Pour sortir de la crise liée au choix du Jardin d’acclimatation comme lieu d’exposition de l’Année des Outre-mers

Le gouvernement demande des propositions à une Réunionnaise Françoise Vergès chargée de travailler avec la Mairie de Paris

11 avril 2011, par Manuel Marchal

10 ans après le vote de la loi reconnaissant l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, le gouvernement demande à la présidente du Comité pour la mémoire de l’Histoire de l’esclavage de mener à bien une mission visant à proposer un travail de mémoire sur les ’zoos humains’ qui se sont déroulés sur le territoire métropolitain de la République jusque dans les années 30.

« 3 spectacles quotidiens, 120 représentations, 400 participants, 40 stands, 34 thèmes d’ateliers », c’est ainsi que commence le dossier de présentation de l’opération "Un jardin en outre-mer". Ouvert au lendemain de l’entrée symbolique d’Aimé Césaire au Panthéon, cet événement est un des temps forts de "2011, année des Outre-mers" du gouvernement, il durera un mois.
Mais c’est le choix de l’implantation de la manifestation gouvernementale qui a suscité un scandale. "Un jardin en outre-mer" se situe en effet au Jardin d’acclimatation. C’est dans ce parc que la République a régulièrement installé des zoos humains. Des représentants des peuples dominés alors par un empire colonial étaient exposés en cage, comme des animaux, à la vue du public. Ces actes incroyables commis par une République ont duré jusqu’aux années 30, avec comme point d’orgue l’Exposition coloniale de 1931.
Les protestations n’ont pas manqué de s’amplifier. Deux jours avant l’ouverture de "Un Jardin en outre-mer", la ministre de l’Outre-mer sollicite personnellement une Réunionnaise, Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Elle lui demande, en étroite collaboration avec la Mairie de Paris et les administrations concernées, de mener à bien « une mission de réflexion et de propositions concrètes autour d’un travail mémoriel et historique consacré aux inacceptables expositions d’êtres humains, appelées aussi aujourd’hui “zoos humains”.
Après consultation des membres du Comité, Françoise Vergès a décidé d’accepter cette mission. « Nous avons conscience de son importance et de sa portée pour notre pays et nous nous engageons à la remplir avec rigueur et en tenant toujours compte de l’intérêt général », écrit la présidente du Comité. Voici la reproduction de la demande de la ministre, et de la réponse de Françoise Vergès.

M.M.


La demande du gouvernement

Voici la lettre adressée par la ministre de l’Outre-mer à la présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, Françoise Vergès.

« Madame la Présidente,
L’histoire de notre pays est jalonnée d’événements glorieux ou tragiques, politiques, religieux ou sociaux, qui en constituent le fondement.
Certains de ces événements douloureux, inscrits dans un contexte spécifique et temporel, ont parfois été avec le temps volontairement occultés, ou simplement oubliés par le plus grand nombre, tout en restant enfouis dans la mémoire collective de communautés ou d’individus particulièrement concernés.
Il en est ainsi notamment des Expositions coloniales où la curiosité pour les « indigènes » et le « pittoresque » alors revendiquée s’est construite sur une exhibition aussi indigne qu’humiliante d’hommes, de femmes, et même d’enfants réduits à un exotisme scandaleusement déshumanisé.

A Paris, entre 1877 et 1931, au Jardin d’acclimatation, au bois de Vincennes, au Jardin des plantes et en d’autres lieux, se sont ainsi succédé des groupes prétendument « sauvages », comme en 1892 celui des Amérindiens Ka’lina de Guyane (dont certains moururent lors de leur séjour) ou en 1931 celui des Kanaks.
Les descendants de ces peuples et héritiers de ces cultures, qu’ils soient de Guyane, de Nouvelle-Calédonie ou d’autres régions ultramarines, tiennent à honorer la mémoire de leurs ancêtres et à réaffirmer leur dignité. Ils tiennent aussi à faire connaître et exprimer la vitalité de leur culture aujourd’hui.
La République a pour devoir de reconnaître ces mémoires et cette histoire, de leur donner leur juste place dans l’Histoire de la France, sans aucunement occulter le passé et instruire de procès. En montrer toutes les complexités et les errements, comme les espoirs et les avancées, nous renforcera et nous enrichira.

C’est pour ces raisons, et parce qu’il est légitime de répondre à l’attente de celles et de ceux qui veulent que cette histoire soit pleinement reconnue, alors que dans le cadre de l’Année des outre-mer, des manifestations sont prévues au Jardin d’acclimatation, que je souhaite vous confier une mission de réflexion et de propositions concrètes autour d’un travail mémoriel et historique consacré aux inacceptables expositions d’êtres humains, appelées aussi aujourd’hui « zoos humains », qui ont pu se tenir, entre autres, dans notre pays.

Cette mission s’inscrit dans le cadre de l’article 4 du décret n°2009-506 du 6 mai 2009 qui dispose :
« Le comité peut, à la demande du Premier ministre ou des membres du gouvernement, apporter son expertise pour l’étude d’un projet, la conception d’une manifestation ou d’un colloque et pour toute autre action de communication, d’information et de sensibilisation ».

Je vous demande de bien vouloir conduire cette mission en étroite relation avec la Mairie de Paris et les administrations concernées, ainsi qu’avec les représentants des communautés plus spécifiquement concernées par ce passé.

Votre mission consistera à animer une réflexion ayant pour objectif :

- Dans le champ mémoriel de proposer des actions de sensibilisation des publics sur cette réalité historique reposant, par exemple, sur la pose de plaques ou l’organisation de cérémonies qui pourraient être souhaitées par les représentants et descendants des peuples alors exhibés.

- Dans le champ historique de proposer des axes de recherche et des formes de restitution (archives, publications...), d’envisager la conception de brochures mémorielles ou d’élaborer des programmes éducatifs appropriés.

Vous déterminerez en toute impartialité la méthodologie que vous jugerez la plus adaptée à ces objectifs, en vous appuyant sur les historiens et experts que vous jugerez utile de solliciter.

Je souhaite que vous puissiez, avant la fin de 2011, proposer des actions fortes et symboliques soulignant l’engagement de la République dans l’inscription de cette histoire et pour l’apaisement des mémoires.
Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’assurance de ma considération distinguée. »


La réponse de Françoise Vergès

La présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage annonce qu’après consultation des membres du Comité, elle accepte la mission demandée par la ministre de l’Outre-mer.

Madame la Ministre,
Vous m’avez fait l’honneur de solliciter, en ma personne, le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, pour effectuer une mission de réflexion et de propositions concrètes autour d’un travail mémoriel et historique consacré aux inacceptables expositions d’êtres humains, appelées aussi aujourd’hui « zoos humains », qui ont pu se tenir, entre autres, dans notre pays.

J’accepte cette mission, après consultation des membres du Comité. Nous avons conscience de son importance et de sa portée pour notre pays et nous nous engageons à la remplir avec rigueur et en tenant toujours compte de l’intérêt général.

Nous vous présenterons dans les plus brefs délais, après les consultations qui s’imposent, et avec le soutien et les moyens que vous mettrez à notre disposition, les premières propositions dans le champ mémoriel et historique pour répondre à votre souhait d’engager avant la fin de 2011 des actions fortes et symboliques.
Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération ».

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