Sobatkoz au kabar de la MCUR à la Balance Coco

Le maloya : un mélange de mémoires

24 novembre 2009, par YVDE

Le maloya n’est pas une musique « boumboum ». C’est une musique qui porte des sentiments, des valeurs, des messages, des métissages... C’est un héritage multiple dont les textes s’inspirent parfois de grands textes fondateurs. Même si, souvent, les auteurs et le public n’en ont pas conscience. C’est ce qu’ont dit Carpanin Marimoutou, auteur de recueils de poèmes et d’essais chargé de Mission scientifique à la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR), Stéphane Grondin, responsable de Maloyallstars, et Frédéric Testa, auteur d’un film de témoignages, ’Maloya nout léritaz’ (voir encadré).

Carpanin Marimoutou a montré comment, dans un texte maloya, il pouvait y avoir en même temps plusieurs choses : l’amour, la lutte, la résistance, l’histoire de La Réunion, le mélange... « Maloya la pa nou la fé/Gramoun maloya la fé maloya » ou bien « Maloya la pa nou la fé/Nout zansèt la fé maloya ». A partir de ce texte, il explique, d’une part, les nuances des variantes, et, d’autre part, comment ce texte porte des valeurs importantes dans la société réunionnaise : la transmission de l’héritage culturel et la solidarité. Pour Carpanin Marimoutou, les textes maloya sont « un exemple parfait de créolisation ». Il cite “Valé valé...”, une romance française signalée par Volsy Focard et Vinson au début du 20ème siècle. Mais ce texte a été profondément transformé par les travailleurs. Ils y ont intégré l’histoire de La Réunion. « Bann tèks maloya i anprinte partou », note-il. Dans labitasyon, les travailleurs venus du Mozambique, de Madagascar, de l’Inde partageaient les mêmes espaces de travail où se côtoyaient le servis kabaré, le bal tamoul, le karmon... Des espaces métis. Et quand dans un même texte on lit : « Isi dann péi Bourbon (...) A nou minm plantèr Larényon », il explique qu’il s’agit là de la filiation des luttes transmises de génération en génération, d’un mélange de mémoires. Et parfois derrière un morceau de vie quotidienne, "Sinbénoi Boliyé momon...", Carpanin Marimoutou fait découvrir comment, à partir de l’espace quotidien, on ouvre sur l’imaginaire des mondes et on renvoie à l’histoire, à l’esclavage, à l’engagisme. Il estime que dans "Dodo Siya, la kaz la pa moin, mi dodo pa", on peut lire l’histoire d’une femme qui ne veut pas dormir chez ou avec son interlocuteur. Mais lui y voit un dialogue du Ramayana conté dans le bal tamoul, alors que le compositeur et le public n’ont pas forcément cela en tête. Et il en conclut que les textes contemporains renvoient aux grands textes fondateurs venus de l’Inde, de Madagascar, de France.
Stéphane Grondin traite ensuite des pratiques du maloya. Il note deux territoires principaux où s’exprime le maloya, le Sud et l’Est, où se sont développées des pratiques différentes du maloya. Il note qu’à l’Est, le maloya est plus empreint de spiritualité à travers notamment le culte des ancêtres afro-malgaches. On y emploie beaucoup la langue malgache et le rythme est « plus piqué ». Du Sud sont issues des figures du maloya, à quelques pas de la Balance Coco, Gramoun Baba, Grammoun Bébé… et un peu plus loin, Simon Lagarrigue, Firmin Viry... Dans le Sud, le maloya est « plus plaintif », plus enraciné dans le créole. Plus marqué, dans les années 60/70, par la contestation sociale. On y emploie plus le "foutan", le "double sens". Comme on dit en créole, « on koz an parabol ». Le conférencier distingue quatre formes de maloya :

- Le maloya kabaré chanté en créole ; dans les fêtes familiales et transmis de génération en génération. On y manie le "foutan" comme « Manzé la pokor fine tiré/mousavèr la fine antouré ». - Le séga-maloya dont les textes manient la moquerie et la provocation. Une forme de maloya qui prend des accents "coquins" comme dans "Misyé Zilo" de Simon Lagarrigue. « C’est de là qu’est né le maloya moderne », note Stéphane Grondin.

- Le maloya rituel, le culte des ancêtres, et dont on distingue deux formes : le servis malgas et le servis kaf.

- Dernière forme de maloya citée, le maloya valsé. Des romances chantées pour les ancêtres qui peuvent aller jusqu’à la transe.
On comprend que tout un peuple, malgré l’interdiction de le jouer dans l’espace public pendant des décennies, se retrouve dans le maloya, et combien son inscription au Patrimoine culturel de l’humanité valorise ainsi toute une série de pratiques culturelles qui vont au-delà du maloya.

YVDE


Paroles...

In voyaz santiman

Le film "Maloya nout léritaz", signé Frédéric Testa, présente une série de témoignages "bruts de décoffrage". Ils disent comment le maloya, aujourd’hui inscrit au Patrimoine culturel de l’humanité, porte « in voyaz santiman ». Et les propos tenus par les témoins illustrent ceux des deux conférenciers du "sobatkoz". « Sét in nafèr i pran anou o trip », « Sé pa solman inn mizik, sét inn filozofi ». « Sé tout nout batarsité », « Sé lavnir pou bann marmay, i rogroup in tralé zénérasyon », « In nafèr lé for for minm. Sé nout léritaz ». « I roprézant nout lidantité. I fo pase sa zénérasyon an zénérasyon », « Nout zansèt la rézisté en kasyèt dann servis kabaré », « I fo transmèt ali. I fo pa nou pèrd sa ». « Sé in zarboutan nout kiltir », « Mi aime mon maloya ». Des déclarations très fortes et très partagées qui ont été enregistrées sans que l’un assiste à l’enregistrement de l’autre.


Nou lé kapab

Des ateliers où vit la créolité

Une série d’ateliers étaient organisés samedi après-midi sur le site de la Balance Coco autour du maloya. A peine les fonnkèr de Maryline Dijoux terminés — comme d’habitude devant un public attentif —, nous avons pu passer à l’atelier autour des textes créoles. Axel Gauvin faisait passer un test de lisibilité du créole, toujours à la recherche de la meilleure graphie. A côté, on vend des ouvrages créoles. Nous y dénichons le CD “Zinizin” dont nous avions égarés deux cassettes et une bande dessinée en créole. Quelques mètres plus loin, un « gran marmay trantan », s’escrime à lancer une toupie lontan. « Mi gingn pi », dit-il désolé, au milieu d’un paquet de marmailles qui, le temps d’un kabar, ont lâché leur console pour la toupie. Un petit coup d’œil à l’atelier de fabrication des instruments traditionnels. Là aussi, tout a été fait pour intéresser les marmailles. Ils peuvent dessiner, dans un carnet, les instruments traditionnels et les baptiser, en français ou en créole. Mais les premiers accords de maloya arrivent à nos oreilles. Un bonne quinzaine de troupes vont se succéder sur le podium. Lo maloya lé anlèr, é sé nout tout ke lé anlèr.

A la Une de l’actuMaison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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