“Le 11 novembre 1882 : l’abolition de l’engagisme !” — 2 —

Le rapport Miot

8 novembre 2013

Voici la 2ème partie de l’article de Gady Moonesawmy relatant l’histoire des Indiens venus travailler à l’île de La Réunion après l’abolition de l’esclavage, à l’occasion du 131ème anniversaire de l’abolition de l’engagisme.

1) Le recrutement

Si Miot enquête sur la situation des Indiens à La Réunion, il a soin de remonter à la source du trafic et estime que les engagements dans l’Inde se contractent « sans aucun soin, et selon toute apparence, sans la moindre conscience ». D’autres témoignages nous renseignent sur la nature des abus auxquels il faut allusion.

Incapables de procéder par eux-mêmes aux recrutements de la main-d’œuvre, les agents de commerce font appel aux services de recruteurs autochtones, Sirdars dans le Nord et les Mestrys dans le Sud de l’Inde. Ceux-ci parcourent les villages et les villes afin de réunir les candidats au départ.

Devant les très fortes réticences de la population à s’exiler, les agents recourent à des promesses fallacieuses. Rétribués au prorata des travailleurs recrutés, Sirdars et Mestrys ont tout intérêt à être efficaces et trompent les volontaires sur la destination exacte, la nature du travail à effectuer et les salaires futurs. La mystification est facilitée par l’absence de références chez leurs interlocuteurs.

Subtilement, les agents versent les avances sur salaires, prévues par la convention franco-anglaise, mais se gardent bien d’expliquer que cet argent sera ultérieurement retenu par les employeurs.

Toutes les opérations semblent baigner dans un climat de malentendus avec habileté. Impuissants à convaincre, les recruteurs sont voués à promettre, mystifier les expédients, telle l’immigration de communautés villageoises entières, enfants et vieillards compris.

 

2) L’immatriculation

Le rapport de l’enquête Miot est surtout édifiant dans la description des Indiens vivant à La Réunion. Il dénonce l’incurie de l’administration locale, chargée d’immatriculer et répartir les immigrants. Le service de l’immigration a négligé d’enregistrer 60.000 mutations d’Indiens.

Dès lors, le contrôle de l’administration sur les habitations ne s’exerce pas. Les engagistes restent seuls maîtres à bord. Les rapports de gendarmerie se contentent d’aligner les manquements à la réglementation, le non-respect des contrats, les durées tout à fait excessives de travail.

 

3) Les abus

Le rapport Miot démonte les mécanismes qui conduisent aux abus les plus criants en matière de salaires, des congés, de réengagements et des décisions de justice.

 

Salaires et congés

Contestant les affirmations des colons, le rapport établit que les Indiens sont mal payés. L’Indien travaille toujours à la tâche ; elle est beaucoup plus pénible et moins payée que dans la colonie anglaise. Le minimum des salaires est de 12,50 francs à Bourbon.

Pourtant, cette rétribution médiocre est souvent amputée en raison de divers subterfuges. L’un d’eux consiste à retenir deux jours de solde par jour d’absence, puis à réclamer en travail ces mêmes journées. C’est ce qu’on appelle le « double-cut system ».

Autres retenues arbitraires, celles effectuées sur les achats mensuels à la boutique. Pour rogner sur les salaires, certains font preuve d’une imagination fertile. « Il est absolument vrai que l’Indien était exploité sous ce rapport (salaire). On exige beaucoup de lui et on le paie le moins que possible ».

Les mêmes comportements sont adoptés par les engagistes en matière de congés. « Le dimanche n’est pas respecté… suivant la loi, l’Indien ne doit ce jour-là que corvée, c’est-à-dire le soin de la propreté habituel, tant pour la propriété que pour les animaux. Il est rare qu’il en soit ainsi dans la pratique. De plus, quand on le paie, on choisit le dimanche, et cette opération est rarement terminée avant 2 ou 3 heures de l’après-midi ».

 

4) Réengagement et décisions de justice

Les réengagements sont l’autre point sensible du rapport Miot et cristallisent de nombreuses réclamations parmi les engagés. Le rapport justifie les plaintes et dénonce la généralisation des engagements anticipés, violant la liberté du travailleur.

Il décrit les stratagèmes dont usent les colons pour convaincre les Indiens : promesse d’une femme, distribution d’argent, en fait manœuvres, car l’engagiste n’a pas le moyen d’imposer une épouse ou retient par la suite les “primes” accordées.

Mais l’intérêt du rapport n’est pas seulement dans la mise en évidence d’abus incontestables. Il a aussi le mérite de montrer comment ces comportements s’inscrivent dans une société où les solidarités jouent toutes contre les engagés.

Les syndics chargés de faire la loi sont « incompétents et négligents ». Le commissaire de police s’en rapporte trop souvent aux plaintes des propriétaires, et le juge de la Paix se prononce la plupart du temps sans attendre les preuves.

 

A suivre…

 

Gady Moonesawmy (Saint-Denis)


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus