Le modèle de la statue de Cilaos

Le dernier porteur de fauteuil a 100 ans

5 octobre 2004

François Séry a commencé à l’âge de 15 ans à porter les malades jusqu’aux thermes de Cilaos. Pour fêter dimanche son centenaire, c’est lui qui est monté dans le fauteuil et s’est fait porter.

Il n’a été remplacé que par les hélicoptères. François Séry, né le 4 octobre 1905 à Cilaos, est le dernier porteur de fauteuil de Cilaos. Il a eu la joie de fêter son centenaire dimanche, au milieu des siens.
Fils de porteur de fauteuil, il a travaillé dès son jeune âge avec son père. D’une constitution solide, c’était un grand gaillard, costaud et résistant. Dès l’âge de 15 ans, il aidait son père dans le transport des personnes malades jusqu’aux thermes de Cilaos.
À l’époque il touchait 15 francs par transport de personnes. Ce métier il l’a exercé jusqu’en 1960 c’est-à-dire à l’arrivée des premiers hélicoptères. Puis de temps à autre, il a continué à le pratiquer, exceptionnellement, pour les touristes de passage, jusque dans les années 1970, époque à laquelle il a pris réellement sa retraite.
Une artiste, Élodie Kornhaiser, a sculpté sur la place de la mairie un porteur de fauteuil intitulé “Porteur de vie” : c’est François Séry a servi de modèle. Depuis, le modèle a rangé sa chaise à porteur et s’est mis à soigner ses vignes et ses fleurs.
Dimanche, à l’église Notre-Dame-des-Neiges, les pères Christian Chassagne et Jean Hoareau, ainsi qu’un prêtre nantais de passage, ont concélébré la messe. Le père Chassagne a rendu un hommage vibrant à l’un homme à toutes épreuves, croyant, et priant à chaque instant de sa vie.
Le père Hoareau, ancien curé de Cilaos, a bien connu François Séry. Lui aussi a donné comme exemple cette foi indéniable qui lui a permis d’atteindre les 100 ans. Puis les sept cents fidèles ont applaudi le héros du jour, dans cette église nouvellement rénovée.
Des louanges tout aussi chaleureuses ont été adressées au centenaire, peu après, lors de la réception à la mairie de Cilaos. Il y a été accueilli par un orchestre de cuivres, qui a entonné les airs réunionnais qu’il aime tant.

Le diplôme d’honneur de la ville

En rendant hommage à François Séry, le maire Paul Franco Técher a rappelé la misère que ce dernier a connu, le courage et la force de conviction qui lui ont permis de traverser tout le 20ème siècle et d’arriver au 21ème siècle. Le montrant en exemple pour les jeunes, il leur a demandé de ne pas oublier le travail des anciens.
Ce ne sont pas les choristes qui le contrediront : la chorale des jeunes de Saint-Pierre, dirigée par la petite-fille de François Séry, a entamé des chants religieux et créoles pour lui rendre hommage.
La salle du conseil municipal de Cilaos s’est avérée trop petite pour contenir le public. Notamment lorsque le maire de Cilaos a remis à François Séry le diplôme d’honneur de la ville : un geste salué par un tonnerre d’applaudissements. Le même diplôme a également été remis à Louise Turpin (lire ci-dessous).
À la sortie de la cérémonie, Mamode Karodia a apporté le fauteuil à porteur devant la mairie et a demandé à François Séry d’y monter. Quatre ou cinq Cilaosiens l’ont porté jusqu’à sa voiture : un geste symbolique qui a mis en joie la famille : de nombreuses photos ont été prises pour garder de la fête un très beau souvenir.

Correspondant


"Voir la bête humaine véhiculer son semblable"

Le président du Groupe de recherches sur l’archéologie et l’histoire de la terre réunionnaise a rappelé l’histoire des porteurs de fauteuils et les risques qu’ils prenaient dans leur travail.

Le G.R.A.H.TER (Groupe de recherches sur l’archéologie et l’histoire de la terre réunionnaise) participait dimanche à la cérémonie du centenaire de François Séry. Son président Marc Kichenapanaïdou a rappelé pourquoi c’était déjà la troisième visite officielle du GRAHTER à Cilaos en 2004.
"Il y a eu l’anniversaire de Madame Louise Turpin, 105 ans au mois de février dernier... la sortie du livre de Madame Marie-France Dijoux intitulé “D’Hier et d’aujourd’hui”, édité par le G.R.A.H.TER... et aujourd’hui les 100 ans de Monsieur François Séry. (...) Il est le dernier survivant qui a porté le titre, ô combien glorieux de “Porteur de fauteuil”."
Et de rappeler, pour toutes les générations qui n’ont pas connu cette époque, la définition du mot “fauteuil”.
"À La Réunion, le terme “fotey” désigne une sorte de petite “chaise longue munie parfois d’accoudoirs”. Utilisée pour se reposer à la maison, elle peut être transformée en chaise à porteurs. Ce mode de transport était employé autrefois par celles et ceux qui se rendaient à Cilaos ou en cure thermale à Hell-Bourg et, jusque dans les années 1960 (avant l’utilisation de l’hélicoptère), pour le transport des malades et des blessés dans les régions isolées de l’île. "

"Écrire le récit de votre vie"

Il y avait deux sortes de fauteuils. "On fixait de chaque côté du fauteuil une barre de bois, notamment de “ma d-soka” (hampe florale du choca). Il fallait deux ou quatre porteurs. Dans le premier cas, les barres étaient munies de bricoles reposant sur les épaules des deux porteurs qui se mettaient entre les barres, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière ; le fauteuil portait alors le nom de “fotey brikol”. Pour le port à quatre, les supports reposaient directement sur les épaules des porteurs qui se plaçaient, deux entre les brancards et deux à l’extérieur, de manière à changer régulièrement d’épaule en même temps."
En 1892, a rappelé dimanche le Marc Kichenapanaïdou, on rapporta au cours d’une session du Conseil général que ce "qui gâte beaucoup le voyage, si pittoresque quoique très accidenté de Cilaos, c’est par ce temps de civilisation et de philanthropie universelles, de voir la bête humaine véhiculer son semblable, en exposant sa vie à chaque pas".
Deux anciens porteurs de Cilaos témoignaient : "Porteur de fauteuil, c’était une affaire sérieuse. On ne causait pas, sauf pour avertir ceux de derrière qu’il y avait un obstacle à éviter".
Le président du GRAHTER a formulé publiquement une promesse : "Nous prenons l’engagement ici, si vous êtes d’accord, Monsieur François Séry d’écrire le récit de votre vie qui pourra être publié en 2005 à l’occasion du 40ème anniversaire de la création en commune de Cilaos."


La prière d’une arrière-petite-fille

L’arrière-petite-fille de François Séry, aussi croyante que lui, a rédigé et prononcé un éloge en forme de prière, dont nous publions ici quelques extraits.
"Seigneur je te rends grâce pour la joie de célébrer le centième anniversaire de pépé.
Merci pour sa vie qui rayonna la paix, le bonheur et la joie de vivre.
Merci pépé pour l’amour que tu nous donnes aujourd’hui, tu as été un homme bon et droit. Merci pépé.
Merci pour ta sérénité, pour la force et le courage dans les moments difficiles. Dans la maladie, la souffrance, tu ne dis rien, tu t’abandonnes entre les mains de Dieu.
Merci pour ton amour au travail, tu y mettais tout ton cœur, tu as fait des centaines et des centaines de kilomètres sur les sentiers de la Rivière Saint-Louis à Cilaos avec ta chaise à porteurs. Jamais nous ne t’avons entendu dire "je suis fatigué". Aujourd’hui, avec ton bâton à la main, quand tu y penses, tu vas dans le jardin, enlever les mauvaises herbes.
Merci pour ton accueil. La porte de ton cœur est toujours ouverte pour recevoir ceux qui viennent te voir. (...)
Que Dieu te garde encore parmi nous ainsi que tes trois enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants."


Trente kilomètres à pied

Parmi les Réunionnais qui ont monté à pied le chemin vers Cilaos, il y avait une fillette. Devenue grande, Marie-France Dijoux a raconté cette épopée dans son livre, dont Marc Kichenapanaïdou a rappelé un extrait. Avec son regard d’enfant, l’écrivain décrit le courage nécessaire pour ce genre d’équipée.
"Papa a été nommé brigadier forestier à Cilaos. J’ai quitté le pays et j’ai quitté mon cœur. Chez nous, personne n’avait envie d’aller dans ce cirque. Nous avons déménagé un certain vendredi 13 mai, jour mélancolique où l’incertitude se lisait sur le visage de chacun.
"Nous sommes arrivés de bon matin aux Aloès, lieu de rendez-vous où les porteurs nous attendaient. Ils ont pris nos bagages. Seule Maman a eu droit à une chaise à porteur. Nous autres, nous avons fait nos trente kilomètres à pied. Trente kilomètres, ça n’use pas seulement les souliers mais aussi le moral. Car, à regarder seulement la hauteur du piton des Neiges sous un soleil ardent, ça vous donnait le cafard.

"La boue, la boue !"

"Premier tunnel. Arrêt pour décharger les bœufs et les laisser se reposer... Deuxième arrêt, au Pavillon, à la buvette de Melle Augeard, où les porteurs prenaient leur “p’tit coup d’sec”. En 1920, le porteur était payé 15 francs et la balle de riz coûtait 45 francs.
"Nous avons emprunté le sentier du Cap Noir, tellement étroit que si vous regardiez en bas vers le noir ravin, le vertige vous prenait. Je marchais indécise, posant la main du côté du cap. Il y avait deux tunnels à franchir sous ce malheureux sentier noir. Les porteurs chantaient de temps en temps : “Ahi, aho, va paye la goutte pour matelots !” Et quand on disait “la boue, la boue !”, cela signifiait qu’il fallait éviter les “pâtés” déposés par les bœufs"
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