Notre Histoire : À l’occasion du 86e anniversaire de la naissance de Roland Jamin - 13 -

Le scrutin du 8 décembre 1957 : une odieuse mascarade

5 juillet 2004

Dans ce 13ème volet, Eugène Rousse nous raconte les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections municipales du 8 décembre 1957 à La Possession : des CRS au service de certains candidats, les inscriptions illégales de nouveaux électeurs... Violences et fraudes électorales se multiplient. Même la presse fait abstraction de cette « odieuse mascarade », confie l’historien.

Après les scrutins du 15 septembre et du 17 novembre marqués par d’incroyables scènes de gangstérisme portées à la connaissance de l’opinion tant en France hexagonale qu’à La Réunion, on pensait que le préfet ne prendrait pas une nouvelle fois la lourde responsabilité d’étrangler le suffrage universel. Force est de constater que le scrutin du 8 décembre à La Possession n’a été qu’une odieuse mascarade.

Des signes précurseurs de la fraude

1) Des CRS au service des candidats de droite
Alors que les réunions de Raymond Mondon se tiennent dans le calme, en présence de nombreux électeurs et d’un seul représentant de la police, l’Inspecteur Lacoste, les rares réunions de Morin Dambreville ont lieu avec un public ambulant transporté d’une localité à l’autre de la commune dans les camions du candidat de droite escortés par des CRS.
À la réunion tenue au centre ville le samedi 7 décembre par Morin Dambreville, les témoins de cette réunion de clôture ont pu voir arriver dans l’ordre un CRS à moto, deux voitures de candidats, une jeep de CRS, deux camions transportant des partisans de Dambreville, une seconde jeep de CRS, un camion de CRS et enfin un CRS à moto.
2) La composition des bureaux de vote :
La présidence des six bureaux de vote de la commune est confiée à Morin Dambreville et à ses colistiers.
3) Le transfert d’électeurs et l’inscription illégale de nouveaux électeurs :
La création d’un nouveau bureau de vote à Sainte-Thérèse, au cœur de l’immense propriété de Morin Dambreville, n’a pu être possible que grâce au transfert de la majorité d’électeurs inscrits à La Rivière des Galets. Ce gros bureau, le second en importance, présidé par Morin Dambreville, ne compte pas moins de 594 inscrits contre seulement 284 à La Rivière des Galets, devenu aussi le plus petit bureau de la commune.
Quant au nombre d’électeurs inscrits illégalement dans l’ensemble des bureaux, il se chiffre à 243 ; passant en trois semaines (17 novembre-8 décembre) de 2.476 à 2.719, alors que les listes électorales sont arrêtées en commission du 31 mars ; soit huit mois plus tôt.
4) Refus de remettre à leurs titulaires les cartes non distribuées
En fait, la distribution des cartes est sélective. Seuls les électeurs soupçonnés de voter communiste ne peuvent se faire remettre ce précieux document en mairie. Les attestations d’inscription n’étant pas remises le jour du vote, dans les bureaux, ces électeurs ne sont pas admis à voter.

Violation du code électoral le jour du scrutin

Dans trois bureaux sur six, le président n’accepte pas que la constitution du bureau soit publique.
À Sainte-Thérèse par exemple, le bureau de vote se trouve à l’étage de l’école. L’escalier qui y mène est occupé avant 8 heures par des CRS et des partisans de Dambreville, pendant que les électeurs sont maintenus dans la cour par des CRS. Sans une intervention énergique de Paul Vergès, ces électeurs n’auraient pu assister - comme l’exige la loi - à la constitution du bureau de vote.
Si le président adopte à l’ouverture du scrutin une attitude conciliante, il ne renonce toutefois pas à son projet de se débarrasser assez vite des mandataires de la liste Mondon.
En fin de matinée, une jeune fille mineure vient voter pour la deuxième fois. Un des assesseurs de Mondon s’y oppose. Il est aussitôt expulsé et frappé. Le second assesseur, ayant fait observer qu’il convient de remplacer le membre du bureau exclu par son suppléant, est expulsé à son tour ainsi que le délégué qui proteste. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner que dans ce bureau, on ait enregistré une "participation" de près de 83% et que Mondon n’ait obtenu que 17% des "suffrages exprimés".
Dans le bureau de Ravine à Malheur, tout se passe comme à Sainte-Thérèse avec un taux voisin de participation de 100% (285 votants sur 289 inscrits). Dans cette localité où Roland Jamin, bien connu de toute la population, avait appelé à voter Mondon, ce dernier ne recueille que 5 voix.
Dans les bureaux du centre-ville, du Dos d’ne et de La Rivière des Galets où les mandataires de Mondon ont pu contrôler tout le scrutin, la liste Mondon arrive en tête avec un total de 618 voix contre 554 à Dambreville.
Quant au bureau du cirque de Mafate, il n’a pu fonctionner ; les électeurs ayant exigé en vain une constitution régulière du bureau, ils se sont opposés à ce que le vote ait lieu. C’est donc une urne vide que les huit gendarmes affectés à ce bureau ont ramené à 16 heures au bureau centralisateur.
Le bureau centralisateur situé à la mairie est placé sous très haute surveillance dès 17 heures 30. Craignant une riposte populaire, la préfecture a pris toute disposition pour que les électeurs soient tenus dans l’ignorance de ce qui s’y passe. Dans toutes les rues qui conduisent à la mairie - située à l’époque rue Evariste de Parny -, gendarmes, CRS et policiers en tenue de combat interdisent la circulation. Pas moins de 23 fourgonnettes, jeeps et véhicules lourds de la gendarmerie y sont stationnés, donnant au bureau centralisateur l’allure d’un véritable camp retranché, à l’intérieur duquel les fraudeurs de La Possession peuvent en toute quiétude arroser leur victoire en compagnie des représentants de la préfecture.

"Communistes expulsés"

C’est le lendemain seulement, alors que les forces dites de l’ordre ne se sont pas toutes retirées de La Possession, que les électeurs apprendront par les médias les résultats du scrutin.
Il n’est pas inintéressant d’indiquer comment la presse a rendu compte de la mascarade électorale du 8 décembre.
Le journal "le Peuple" se contente de donner les résultats de "l’élection" sans le moindre commentaire : liste Morin Dambreville : 1.190 voix ; liste Raymond Mondon : 729 voix.
Le quotidien "le Progrès" publie lui aussi les résultats mais en les faisant suivre de deux remarques : le scrutin s’est déroulé dans "le calme" ; "un impressionnant service d’ordre présidait".
"Le journal de l’île de La Réunion" apporte une fois de plus sa caution aux fraudeurs en écrivant : "parmi les incidents mineurs survenus au cours de la journée d’élection, signalons encore l’expulsion, à 12 heures 30, des délégués et assesseurs communistes du bureau de Sainte-Thérèse... À La Ravine à Malheur, deux assesseurs communistes qui cherchaient à provoquer des incidents quelques instants avant l’heure du dépouillement ont été expulsés à 17 heures 45".
Le journal "le Balai", pour sa part, se déclare satisfait des expulsions ordonnées par les présidents : "À Sainte-Thérèse... assesseurs et délégués communistes... se faisaient expulser. Ce qui était bien la moindre des choses".
Quant à radio Saint-Denis - qui devait six mois plus tard maquiller l’assassinat de François Coupou par les CRS en accident cardiaque -, elle s’en tient aux résultats communiqués par la préfecture, sans informer ses auditeurs des conditions dans lesquelles s’est déroulée "l’élection".
Voilà succinctement rappelé, comment, au mépris des dispositions les plus élémentaires du code électoral, le préfet Jean Perreau-Pradier a permis à la droite de s’emparer en 1957 de la mairie de La Possession où elle devait régner sans partage jusqu’en mars 1971.


(à suivre)

Eugène Rousse


Rectificatif

Léon de Lépervanche a été député de La Réunion de 1945 à 1951, et non comme il a été écrit dans notre édition de samedi. Veuillez nous en excuser.

Roland Jamin

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