Le centenaire de la séparation des Églises et de l’État - 5 -

Le volet social de la laïcité

14 décembre 2005

Après avoir commencé à aborder dans notre édition d’hier le volet social de la laïcité, nous abordons aujourd’hui le rôle de la laïcité dans le combat contre les discriminations ainsi que son volet scolaire.

Les flambées de violence qui viennent de se produire en France - et dont les auteurs sont majoritairement des jeunes de banlieues issus de l’immigration - sont là pour nous rappeler qu’il ne peut y avoir de paix civile sans justice sociale, c’est-à-dire sans laïcité.
Il est évident que si les populations immigrées ont du mal à s’intégrer dans la société française, c’est parce qu’elles sont trop souvent victimes de la ghettoïsation, du chômage massif et aussi du racisme, des brimades policières et qu’elles ne disposent en général pour survivre que de revenus de substitution. Le choix d’une fiscalité qui écrase les plus faibles, l’absence de mixité sociale, le développement de la précarité qui est la conséquence des politiques économique et éducative (1) du gouvernement ne font qu’aggraver une situation indigne de notre République laïque. Pour mettre fin à une désespérance génératrice de violence, il convient de décréter sans délai, non pas le couvre-feu, mais l’état d’urgence sociale dans les cités surpeuplées des grandes banlieues.
Comment ne pas signaler ici que le rapport Fauroux, (du nom d’un ancien ministre) rendu public récemment, met l’accent sur les discriminations à l’embauche frappant des demandeurs d’emploi, en raison de leur patronyme et de leur origine. Ce rapport, rédigé à la demande du gouvernement, nous apprend qu’à "CV (curriculum vitae) égal, un Maghrébin reçoit 5 fois moins de réponses favorables que la moyenne à une demande d’embauche".

Faire disparaître les discriminations

Puisque - comme cela a été dit plus haut - le combat laïque vise à faire disparaître les discriminations dont sont victimes les femmes, celles-ci auraient dû être les grandes bénéficiaires de la laïcité.
Certes, depuis 1924 elles peuvent accéder à l’université ; elles ont aussi obtenu de droit de vote en 1944. Mais force est de constater que l’égalité hommes-femmes est loin d’être réalisée.
Aussi, à l’Assemblée nationale, on ne dénombre aujourd’hui que 12,3% de femmes qui sont encore moins bien représentées dans les mairies (10% de femmes maires).
La situation est pire à La Réunion, où aucune femme n’exerce la fonction de maire et, où en dépit de la loi sur la parité, il n’y a que 8% de femmes au Conseil général (contre 5,5% en 1945). Malgré des modifications constitutionnelles, la France se classait 13ème dans l’Europe des 15 en ce qui concerne le taux de femmes siégeant à l’Assemblée nationale.
S’agissant des salaires, même constat : malgré la loi du 29 décembre 1972 exigeant des employeurs qu’ils traitent également leurs employés, sans tenir compte des sexes, les femmes percevaient dans le privé des salaires inférieurs à ceux des hommes de 25% en 1998.

Le volet scolaire de la laïcité

Examinons enfin le volet scolaire de la laïcité.
Il est bon de savoir qu’au lendemain du vote de la loi de Séparation, l’Église catholique s’est efforcée, notamment en Bretagne et en Vendée, de créer un climat hostile à l’école laïque étiquetée “École du diable”.
Le climat s’est heureusement apaisé après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle les souffrances partagées avaient considérablement rapproché toutes les familles politiques et spirituelles.
Il n’est donc pas étonnant que le député du département du Nord l’Abbé Lemire - qui avait voté contre la loi de 1905 - tienne à la Chambre, le 11 décembre 1921, le propos suivant lors du débat relatif aux bourses scolaires sollicitées par l’enseignement privé : "je n’admets pas (déclare l’ecclésiastique) que l’on mendie sous une forme quelconque l’argent de l’État quand, librement, on s’est placé en dehors de lui... Je veux que l’argent de tous aille à l’école ouverte à tous. Si l’on veut d’un enseignement spécial, à part, distinct, on est libre, complètement libre. Et de cette liberté je me contente. En me contentant d’elle, je la sauve".
Sans être désavoué par l’épiscopat français, l’Abbé Lemire venait ainsi de mettre l’accent sur une des conditions nécessaires au rétablissement de la paix scolaire : "l’argent de tous à l’école ouverte à tous".
Aussi, l’opinion n’a-t-elle pas été surprise lorsqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les députés catholiques du Mouvement républicain populaire (MRP) marquent leur accord pour que figure dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la phrase suivante : "l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État".
Devant une telle attitude des parlementaires catholiques, on était fondé à penser que le général Weygand, ministre de la Guerre de Pétain, n’exprimait qu’une opinion personnelle lorsqu’il déclarait 6 ans plus tôt : "tous les malheurs de la Patrie viennent du fait que la République avait chassé Dieu de l’École...".
Certes, au cours de la 4ème République (1946-1958), les députés catholiques, par le biais notamment des lois André Marie (4 septembre 1951) et Charles Barangé (9 septembre 1951), avaient obtenu des avantages substantiels en faveur de l’enseignement privé (catholique à 95%).
Mais c’est l’arrivée à Matignon en janvier 1958 de Michel Debré qui donnera à l’enseignement privé les moyens de concurrencer sérieusement l’École de la République sous prétexte que "les circonstances ont évolué" et que l’École publique n’est plus en mesure d’assumer ses responsabilités.

La loi Debré

La loi Debré (dite anti-laïque) a été promulguée le 31 décembre 1959, le jour même où le Pape Jean XXIII déclarait au congrès de l’Office international de l’enseignement : "Aujourd’hui comme hier, l’Église affirme solennellement... son droit d’avoir des écoles, où des enseignants animés de solides convictions inculquent aux esprits une conception chrétienne de la vie, et où tout l’enseignement soit donné à la lumière de la foi".
La loi Debré est entrée en vigueur, bien que tous ses décrets d’application aient été repoussés à une forte majorité par le Conseil supérieur de l’Éducation nationale ; bien que, le 4 février 1961, le congrès des maires de France ait "demandé instamment au gouvernement de réserver à l’enseignement public les fonds publics" ; bien qu’une pétition ayant recueilli plus de 11 millions de signatures ait réclamé l’abrogation pure et simple d’une telle loi. À noter que toute la Réunion laïque a participé au cours du 1er semestre 1960 à cette campagne de signatures de pétition.
Vingt ans après le vote de la loi Debré, François Mitterrand se propose de rétablir une véritable paix scolaire en plaçant toute la jeunesse de France sur un pied d’égalité en matière d’éducation. En vue d’atteindre ce but, il prend l’engagement, lors de l’élection présidentielle de 1981, de mettre en place "un grand service public unifié et laïc de l’Éducation nationale". Le 10 mai 1981, l’électorat français lui donne le feu vert pour réaliser son projet qui prévoit l’intégration progressive du privé dans le service public. "Dans la construction de l’école du temps qui vient, il n’y aura ni spoliation, ni monopole", précise le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary qui ajoute que le président de la République "entend convaincre non contraindre, rassembler non diviser, inciter et non imposer".
C’est dans cet esprit que la "négociation fraternelle" s’ouvre en 1982 entre les parties concernées par le projet Mitterrand. Elle débouchera sur un échec. Car le privé entend conserver la totalité des avantages que lui accordaient les lois Debré et Guermeur ; notamment son caractère propre, la possibilité de ses choix ; d’implantation, du choix de ses maîtres, de ses élèves. Le public devant, quant à lui, subir seul les contraintes liées à un service public, en accueillant tous les enfants sans exception, en respectant la carte scolaire, en acceptant la mixité sociale...

Risque de rallumer la guerre scolaire

C’est à un appel à la participation massive aux manifestations de rues qu’ont recours les partisans de l’enseignement privé en 1984. Appel entendu : les responsables politiques de toute la droite française déterminée à défendre l’école privée rassemblent à Versailles plus d’1 million de personnes le 24 juin 1984. Alain Savary aurait pu répliquer en disant que "la rue ne gouverne pas" et faire voter le projet Mitterrand par une Assemblée nationale où il était assuré d’une large majorité. Trois semaines plus tard, il préfère démissionner.
Face au même problème et aux mêmes réactions qu’il provoque, est-il besoin d’insister sur l’attitude diamétralement opposée de Michel Debré - qui s’était permis de se substituer au ministre de l’Éducation nationale André Boulloche - désireux de faire passer en force son projet et celui d’Alain Savary soucieux avant tout de la recherche d’un consensus sur le projet Mitterrand.
Cette recherche obstinée d’un consensus a été probablement considérée comme un aveu de faiblesse que la droite entend exploiter aujourd’hui pour faire oublier ses carences soulignées par la commission Stasi (2) . Le 8 septembre 2005, le ministre de l’Éducation nationale Gilles de Robien n’a pas hésité à déclarer : "Il faut donner l’égalité des moyens à l’enseignement public et privé, car l’école privée est aussi l’école de la République". Le ministre a ainsi exprimé sa volonté de rallumer la guerre scolaire et de ne pas tenir compte de la Constitution.

à suivre...

Eugène Rousse

(1) Si elle devient effective, la suppression des Zones d’éducation prioritaires (ZEP) préconisée tout dernièrement par Nicolas Sarkozy (n°2 du gouvernement) ne pourra être considérée que comme une provocation à l’égard des populations de banlieues. D’ailleurs, une telle décision ne relève pas de la compétence du ministre de l’Intérieur mais de son collègue de l’Éducation nationale.

(2) Le rapport Stasi rappelle que : "l’État ne respecte pas toutes ses obligations en matière d’accès au service public d’éducation".


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