

- Il y en a 3 principalement : la motivation, la rigueur et l’esprit d’équipe.

Comment qualifieriez-vous cette expédition ?

- Mon rêve, c’était de m’acheter un voilier, mais cette proposition de partir 6 mois, c’est encore au-dessus de mes rêves.

Quel va être votre travail à bord ?

- Je suis chargée de la cuisine, mais je veux apprendre la navigation.

Qu’est-ce que vous attendez particulièrement d’un tel voyage ?

- J’attends de l’échange. Je souhaite découvrir des autres peuples. Je pars pour l’aventure. J’ai envie également de voir comment se passe la vie à bord avec autant de passagers.

Un mot de conclusion ?

- Je suis heureuse !


Tristes tropiques ? Projection d’un film de l’équipage de “La Boudeuse”

Quelle invitation au voyage fantastique que celle proposée mardi soir à l’Hôtel de Région par l’équipe de “La Boudeuse” ! En effet, le capitaine du navire, Patrice Franceschi, projetait le 5ème film réalisé par son équipe au cours de son voyage autour du monde. Le titre est ambigu : “On les appelait sauvages”. En fait, il se réfère au mythe du bon sauvage propagé par des aventuriers tels que Louis-Antoine de Bougainville. L’utilisation du verbe à l’imparfait témoigne que ce peuple est confronté à l’irruption de la modernité dans sa vie quotidienne. Un des objectifs du film consiste à rendre compte de la manière dont ces personnes envisagent l’évolution de leurs pratiques face à la mondialisation.

Le documentaire de 52 minutes a été filmé en août 2005, en Océanie, dans la mer de Corail. Plus précisément, il se déroule dans l’île de Pentecôte : 60 kilomètres de long, sur 10 kilomètres de large. Celle-ci appartient à l’archipel mélanésien du Vanuatu. La peuplade que l’équipe de “La Boudeuse” a cherché à rencontrer, les Saa, est connue pour une pratique ancestrale : le saut du Gol. Il s’agit, pour les hommes de cette tribu, de prouver leur courage et leur passage au statut d’Homme en se jetant dans le vide, retenu par une liane solide. Celle-ci mesure tout juste suffisamment pour que la personne ne se fracasse pas les membres 30 mètres plus bas. Cependant, l’équipe de “La Boudeuse” a tenu à accoster à un moment où cette cérémonie n’est pas accomplie. En effet, de nombreux tour-opérateurs en profitent pour faire venir des paquebots de touristes afin qu’ils photographient une telle pratique. En dehors de cette saison, les contacts des Saa avec le monde extérieur sont très limités.

Comme nous l’avons écrit dans l’édition de mardi, le but des 12 expéditions menées par “La Boudeuse” au cours de son expédition de 30 mois autour du monde consiste à voir ce qui rapproche les hommes de contrées très différentes. Il ne s’agit pas de pointer les différences, mais de mettre l’accent sur les ressemblances. La 5ème expédition ne déroge pas à la règle.

Les premières images nous introduisent tout de suite dans le sujet. On peut y voir des hommes ayant pour tout habit un cache-sexe, faire la chasse, de nuit, mais avec une lampe électrique. L’opposition entre pratique ancestrale et modernité est soluble dans le pragmatisme. Cependant, derrière l’apparente facilité avec laquelle la tribu semble s’adapter, on découvre ensuite un vrai questionnement de leur part devant l’avenir.

Certes, une mission s’emploie sans succès à convertir les membres de la tribu. Cependant, elle obtient certaines victoires, comme celle de leur interdire, lorsqu’ils descendent de leur montagne, de vivre nus. Suit alors un propos qui montre qu’un tel habillement n’est pas vécu comme un renoncement de la part du chef du village. Il indique en effet que la vie d’autrefois est la même que celle actuelle. Sous cette apparente sérénité, le chef saa regrette toutefois que les jeunes soient de plus en plus attirés par la modernité. En outre, la religion égare d’autres membres de la tribu.

C’est tout le mérite de l’équipe de Patrice Franceschi que de filmer ces images des Saa et leur réaction face aux défis d’un monde qui change. Ces derniers, ne sachant pas que tout ce qu’ils disent sera ensuite traduit, livrent leurs états d’âme sans inhibition. On se rend alors mieux compte de leur gentillesse. On entend notamment une femme dire à des camarades en parlant d’un membre de l’équipage de “La Boudeuse” : « Ne vous moquez pas d’elle ». Une telle attitude de respect semble avoir été constante de part et d’autre. Tous les jugements de valeur sont évités ou presque. Lorsque “La Boudeuse” se permet d’en faire, c’est pour mieux les rapporter à l’universalité de nos tracas. Ainsi en est-il lorsque les Saa sont invités sur le bateau. Ils y découvrent alors la bibliothèque. Ils y passent de très longs moments. Les membres de l’équipage se demandent pourquoi ils y consacrent un tel temps. Une fois qu’ils auront traduit tous les propos des Saa, ils comprennent que, sous l’apparence de volonté de savoir, les membres de la tribu cherchaient en fait des images charnelles...

Période électorale oblige, on se doit de recenser les artifices du pouvoir. Chez les Saa, il est fonction de la richesse. Pour parvenir au sommet de la pyramide que constitue la douzième classe, lorsque l’on se trouve au plus bas, à la première classe, il faut acquérir des cochons. Pour ce faire, il faut lier des relations avec le plus grand nombre de personnes possibles. Ce réseau de relations établit des liens de dépendance entre les personnes. Cela permet également une sorte de sécurité sociale.

Patrice Franceschi décide de pousser le plus loin possible son appartenance au peuple saa en décidant de passer son premier grade pour accéder à la première classe. Il achète donc des cochons et les tue lors d’une cérémonie. Par ce biais, et suite à 3 jours qu’il passe reclus dans une maison prévue à cet effet, il accède à un rang social plus élevé.
On le constate sans peine : “La Boudeuse” a pris le temps de vivre. Ainsi l’équipage a-t-il constaté la monotonie des tâches quotidiennes. Il a pu vérifier que les femmes avaient peu de moyens d’accéder aux instruments du pouvoir. Ils ont noté que leurs ressources provenaient essentiellement du tourisme, de la confection de pirogues et de la récolte de kava, une plante dont on se sert dans la capitale, etc...

D’autre part, l’idée de Dieu est maîtresse. « Mourir ne me fait pas peur, car c’est la volonté de Dieu », dit un Saa. Cependant, ils sont aussi maîtres dans l’utilisation de Dieu : « Si j’aime les femmes, c’est parce que Dieu l’a décidé ». A voir ces peuples de l’eau, on ne peut que constater les ressemblances avec certains des hommes politiques actuels.

A la fin, les Saa montrent qu’ils sont partagés entre méfiance pour la modernité et envie d’en savoir plus. L’un d’entre eux indique : « Le problème, c’est que nous n’avons pas d’idée ». Un autre va plus loin et constate que, sans la maîtrise de l’écriture et de la lecture, la société saa sera condamnée à la stagnation. L’objectif visé par les Saa vise à aller vers une solution de compromis, sans tomber dans les compromissions : un débat auquel nous renvoie tous les jours la mondialisation !

M.D.


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